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Petite histoire des noms de famille en Turquie

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Annonce dans un journal rappelant aux Turcs l'obligation de choisir un nom de famille avant le 2 juillet 1936
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Publié le 27 juillet 2022, mis à jour le 27 juillet 2022

Dans le cadre des réformes kémalistes, une loi de 1934 impose aux Turcs de se doter d’un nom de famille, ce qui n’était pas obligatoire jusque-là. Nombreuses sont les personnes qui porteront les mêmes noms, entraînant alors la démocratisation des surnoms. 


"Nous devons à tout prix turquifier les habitants de notre pays", déclarait en 1925 Ismet İnönü, ancien Premier ministre, à propos de sa volonté de créer une nation turque unie. Après des siècles pendant lesquels le nom de famille n’avait pas été obligatoire, Mustafa Kemal Atatürk décide d’introduire une loi afin "de ressembler à l’Europe, et être plus moderne" et surtout pour "ne plus faire la distinction entre les Arméniens, les Grecs, les Musulmans, les Kurdes...", comme l’explique Selma Numanoglu, guide touristique française en Turquie. C’est d’ailleurs ce que rappelle Ibrahim Tabet dans Histoire de la Turquie, de l’Altaï à l’Europe, ouvrage dans lequel il revient sur le discours d’Ismet İnönü face à un diplomate britannique : "Nous sommes franchement nationalistes [...] et, devant la majorité turque, les autres éléments n'ont aucune sorte d’influence. [...] Nous allons annihiler ceux qui s'opposent à la turquification."
Le but, en donnant à chacun un patronyme, était, en effet, de créer une nation, de rassembler les gens vivant en Turquie et de gommer les minorités implantées dans le pays. L’homogénéisation de la Turquie passe ainsi par l’obligation de porter un nom de famille, ce que met en place Mustafa Kemal, au travers d’une nouvelle loi ("Soyadı Kanunu") votée le 21 juin 1934.
Ceren Yıldırım Yücebağ, professeure d’histoire à la maison de la culture de Neşet Ertaş (Ataşehir, Istanbul), évoque d’ailleurs la volonté de Mustafa Kemal de "penser les Turcs comme des personnes, des citoyens à part entière", et non plus comme de simples habitants ou minorités.


Le choix du patronyme

Atatürk accorde ainsi deux ans (jusqu’au 2 juillet 1936, au risque d’une amende) à tous les Turcs pour choisir leur nouveau nom de famille, qu’ils devront transmettre aux femmes et aux enfants, sous peine que l’Etat choisisse pour eux.
Par exemple, la maison du peuple d'Ankara organise, le 7 décembre 1934, un festival lors duquel les Turcs seront incités à adopter leur patronyme.
Cette nouvelle loi va bien sûr permettre d’identifier les non turcophones qui seraient opposés à la création d’une nation turque, mais aussi de rapprocher la Turquie de l’Occident, de faciliter le prélèvement de l’impôt, de favoriser les démarches administratives... Le patronyme pourra être choisi "en fonction des qualités de la famille, des particularités physiques des personnes ou du lieu d’origine", d’après Selma Numanoglu. La seule règle imposée par la loi est qu’il est "interdit de trop spécifier les choses ou de mettre en avant une qualité particulière (comme celui qui est allé à la Mecque "haci", ou encore "hoca", "ağa", "paşa", "bey", "hanım", titres qui étaient utilisés pendant l'Empire ottoman, ou encore des noms qui se rapportent à une tribu/ethnie étrangère, des noms offensants / ridicules...) de façon à maintenir une égalité entre les citoyens". En vertu d'une loi qui sera votée en novembre 1934*, il est également "interdit d’utiliser le nom d’Atatürk" , rappelle Selma Numanoglu. D’après elle, "les gens vont donc choisir des noms faciles à prononcer, courts, mais qui feront l’orgueil de la famille."

 

carte d'identité d'Atatürk
Carte d'identité d'Atatürk suite à la nouvelle loi de 1934


Ceren Yıldırım Yücebağ ajoute que les noms utilisés peuvent être "quelque chose d’intéressant pour la famille, comme ‘grand’, ‘charmant’, ou encore un lieu d’origine."
Ainsi, une première pratique (c’est la majorité) est de garder son nom et d’y adjoindre "oğlu" (fils de) pour poursuivre la lignée. Une deuxième pratique est de raccourcir le nom/ou surnom. Mais aussi, certains profitent de cette opportunité de choisir un patronyme pour "effacer" le passé...


Noms de famille les plus courants en Turquie

- Yılmaz, qui signifie intrépide
- Kaya, qui signifie la roche, le rocher

- Demir, qui signifie le fer
- Çelik, qui signifie l’acier
- Şahin, qui signifie faucon, aigle
- Yıldız, qui signifie étoile

(Ces noms sont aussi couramment choisis comme prénom)


Des noms de famille (comme Erdoğan, qui signifie "celui qui naît soldat") étaient parfois attribués sans aucun lien de parenté, dans la mesure où de nombreux Turcs avaient peu de considération pour la démarche. Ainsi, en 1937, deux millions de personnes n’avaient pas encore choisi de nom de famille, car le fait de ne pas avoir connu l’utilisation d’un nom de famille par le passé les laissaient penser qu’en posséder un n’avait aucune importance.
Devant l’obligation de porter un nom, les Turcs en ont alors choisi de simples, en fonction de leur souhait, avec pour conséquence une similarité dans le choix de nombreuses familles. Cela a donc entraîné une importante utilisation de surnoms...
À noter que depuis 2015 (Cour constitutionnelle turque), les femmes qui se marient peuvent choisir d’utiliser les deux noms, ou bien uniquement de garder leur nom de jeune fille. 

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(*) Cette même loi attribue le nom d'Atatürk à Mustafa Kemal Pacha

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