

Si vous habitez à Istanbul et avez l’habitude de vous promener le long des côtes de la rive asiatique aux alentours de Caddebostan, vous avez dû apercevoir le manoir de Ragıp Paşa, et vous vous êtes peut-être interrogé sur son sort et celui de ses anciens propriétaires...
Beaucoup le surnomment le "Perili Köşk", ou, si vous préférez, le "manoir hanté".
Ragıp Sarıca Paşa (Pacha) est né en 1857 à Eğriboz, autrefois territoire ottoman et aujourd’hui îlot de la Grèce actuelle. Après avoir obtenu son diplôme en Sciences politiques ("Mektebi Mülkiye"), comparable à l’ENA française, Ragıp accède à la Haute fonction publique sous le règne du Sultan Abdülhamid II, connu comme le "Sultan rouge" (en référence aux massacres de populations arméniennes). Le frère de Ragıp Paşa (Arif Bey) était d’ailleurs le médecin personnel du Sultan.


Pour l’anecdote, Ragıp s’est vu attribuer le titre de Paşa à la suite d’un événement intéressant. On prédisait à Abdülhamid II, très malade, une mort prochaine. Ragıp fit appeler son frère, médecin, au chevet du Sultan. Après trois jours de soins recommandés par Arif Bey, le Sultan retrouva forme et santé. Un miracle qui valut à Ragıp Paşa la confiance absolue du Sultan et son éternelle reconnaissance.
Ragıp Paşa, à la stature imposante (il mesurait près de deux mètres), était connu pour sa grande fortune, notamment issue de l’immobilier et pour ses goûts luxueux et raffinés. Grand amateur de raki, il a fondé la première véritable usine de distillation de raki (Umurca Raki à Tekirdağ).

Il a aussi été le commanditaire de nombreuses constructions emblématiques du décor d’Istanbul et notamment celles de son petit bijou architectural de Caddebostan.
La construction de ce manoir, en 1906, fut dirigée par l'architecte prussien August Carl Friedrich Jasmund, (architecte privé du Sultan et professeur à l’École d’Ingénierie d’Istanbul), moyennant alors la somme de 40.000 pièces d’or (ou 110.000 selon les sources).


L’édifice, sur quatre étages, comprenait une tour d’horloge dominant les alentours. Cette tour était devenue le refuge privilégié du Pacha les soirs de pleine lune où il savourait, seul, son verre de raki face à la mer. Il faut aussi imaginer le bâtiment de l’époque recouvert de bois minutieusement travaillé avec de multiples fenêtres et balcons colorés, dont l’intérieur, caractéristique du raffinement de son propriétaire, présentait une succession de grandes salles aux plafonds ornementés et recouverts de feuilles d’or apposées par des maîtres grecs, des salons aux marbres importés d’Italie et aux parquets massifs transportés depuis les forêts viennoises.
Le terrain de 27 hectares possédait originellement une piscine, une loge Selamlique "Selamlık" (réservée aux hommes), des écuries occupées par de nombreux étalons pur-sang anglais, des voitures de collection stationnant derrière les immenses grilles en fer forgé de l’entrée (toujours là mais désormais recouvertes de plantes grimpantes), un quai d’accès au fronton de mer sculpté en marbre blanc où Ragıp Paşa arrivait par bateau depuis ses autres propriétés de la rive européenne, le tout dans un décor de pins et chênes, affranchi de tout immeuble mitoyen.

À ses côtés cependant, Ragıp Paşa avait fait édifier un autre bâtiment exceptionnel surnommé le "Tevhide Hanım Köşkü" pour sa première fille Tevhide, comme cadeau de mariage (1906/1907).

Ragıp Paşa séjournait principalement à l’automne et au printemps dans ces lieux enchanteurs, alternant ses passages avec ses autres pavillons tout aussi impressionnants, dont le manoir de Sariyer, détruit dans un incendie, et le palais de Yildiz à Beşiktaş.
Jusqu’alors une vie somme toute de grandeur(s) rythmée(s) par des jours heureux pour le Pacha.
Malheureusement, la décadence le guettait, lui et sa famille…
À SUIVRE...
Première publication : octobre 2020
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