Les tentatives de christianisation de l’Indonésie débutent dans l’est de l’archipel, au XVIème siècle, suite à la conquête de Malacca par les Portugais en 1511. Cependant, ce sont les Moluques qui constituaient leur objectif, la « terre des épices ». En 1512, ils atteignirent l’île de Ternate où le puissant sultan en contrôlait production et commerce, en rivalité avec son encombrant voisin, le sultanat de l’île de Tidore.
Mais les Portugais arrivèrent trop tard pour leur prosélytisme, les deux sultanats ayant accepté l’islam autour de 1475 pour renforcer leurs liens commerciaux avec les réseaux musulmans de l’océan Indien. Les Portugais se tournèrent alors vers les petites îles orientales – notamment Flores - qui aujourd’hui comptent 85% de catholiques, le pourcentage le plus élevé d’Indonésie.
La présence religieuse portugaise en Indonésie resta fragile et le XVIIème siècle vit sa position s’affaiblir encore sous la poussée hollandaise, le nouvel occupant d’alors. Le commerce des épices jouxtait « celui des âmes », chacun essayant de convertir avec zèle. Si l’élan vers le catholicisme marqua le pas, la population de Larantuka, à l’extrémité est de Flores, s’accrut car elle accueillit nombre de réfugiés des anciens comptoirs portugais, menacés dans leurs croyances. Prenant épouses locales, ils formèrent un groupe appelé les Topasses ou « Portugais noirs », métis catholiques qui s’arrogèrent le pouvoir. Ils furent au cœur des confréries qui président aujourd’hui encore aux festivités de Pâques.
La Semaine Sainte débute à Larantuka
C’est ainsi que Larantuka célèbre chaque année la Semana Santa, rappelant avec éclat son lointain héritage portugais où aventuriers et missionnaires se lancèrent à sa conquête. Quinze mille pèlerins s’y pressent pour suivre les processions qui se cristallisent autour de la sortie – unique dans l’année - de trois statues, celles de Jésus-Christ adulte (Tuan Ana, placé ici dans un cercueil pour remémorer sa mort), de la Vierge Marie (Tuan Ma en mater dolorosa) et de l’Enfant Jésus (Tuan Meninu).
Le festival débute le mercredi saint, en invitant les pèlerins à méditer sur la trahison de Judas et l’arrestation de Jésus : le deuil pénètre la ville, solennité et recueillement s’installent.
Le jeudi saint, les pèlerins assurent le « Tikam de turo » en plaçant des bougies le long des routes, sur sept kilomètres, pour jalonner la procession nocturne à venir, celle du vendredi saint.
A la « Kapela » de Tuan Ma (Vierge Marie), le cercueil qui a été scellé pendant un an est soigneusement ouvert par la confrérie et la statue est baignée puis habillée de ses vêtements de deuil, un manteau de velours bleu.
Chaque statue est rattachée à une confrérie qui en a la charge, celle de Tuan Ma dépendant du descendant du roi de Larantuka. La récitation du rosaire se fera ici en portugais alors que les fidèles iront à genoux baiser le manteau de la Reinha Rosaria. Cette Vierge, probablement originaire d’un bateau naufragé, s’est échouée vers 1511 sur le rivage de Larantuka. Elle fut d’abord intégrée à un korke, lieu de culte animiste traditionnel, avant que les missionnaires dominicains ne révèlent son identité et introduisent par son truchement la nouvelle religion.
Ce sera ensuite l’ouverture de la chapelle de Tuan Ana (l’Enfant Jésus), située tout près. La veille, la représentation aura été ondoyée avant qu’elle ne repose de nouveau dans son cercueil. Les dévots, toujours à genoux, embrasseront le drap de velours noir la recouvrant.
À la chapelle de Tuan Meninu repose l’Enfant Jésus, dans l’attente de sa « sortie » du lendemain.
Le sommet du rituel : celui du vendredi saint " Sesta Vera"
Le sommet du rituel est bien sûr le vendredi saint ou « Sesta Vera », le jour de la crucifixion de Jésus-Christ. Les deux statues principales doivent converger vers la cathédrale où sera célébrée la Passion du Christ.
Les chemins de Croix, les chants et lamentations ponctuent le petit matin... Puis vient le moment où Tuan Meninu quittera en grande pompe sa chapelle. Des centaines de bateaux sont ancrés au large, attendant que la représentation soit placée dans un petit prao noir. Poussé à la perche, ainsi escorté, Tuan Meninu longera les berges de Larantuka avant de descendre en ville pour être installé dans son armida (autel temporaire).
Car très vite, la grande procession du vendredi saint va débuter.
La Vierge quitte sa chapelle, portée par des dizaines d’hommes, et s’arrête auprès de son fils, Tuan Ana. Il sera en tête de cortège en souvenir de son sacrifice expiatoire mais elle se doit d’être auprès de Lui, en tant que Mère, dans la douleur et le sacrifice suprême.
Les instruments de la Passion sont là pour rappeler la crucifixion, notamment la couronne d’épines et les clous de la Croix, alors que les pèlerins psalmodient à l’infini le rosaire et que résonnent crécelles, martelets et claquoirs, le bruit des ténèbres ... L’émotion est intense, la dévotion est vibrante et l’atmosphère d’un grand recueillement.
Entrées dans la cathédrale, les deux représentations seront placées près de l’autel, le temps de la reconstitution de la Passion.
Des commémorations également sur l'île d'Andonara
De grandes commémorations ont lieu aussi sur l’île d’Adonara, toute proche, plus précisément à Wureh, l’un des premiers lieux de l’implantation d’une communauté portugaise.
La Kapela Senhor abrite une statue de Jésus du XVIème siècle, de facture remarquable, le visage ruisselant de sang.
Près d’elle se trouve un coq en bois, qui bien sûr a son histoire. Ce poulet appartenait à un vendeur de Solor qui rencontra un acquéreur, un homme de grande taille et portant la barbe. Avant toute chose, le vendeur voulut effectuer sa prière musulmane du matin mais entretemps le client potentiel s’était évanoui… comme le poulet ! Tout le monde s’enquit des disparus, sans succès. Finalement, le marchand et quelques villageois se rendirent à la chapelle où se trouve la statue de Jésus. La ressemblance était frappante, le fils de Dieu s’était incarné dans le chaland et ils retrouvèrent alors le poulet pétrifié à ses côtés. Devant un tel miracle, les conversions furent nombreuses.
Chaque vendredi Saint, à Wureh, se tient une procession organisée aussi par une confrérie. Ici est porté un Jésus couché alors que sont présents Nicodème et Joseph d’Arimathie, ceux qui prirent le corps de Jésus pour l’embaumer. Ils seront ici deux des quatre pénitents de la procession, portant la statue allongée dans son cercueil.