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LE ROI DEVENU PREMIER MINISTRE – Rencontre à Istanbul avec Siméon II de Bulgarie

Siméon II de BulgarieSiméon II de Bulgarie
Avec son épouse la reine Margarita
Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 9 octobre 2016, mis à jour le 5 mars 2018

Siméon II de Bulgarie, devenu roi à l'âge de six ans en 1943 à la mort de son père, a passé quelques jours à Istanbul pour la publication de ses mémoires en version turque. L'occasion de rencontrer cet homme au destin très particulier.

Siméon II de Bulgarie
Pour la sortie de la version turque des mémoires de Siméon II de Bulgarie traduites du français par Saadet Özen, la maison d'édition Yapı Kredi a organisé dans son auditorium vendredi 6 octobre 2016 une rencontre avec cet homme au destin hors du commun, d'une approche facile et d'une gentillesse exquise. Y ont assisté Bartholoméos 1er, patriarche œcuménique de Fener ainsi que Mgr François Yakan, vicaire patriarcal des Assyros-Chaldéens de Turquie.

C'est à l'éminent Professeur Docteur Ilber Ortaylı qu'est revenue la mission de présenter le souverain et d'entretenir avec lui la conversation pour faire connaître une infime partie de cet homme au destin si particulier. A l'issue de cet échange et d'une période destinée à répondre à quelques questions du public, Siméon II s'est volontiers plié à une séance de dédicaces et un échange avec les personnes qui souhaitaient l'approcher...

Lepetitjournal.com d’Istanbul : Majesté, vous avez quitté Sofia pour Istanbul où vous êtes arrivé avec votre mère, votre sœur et une de vos tantes en gare de Sirkeci le 17 septembre 1946, avant de poursuivre votre route le soir même pour Alexandrie, où vous vivez jusqu'en 1951 avant de vous installer en Espagne. Depuis votre retour en Bulgarie le 25 mai 1996 après 50 ans d'exil, êtes-vous déjà revenu en Turquie et que représente Istanbul pour vous ?

Siméon II de Bulgarie : Je suis venu très souvent, la première fois vers 1967-68, mais après mon retour en Bulgarie, à de nombreuses reprises. Istanbul a toujours été une capitale, nous l'appelons d'ailleurs en bulgare la ville des rois – tsarigrad, cela veut tout dire ! Son passé durant les différents empires, romain, byzantin, ottoman lui a conféré un rôle de capitale et culturellement, y venir a toujours été un pèlerinage pour moi. Outre le fait d'y avoir des amis, d'avoir beaucoup lu sur l'histoire qui fatalement se passe souvent à Istanbul, il y a vraiment un lien très très fort ici.  Ma mère, lorsqu'elle était en exil, venait assez souvent ici parce qu'elle avait des amis de la famille impériale et quelques amis turcs d'Egypte. Elle disait toujours : “Tu vois, ici c'est le second place ! Je ne peux pas aller en Bulgarie, mais ici cela me rappelle tellement le pays, ses coutumes,...” Elle venait avec une sorte de nostalgie, ce qui vous montre comme ces deux voisins ont des analogies. Par temps clair, elle se rendait au bord de la mer Noire pour regarder la Bulgarie... C'est drôle comme ces choses restent...

Vos mémoires, écrites en collaboration avec Sébastien de Courtois, ont été publiées en français fin 2014 chez Flammarion et viennent de paraître en turc aux éditions Yapı Kredi. Quelles sont les autres versions existantes ou à venir et quelle importance accordez-vous à ces éditions française et turque ?

La version initiale en bulgare est sortie deux semaines avant la française. J'avais des notes, des enregistrements et énormément de documents que nous avons réunis pour en tirer un récit. Le livre a aussi été publié en juin 2016 en espagnol, compte tenu de mon attachement à ce pays et une version en anglais est espérée pour 2017.

La langue française est pour moi tellement importante, je suis un produit du lycée français, comme mes cinq enfants du reste. Ce récit leur est dédié ainsi qu'à mes petits-enfants afin qu'ils connaissent mieux leurs origines et puissent grandir avec. Etant devenu, malgré moi, comme un trait d'union avec le passé pré-communiste de mon pays, je me devais de “transmettre” après 70 ans de vie politique. J'ai remarqué si souvent que les gens écrivent de façon sélective et la facilité se tourne toujours en direction du sensationnel. Mais si on laisse l'Histoire aux vainqueurs, ce n'est pas suffisant. J'ai donc voulu témoigner à travers ma mémoire vivante, même si rien ne m'est plus difficile que de mettre en avant ce “moi” car je pense que nous ne sommes rien seuls, la vie étant faite de rencontres et de hasards.

Siméon II de Bulgarie

Lisant beaucoup sur l'histoire, je me suis rendu compte que la vie d'un personnage était souvent manipulée après sa mort et j'ai ainsi tenu à déjouer cette habitude de voir les gens jugés sur des approximations ou des rumeurs, plutôt que sur ce qu'ils ont écrit ou réalisé eux-mêmes. Je suis aussi très heureux de cette publication en turc, ayant toujours été très intéressé et m’être senti très proche de ce pays voisin important.

