Hakan, originaire d’Afyonkarahisar mais smyrniote depuis 34 ans, a grandi dans la nature qu’il apprécie plus que tout. Ce technicien mécanique, qui a subi un grave accident du travail en 2018 au bout duquel il se retrouve avec 16 % d’invalidité, rêvait depuis 30 ans de vivre à la campagne, au milieu d’un jardin et de la verdure.
Une fois retraité, il réalise enfin son rêve en avril 2019 en devenant, avec son épouse Urkiye, propriétaires d’un terrain de 355 m2, acquis pour 62.000 TL à la coopérative SS. Yeşil Bahçe Sahil Yapı créée en 2017. Ce petit coin qui aurait pu devenir son paradis à Ürkmez, à 14 km de Seferihisar et un peu plus de 50 km d’Izmir, s’est en fait transformé en enfer.
Hakan et son épouse Urkiye dans leur joli jardin
La coopérative précitée assure la gestion de parcelles installées en quatre étapes. La première est nommée “AhmetBeyli”, une seconde de 24 parcelles est voisine du terrain d’Hakan ; la 3ème dont fait partie celle du prénommé compte 42 terrains et la dernière en date, à une centaine de mètres de chez lui, pas moins de… 159 terrains.
Sur son terrain comprenant 2 arbres lors de son acquisition, Hakan en plante une trentaine (pommier, mandarinier, néflier, olivier,..), aménageant aussi avec grand soin un très beau jardin 100 % organique comprenant tout ce qu’il faut pour se nourrir sainement : tomates, aubergines, poivrons, courgettes, haricots, salade, maïs,... le tout avec un arrosage automatique maison parfaitement adapté aux besoins. Quelques poules permettent également d’assurer une partie de leurs besoins.
Sur les 42 parcelles que compte l’étape “Yeşilbahçe” - le jardin vert - où il possède son terrain, au total 27 constructions existent, 26 sont des demeures préfabriquées - déplaçables si besoin -, mais considérées comme des maisons au vu de la loi à la différence près qu’elles ne sont pas en béton armé. Faute de moyens plus importants, pour y passer la majorité de l’année, Hakan installe, quant à lui, un container pour lequel aucun permis de construire n’est nécessaire… mais non apparenté par la loi à une maison mais une boîte, un objet quelconque. Sa “petite maison dans la prairie” est démontable et peut être déménagée. Fort de sa dextérité manuelle, il équipe cette petite demeure avec tout le nécessaire pour y vivre des jours heureux avec sa femme.
Et c’est ensuite que les ennuis commencent… La même année, soit en 2019, suite à la décision du Conseil municipal de Seferihisar, ville à laquelle Ürkmez est reliée, un procès est ouvert au Tribunal Administratif contre lui et 19 autres voisins ayant construit des préfabriqués… 27 demeures, mais seulement 20 procès… première incompréhension pour Hakan et les autres riverains concernés.
Le motif invoqué par l’administration ayant intenté des poursuites est une “pollution de la zone” - imar kirliliği - causée par son container. Une première amende de 4000 TL est dressée en 2019 à l’encontre de Hakan, somme qu’il paye sans broncher.
Le procès continue avec au final une nouvelle amende de 6000 TL réclamée par le Procureur de la République le 22 mars dernier. Hakan collecte difficilement cette somme… et la paie également. Mais quelques jours plus tard, un nouveau coup de massue s’abat sur lui ! En effet, il reçoit la notification de la décision de démolition de sa petite “maison en boîte” émanant de la mairie de Seferihisar et datée du 6 mai.
Il est intéressant de noter que le personnage principal de cette histoire possède un sous-compteur électrique parfaitement en règle, raccordé au compteur principal de la coopérative… et paye ses factures au fournisseur officiel du réseau, comme n’importe quel habitant de la province d’Izmir… Une partie de l’électricité nécessaire fournie par le système d’énergie solaire mis en place par ses soins. L’approvisionnement en eau, quant à lui, provient du puits commun de la coopérative. Par ailleurs, il est raccordé au réseau internet… tout aussi légalement.
En outre, et encore plus étonnant si l’on essaie de bien comprendre toute l’histoire, les activités de la coopérative sont sous le contrôle de l’Etat, qui envoie un représentant du Ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme à chaque assemblée générale.
Pour l’heure, suite à l’intervention de l’avocat, la dernière décision en date a pu être reportée jusqu’au 14 juin 2022… Aux toutes dernières nouvelles, le tribunal s’est prononcé favorablement le 26 mai à l'arrêt provisoire de la sentence de destruction pour 3 des propriétaires concernés… Les 17 autres, et dont Hakan fait partie, sont en attente et dans l’espoir d’une décision identique…
Un maigre espoir subsiste néanmoins : certains hommes politiques ont laissé entendre qu’une loi portant sur la réglementation des jardins d’agrément - hobi bahçeler - , susceptible de changer la donne si une amnistie devait concerner les constructions réalisées sur de tels terrains, pourrait aboutir dans les toutes prochaines semaines… mais ces informations ne sont pas officielles…
Depuis des semaines, Hakan est anéanti, a perdu le sommeil et prie pour qu'une solution satisfaisante pour tous les partis concernés, soit trouvée. Il est prêt à payer des impôts comme n’importe quel citoyen propriétaire foncier si la situation est régularisée par l’administration.
De nombreuses questions et incompréhensions ont justifié, à mes yeux, la rédaction de cet article, juste pour attirer l’attention des lecteurs qui prendront connaissance de cette histoire :
- Sur les 27 constructions en préfabriqué, 7 n’ont fait l’objet d’aucune décision de justice, ni d’amende, ni, a fortiori, de démolition… Difficile à comprendre par les personnes contre qui un procès a été ouvert… mais aussi, en toute logique, par le commun des mortels.
- Une même infraction, un même tribunal, un même avocat avec à la clé des condamnations à une peine de prison avec sursis pour certains, des amendes administratives de 6000 TL pour d’autres… et au final des décisions de démolition…
- Le fait que Hakan soit abonné de manière tout à fait légale, au réseau électrique et internet.
- La présence d’un représentant du Ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme aux Assemblées Générales de la coopérative gestionnaire des terrains.
À mes yeux, Hakan ne pollue pas la nature - il y a de nombreux autres exemples de réelle pollution visuelle et environnementale - mais a développé une culture en harmonie avec les besoins actuels et futurs, étant donné la conjoncture tant économique que la nécessité de trouver des alternatives saines et avantageuses pour son alimentation quotidienne. Il faut noter que l’élevage et l’agriculture ont beaucoup perdu de terrain en Turquie durant la dernière décennie… comme dans beaucoup d’autres pays malheureusement, et les récents événements en Ukraine ont mis en évidence à quel point il est nécessaire de trouver, autant que faire se peut, des moyens pour s’auto-suffire.
Hakan illustre parfaitement pour moi "Une autre agriculture est possible" - Başka bir tarım mümkün -, un des slogans de la ville métropolitaine d’Izmir... Cela sera-t-il suffisant pour justifier du bien-fondé du prénommé, et trouver ensemble LA solution pour éviter de briser son rêve ?
> Un aperçu du jardin d’Hakan https://youtu.be/2KkSgeBNQUc