le vendredi 3 mars 2023 a marqué les 40 ans de la disparition de Georges Rémi, dont les initiales inversées ont donné le célèbre nom de Hergé, s’est envolé dans sa fusée X-FLR6 pour une ultime aventure dans l’au-delà à l’âge de 75 ans. Il aura fait rêver le monde entier de ses 24 albums de Tintin, vendus en 270 millions d’exemplaires et traduit dans 170 langues dont l’indonésien. En effet, Tintin a un lien tout particulier avec l’Indonésie.
Bernard Pivot : « Est-ce que Tintin mourra avec vous ? »
Hergé : « Je crois que oui » « Tintin c’est moi (…) » Apostrophe 5/01/1979
Tintin en Indonésie ?
Le 22ème album publié entre 1966 et 1968 d’abord sous forme d’épisodes dans le journal Tintin puis l’album complet Casterman Vol 714 pour Sidney où notre jeune héros et ses comparses atterrissent à bord d’un avion Garuda dans l’ancien aéroport de Kemajoran à Jakarta !
La piste d’atterrissage est devenue aujourd’hui l’artère rectiligne à 12 bandes de la Jalan Benyamin Suareb dans le nord de la ville qui nous mène tout droit à Ancol. Il en reste, comme vestige emblématique, la fameuse tour de contrôle visible dans le dessin toujours si documenté de notre Hergé reporter. Dans cette aventure, Tintin, Milou et compagnie n’atteindront jamais leur destination australienne et resteront coincés sur l’île inventée de Pulau-Pulau Bompa, ce qui signifie autant les îles Grand-père en néerlandais (bon Papa) que Badan Oentoek Membantoe Pertahanan Asia qui était un corps d’armée établi par les forces d'occupation japonaise en Indonésie pendant la Seconde Guerre mondiale. On y voit, en outre, des révolutionnaires sondonésiens qui luttent pour l’indépendance du pays. Le vol détourné passe par le phare de Mataram sur l’île de Lombok, puis Sumbawa, Flores, Timor pour enfin survoler Makassar et la mer des Célèbes, connue pour être le théâtre de nombreuses pirateries ainsi que les îles hautement volcaniques qui inspireront l’intrigue d’Hergé. Le Capitaine Haddock croisera au passage un varan Komodo et quelques animaux sauvages de l’archipel indonésien.
Komunitas Tintin Indonesia
Mais ce n’est pas le seul lien qui lie le pays à Tintin, il existe un groupe "tintinophiles" très actif appelé Komunitas Tintin Indonesia qui se réunit régulièrement pour célébrer les anniversaires et festivals de BD vêtus de cosplay (ndlr costume d’un personnage de fiction) particulièrement confondants. En effet, la bande dessinée a un statut tout particulier en Indonésie puisque au-delà du divertissement, à l’instar du théâtre d’ombres Wayang Kulit ou du Wayang Orang, elle permet de raconter et garder vivaces les grandes épopées hindoues et mythes et légendes javanaises comme dans les nombreux albums du dessinateur Raden Ahmad Kosasih.
Les peintures balinaises anciennes de Kamasan (Klungkung) présentent des toiles divisées en cases géométriques qui de façon prémonitoire forment une suite narrative selon un principe similaire à celui du 9ème art. Certaines de ces toiles remontent au XVIIème siècle, et la tradition perdure encore aujourd’hui.
Hari Prast, ou comment Tintin inspire un communiquant
Parmi les innombrables komikus, dessinateurs de BD indonésiens contemporains, il y a Hari Prast qui, chargé de la campagne présidentielle du président Joko Widodo, s’est très largement inspiré de la fameuse ligne claire de Hergé, en faisant voyager celui qui fut alors candidat aux présidentielles dans toute l’Indonésie, à la manière de notre célèbre reporter globe-trotter Tintin ! L’histoire aura jugé de l’efficacité du trait et de la composition des couvertures attractives des albums d’Hergé qui fut aussi brillant publiciste en son temps.
Hergé reporter, témoin de son époque
Hergé s’est nourri des actualités du monde et de l’air du temps pour planter ses superbes décors et forger ses intrigues*. On a pu, grâce à lui, voyager aux quatre coins de la terre, aller à la rencontre des peuples, des rites, des coutumes et des mentalités, même lors de ces époques coloniale ou fascisante, Hergé a pu lui aussi tomber dans les clichés racistes, voire clairement antisémites. Son personnage mythique n’est-il pas né dans le Petit Vingtième, supplément du journal catholique proche de l’extrême-droite sympathisante des mouvements rexistes et mussoliniens, puis de continuer son ascension en travaillant pour Le Soir sous l’occupation nazie. Plutôt casanier, laissant voyager son personnage à sa place, Hergé fut bouleversé par sa rencontre avec Tchang Tchong-Jen** alors étudiant aux Beaux-Arts de Bruxelles, et donna un ton encore plus humaniste à ses albums. Plus profonds et plus psychologiques, voire philosophiques comme dans « Tintin au Tibet » où le voyage devient presque une quête initiatique, une certaine forme de repenti universaliste.
Tintin citoyen du monde
Tintin est un jeune citoyen du monde, reporter de « 15-16 ans », laïque dans le sens où il ne fait aucune allusion ou référence à une confession, ni à une tendance politique ou sexuelle d’ailleurs, « ce serait déplacé ». « Il ne montre ni mauvaise humeur, ni fatigue. Il triomphe par son intelligence et par sa force sans être un athlète ou un superman ». Quand on insinue quelque misogynie à Hergé, il répond que « ridiculiser une femme, ce n’est pas gentil alors qu’un monsieur qui glisse sur une peau de banane, en général, c'est drôle ».(interview de 1960
A travers son personnage, tel le portrait de Dorian Gray, Hergé a gardé son âme scout, aimant la nature, les paysages, les farces et les aventures. Dans son testament, Hergé a exigé que personne d’autre ne s’approprie et continue les fameuses Aventures de Tintin. Mieux encore, et à jamais, il nous permet de nous y plonger !
Célébrations à Jakarta
Wallonie-Bruxelles International invite le réalisateur belge Frédéric Cordier pour une projection de son film documentaire exceptionnel « Tintin et le mystère de la momie de Rascar Capac » à l’Institut Français le jeudi 16 mars 2023 à 16h dans le cadre de la Semaine de la Francophonie. Le Lycée Français « Louis-Charles Damais » célèbrera le 40ᵉ anniversaire de la disparition d’Hergé avec une Fête Multiculturelle et un spectacle de Wayang spécial Tintin joué par les élèves du lycée, le groupe Simpay Panaratas et le dalang-peintre Ki Gamblang Carito.
*parution 2023 de "Hergé, les ultimes secrets" de Bob Garcia (Éditions du Rocher)
** parution 2023 de « Georges et Tchang » de Laurent Colonnier (Éditions Glénat) avec une préface de Bruno Podalydes et une postface du biographe de Hergé Numa Sadoul (auteur de « Tintin et moi » 1975 chez Casterman)
*** interview de 1960
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