L’exposition « il était une fois demain » ouvre ses portes ce soir au centre culturel Bentara Budaya. Chris Morin Eitner nous présente une trentaine de photographies recomposées. La nature a envahi les villes délaissées par les hommes, les monuments emblématiques sont au centre de ces réalisations. Telle une palette de peintre, on retrouve dans ces photos de la couleur, de la lumière. Ce monde sans homme n’est en rien apocalyptique mais nous interroge sur l’avenir de notre planète. C’est ce que nous explique Chris Morin Eitner que nous avons rencontré lors de l’accrochage de ses œuvres.
Lepetitjournal.com/Jakarta: À la vue de vos photos-montages on pense tout de suite au temple d’Angkor, est-ce l’une de vos inspirations ?
Chris Morin Eitner : Effectivement lors d’un voyage au Cambodge j’ai découvert le Ta Prohm, ce temple khmer où la nature a repris ses droits. Par la suite un voyage à Dubaï m’a fait découvrir cette ville au milieu du désert. Ces deux civilisations l’une abandonnée et l’autre en pleine expansion ont été le point de départ de ma série sur les villes « il était une fois demain ». Que laisserons-nous derrière nous, individuellement ou collectivement ? On parle de changement climatique, de mondialisation, toutes ces questions m’interpellent.
Vos photos portent un regard sur la ville, mais aussi sur la nature. Pourquoi ce contraste?
J’ai choisi de travailler à partir d’un monument iconique des villes car ils en sont l’identité. Ils sont le plus souvent les mieux construits, ils sont là pour durer. Ils sont aussi le témoignage du passage de l’homme. Dans mes photographies, la nature, les animaux envahissent l’image et reprennent leurs droits. L’homme a disparu. Cette série est en quelque sorte une démarche pour éveiller les consciences à la nécessité de se rapprocher de la nature et d’essayer de vivre en harmonie avec elle. Je ne suis en rien activiste engagé, je me définirais plutôt comme un activiste poète.
Mais que sont devenus les hommes de vos photographies?
Effectivement l’homme a disparu pourtant ses traces subsistent à travers les bâtiments et la statuaire que l’on retrouve dans mes photos. Ce n’est en rien pessimiste. Le visiteur peut imaginer plusieurs hypothèses quant à sa disparition. Les êtres humains ont pu abandonner la ville pour aller dans une autre plus belle ville comme cela se voit tout au long de notre histoire. On peut aussi se projeter dans un monde plus futuriste où les hommes ont déserté la terre et choisi de s'installer sur une autre planète. Dans une version plus contemporaine, ils sont peut être enfermés dans le "cocon" des réseaux sociaux ou alors dans un domaine plus spirituel ils se seraient réincarnés dans les animaux que nous voyons sur les photos. Tout est dans le domaine du possible. Ce qui m’intéresse c’est que deviennent les villes après nous.
Vos photos ont été exposées lors de la COP 21 à Paris
La fondation EDF m’a invité avec d’autres artistes qui partagent une vision des enjeux des changements climatiques pour une exposition qui avait pour thème « les climats artificiels ». J’ai également une exposition permanente dans une galerie à Paris. L’an dernier, 70 de mes tableaux ont été exposés à Garden By the Bay à Singapour.
Comment travaillez-vous ? Comment définiriez-vous votre travail ?
Je suis architecte de formation. Tout ce qui a attrait à l‘urbain m’inspire mais aussi le rapport à la nature que je remets au centre de mon travail.
Je me définis comme un photographe-peintre. Je prends de nombreuses photos, lors de mes voyages, la nature, les ciels, les nuages, les graffitis…tout et même les animaux que j’ai photographiés principalement en Afrique. Une fois les prises de vues terminées je peux dire que mon travail commence vraiment. Je fais des croquis avant ou alors pendant la réalisation. Et ensuite débute un long de travail de composition sur des écrans d’ordinateurs. Mon travail se rapproche de celui d’un peintre, mes photos sont autant de pigments sur la palette. Monet, les fauvistes, le douanier Rousseau sont des sources d’inspiration.
Dans votre série, on retrouve, Paris, New-York, Londres, Singapour, vous venez de finir deux photographies qui se rattachent à Jakarta. Quels monuments avez-vous choisi ?
C’est mon premier séjour en Indonésie, en faisant mes recherches sur internet, les premières photos qui apparaissent lorsque l’on tape monument emblématique sont la tour BNI et le Monas. La tour BNI ne m’inspirait pas mais le Monas est vraiment une icône de la ville. Même si ce bâtiment est récent, il fait partie intégrante de l’histoire de Jakarta. Sa forme particulière avec sa base octogonale me fait penser à la forme d’un arbre inversé. J’ai pris des photos du Monas, je suis allé aussi au jardin botanique de Bogor photographier des arbres. Depuis j’ai passé beaucoup de temps sur mes cahiers à faire des croquis et devant mes écrans pour faire le montage.
Sur votre photo, on voit des flamands roses, des flamands roses à Jakarta?
Oui pourquoi pas, on peut imaginer que dans notre monde en plein changement, mondialisation oblige, ces animaux ont pu arriver ici via un moyen de transport rapide, avoir été abandonnés ou s’être enfuis d’un zoo… mais les flamands roses sont aussi des bandes de couleurs
Vous êtes ici en résidence pour dix jours, quel regard portez-vous sur Jakarta ?
C’est mon premier séjour en Indonésie, mais j’ai vécu au Vietnam je connais donc un peu l’Asie. Jakarta représente un mélange de modernité et vie de quartier avec les petits restaurants de rue, les kaki lima qui un jour seront peut être appelés à disparaître. Je dois dire aussi ce qui me frappe en arrivant de Paris, c’est le sourire et la gentillesse des habitants de cette ville. Je dois d'ailleurs rencontrer mercredi des photographes et des étudiants indonésiens pour parler de mon travail. Je suis convaincu que les échanges seront d'un grand intérêt.
Exposition « il était une fois demain » du 11 au 16 avril au centre Bentara Budaya Jalan Palmerah Selatan II N17. Jakarta Centre.