Depuis le 2 juillet, la décision de la plus haute juridiction administrative du pays était attendue de tous, en Turquie comme à l’étranger. Vendredi 10 juillet, en annulant le décret de 1934 qui proclamait Sainte-Sophie musée, le Conseil d’État turc a ouvert la voie à sa transformation en mosquée. Dans la foulée, le Président Erdoğan a signé un décret prévoyant la réouverture de Sainte-Sophie au culte musulman.
D’abord basilique puis mosquée, Sainte-Sophie avait été "offerte à l’humanité" par Atatürk en 1934. Depuis plusieurs années son statut faisait régulièrement l’objet de polémiques. Plus récemment, la question avait de nouveau été soulevée alors que, le jour du 567e anniversaire de la conquête de Constantinople, le 29 mai 2020, des passages du Coran étaient lus dans l’enceinte de Sainte-Sophie. Le Président turc avait alors proposé de rétablir le statut de mosquée du musée, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, et visité par plus de 3,5 millions de touristes chaque année.
Le débat politique interne s’est rapidement propagé à l’international et a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part de la Grèce, de la Russie, et des États-Unis.
Saisi par une association qui lutte depuis plus de 15 ans pour le retour de l’islam à Sainte-Sophie, le Conseil d’État turc a invalidé le décret signé par Atatürk au motif que Sainte-Sophie, devenue une mosquée après la prise de Constantinople par Mehmet le Conquérant, en 1453, ne pouvait pas être utilisée à d’autres fins que celles qui lui avaient été assignées par le sultan.
Suite à la décision du Conseil d’État vendredi après-midi, le Président Recep Tayyip Erdoğan a signé un décret transférant la gestion de Sainte-Sophie au Conseil des Affaires religieuses turc (Diyanet).
Le Président Erdoğan s’est adressé à la nation dans la soirée de vendredi, annonçant que les portes de Sainte-Sophie seraient ouvertes aux "Turcs, aux étrangers, aux musulmans et aux non-musulmans, comme c'est le cas avec toutes les autres mosquées".
Vendredi dans la soirée, sur le parvis Sainte-Sophie, une foule venue célébrer la décision du Conseil d’Etat scandait "les chaînes ont été brisées".
L’UNESCO, pour sa part, a déclaré regretter vivement la décision des autorités turques, prise sans dialogue préalable, et appelle à préserver l’universalité du patrimoine mondial (consulter la déclaration complète).
"La France déplore la décision du Conseil d’Etat turc de modifier le statut de musée de Sainte-Sophie et le décret du Président Erdogan la plaçant sous l’autorité de la direction des affaires religieuses. Ces décisions remettent en cause l’un des actes les plus symboliques de la Turquie moderne et laïque. L’intégrité de ce joyau religieux, architectural et historique, symbole de la liberté de religion, de tolérance et de diversité, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, doit être préservée. Sainte-Sophie doit continuer à représenter la pluralité et la diversité du patrimoine religieux, le dialogue et la tolérance", a déclaré vendredi le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
"Ma pensée va à Istanbul, je pense à Sainte-Sophie. Je suis très affligé", sont les mots prononcés par le pape François dimanche.
La réouverture au culte musulman à Sainte Sophie est prévue le 24 juillet.
Selon un sondage effectué en juin par l’institut MetroPoll, 44 % des Turcs estiment que remettre à l’ordre du jour le statut de Sainte-Sophie s’inscrit dans un contexte qui vise à faire oublier la crise économique que vit actuellement la Turquie.