André Graff est bien connu du Petit Journal Jakarta. Nous vous avions parlé de lui à plusieurs reprises. Il vient de publier son autobiographie.
Il y a des livres de souvenirs soporifiques qui sentent la naphtaline, la sieste au coin du feu, la satisfaction de soi, parfois le règlement de compte mesquin, le regret souvent… Évitons-les. Puis il y les mémoires d’André Graff à la langue truculente, au franc-parler qui bouscule, au phrasé plein d’humour, et mine de rien une grande érudition sans prétention. En fermant le volume, le lecteur se dit qu’il a fait un bien beau voyage aux côtés d’un homme plein de verve, généreux de ses expériences innombrables. Une lecture indispensable si vous partez sur l'île de Sumba.
« J’ai été l’Indien ‘œil de lynx’, l’adolescent mystique, le poète apiculteur, le flûtiste virtuose, le narcisse introverti, le naturaliste défenseur des espaces sauvages et des grands prédateurs, le libre-penseur psychanalysé en dilettante, l’écolo-anarcho-activiste, le spirite aux guéridons immobiles, l’érotomane insatiable, le biochimiste ès paradis artificiels, l’agriculteur proudhono-fromager, le régisseur rebelle, le palefrenier cultivateur de cannabis, le voyageur théâtreux, l’anti-nucléaire batailleur, le muséographe conquérant, l’aéronaute surchauffé, et me voilà puisatier au pays des 17 500 îles… ne serait-ce que le début de l’aventure ? »
André Graff vit depuis 19 ans sur l’île de Sumba, dans la province du Nusa Tenggara Oriental au sud de l’Indonésie. Son village d’adoption, Waru Wora, se situe à l'ouest de l’île.
Un homme libre aux multiples facettes
Originaire de la coquette ville de Munster en Alsace, il est né en 1957. Son chemin de vie est tout sauf linéaire et conventionnel. Éducation protestante très marquée, il devient athée convaincu. Il se méfiera toute sa vie des « croyeuseries » de tout bord, en France ou en Indonésie.
Il étudie la biologie et part 6 mois en Norvège étudier la fabrication traditionnelle du fromage. Écolo avant l’heure, il fait partie des grévistes de la faim qui protestent contre la construction de la centrale nucléaire de Fessenheim. Il continue d’ailleurs aujourd’hui à militer : contre la monoculture et pour les productions agricoles variées et la diversité nutritive.
Il devient pilote de montgolfière professionnel pendant 24 ans : une discipline qui lui va bien, mélange de rigueur d’exécution et liberté du lâcher prise. De grands moments d’aventures et d’autres plus cocasses, comme cet épisode épique de dispersion de cendres funéraires au-dessus des Vosges.
Vous ai-je aussi dit qu’il avait joué de la flûte traversière dans l’orchestre symphonique de Colmar ? Une personnalité aux multiples facettes, assurément.
« Les femmes libérées du fardeau de l’eau »
L'aridité de Sumba n’est pas une fatalité. « D’importantes nappes phréatiques sont contenues dans ses sous-sols ». Mais la pauvreté et le manque d’infrastructure font que des femmes marchent des kilomètres pour la corvée du portage de l’eau : 10 à 20 litres sur la tête, un jerrican au bout de chaque bras pour rejoindre le point d’eau parfois situé à 2 kilomètres. André qui assiste à ces scènes pendant un voyage en Indonésie est révolté par leur travail quotidien et titanesque. Il prend alors le problème à bras le corps. Au contraire des ONG aux belles intentions éphémères, il reste sur place et ne repart plus. Il a construit depuis près de 20 ans un total de 42 puits et mis en place une dizaine de systèmes de distribution d’eau complets : 30 000 à 40 000 habitants en ont bénéficié.
C’est un cercle vertueux qui s'instaure alors : eau > hygiène > réorganisation du temps qui est alors consacré au jardinage alimentaire et à l'artisanat > amélioration du niveau de vie > meilleure fréquentation scolaire etc.
De La Pléiade à Hara-Kiri
Les références culturelles qui parsèment le récit témoignent des goûts d’André pour l’art sous toutes ses formes :
- Musicales : Haendel, Brahms mais aussi Barbara, Jean-Jacques Goldman et Nina Hagen
- Philosophiques : Nietzsche, Proudhon
- Artistiques : Bosch, Dali, Giacometti
- Littéraires : Baudelaire, Thomas Mann, Mishima, Kazantzakis, Perec, Frison-Roche, Chateaubriand
- Théâtrales : Ibsen et Beckett
- Et bien sûr cinématographique avec les Monty Python
Bonus : les petits curieux en mycologie en apprendront tout un rayon sur les vertus des champignons hallucinogènes.
Une orientation sexuelle décomplexée
Comme le rappelle André Graff, « l’homosexualité n’a été officiellement dépénalisée [en France] qu’il y a 42 ans, exactement 10 jours après mon 21ème anniversaire ». On imagine fort bien le tabou imposé par la société alsacienne protestante des années 70. Sentiment similaire au sein d’une majorité de la société indonésienne mais qui s’estompe plus on se déplace vers l’est de l’archipel. Paradoxalement, cette orientation sexuelle facilite l’acceptation d’André par les villageois de Sumba puisqu ‘au final il ne représente pas pour eux la menace d’un occidental venu voler une fille locale.
Une mine d’informations sur la culture de Sumba
Les amoureux de l'Indonésie apprécieront la foule d'informations sur Sumba. Florilège : la fabrication du sel, le Marapu, les transes de Kalango, le prix du bétail, l’architecture traditionnelle, les rites liés à la naissance, aux fiançailles, au mariage, à la mort (et même l’adultère !), les techniques de pêche, de tissage et de poterie, la viande de chien, la préparation du café, l’économie du foyer, le mois sacré du Wula Podu…
Au final, cette autobiographie se lit comme une grande déclaration d’amour : à l'Alsace et à Sumba. Et à la liberté bien sûr.
André, m’inviterez-vous un jour à un de vos fameux Woodstick Festivals que vous célébrez de temps à en temps sur la plage ?
L’espiègle vagabond - Réminiscences autobiographiques d’un puisatier blanc dans l’est indonésien, par André Graff
- Paru le 3 avril 2024
- Editions Le Lys Bleu
- 9791042226893
- 24 euros
- Pour se procurer le livre
Pour en savoir plus :
L’association « De l’eau pour Sumba »
La chaîne YouTube WaterForSumba qui inclura à terme des tutos pédagogiques pour apprendre à creuser son propre puits.