En Bulgarie, il existe une importante minorité turque, ainsi que de nombreux Turcs originaires de Bulgarie qui vivent aujourd’hui en Turquie. Pensez-vous que ces Turcs de Bulgarie et de Turquie peuvent jouer un rôle de pont entre les deux voisins ?  

Il y a, d'après les statistiques, 8 % de turcophones chez nous. Le lien est là depuis des siècles. La Bulgarie est sur le chemin direct et physique de l'Europe pour la Turquie, il y a donc déjà des raisons pratiques et géographiques. Il y a aussi des investissements turcs chez nous et par conséquent, il y a de toute manière un pont. Je ne crois pas que notre communauté d'origine turque - je n'aime pas le mot “minorité” - se sente particulièrement comme un pont. Ils ont les liens mais je crois qu'au fond, ils se sentent très autochtones car ils sont là depuis des siècles, ce sont des gens qui étaient venus d'Anatolie au XVIème siècle. Mais je suis sûr qu'en même temps, il y a une communication. D'ailleurs, un certain nombre de Bulgares d'origine turque habitent la Turquie et reviennent périodiquement au pays ; certains peuvent aussi voter. Il y a de toute façon une symbiose.

La période ottomane connaît un attrait grandissant en Turquie. On l'a vu notamment à travers la série télévisée sur Soliman le Magnifique, diffusée dans de nombreuses autres langues. Savez-vous comment cette période de l'histoire est perçue par les Bulgares aujourd'hui ?

Et bien, je peux dire que c'est assez varié, mais très récemment, il y a eu un débat au Parlement sur les nouveaux manuels scolaires d'histoire pour savoir s'il fallait évoquer la domination ottomane, la présence ottomane, le passage ottoman, la servitude... (…)  durant près de cinq siècles. C'est normal en quelque sorte et si on veut l'exploiter, c'est encore plus normal, car on peut tout de suite trouver un ennemi ou quelqu'un qui vous a opprimé.

N'importe qui peut réciter des passages de Sous le joug, une des pièces de notre littérature du XIXème la plus populaire écrite, par le grand écrivain Ivan Vazov. Sous le joug, ce n'est pas forcément quelque chose de brimant. (…) Jusqu'à la moitié du XIXème, il n'y a pas eu grand-chose d'écrit car cela se passait très bien. Tant qu'on payait les impôts et qu'on respectait le sultan, il n'y avait pas grand-chose à redire. Pendant une petite période, il y a eu des exactions, des réactions et de la contre-réaction, ce qui est normal pour un empire qui domine. La période est tellement courte par rapport aux cinq siècles qu'il faut vraiment savoir diluer et en même temps aussi être rationnel. Pour les jeunes, c'est déjà quelque chose de tellement lointain mais c'est dommage qu'il y ait des gens qui essaient de l'inculquer, de montrer surtout ce moment-là... Nous avons fait partie d'un empire et il y a tout de même eu une influence à tous points de vue, la culture notamment, l'architecture...

L'autre jour, dans un petit village du sud-est de la Bulgarie où toutes les maisons sont uniformes, je me suis étonné de voir la partie basse en pierre et la partie haute en bois, comme un décor de cinéma tellement c'était joli. Là-bas, par exemple, on parlait de l'époque ottomane et de ce qui s'est passé. Il y a là-bas une magnifique église construite en 1760. On voit donc qu'il y avait aussi des églises et pas simplement le côté des “bachi bozouks”. Le village à côté est entièrement musulman, mais musulman bulgare ethniquement, et ils s'entendent parfaitement. C'est un passé qui est là, qu'on ne peut pas diaboliser comme certains essaient maintenant de le faire à cause des événements, de la politique contemporaine... Il faut s'en tenir aux faits et finalement penser qu'on a tout intérêt à être en bonnes relations, non seulement les deux pays, mais les gens.

Ce matin-même, un homme insistait pour me cirer les souliers. Cela me gêne, je lui ai dit “non merci.” Il me demande alors “Where are you from ?” et lorsque je lui réponds “Bulgaristan”, j'ai eu droit à un sourire jusque aux oreilles et il m'a dit “Ah komşu ! (ah, le voisin !)”. Cela montre qu'au fond, il y a une affinité naturelle entre les pays.

Quel est votre rôle aujourd'hui en Bulgarie et, après avoir été Premier ministre de 2001 à 2005 suite à la victoire aux législatives le 17 juin 2001 du parti que vous avez créé et présidé, puis vous être retiré de la scène politique en 2009, envisagez-vous de jouer un nouveau rôle politique dans votre pays ?

Non, d'abord car ce n'est pas le moment, secundo je n'en vois pas l'utilité et aussi il faut aussi penser à mon âge. Il y a les élections présidentielles en novembre. L'an passé, on m'a dit “Si si, vous devez !” J'ai répondu “Considérez mon âge” et on m'a rétorqué “Oui, mais voyez Adenauer ou d'autres.” Mais là, on citait des exemples qui sont des exceptions.

Retour triomphal de Siméon II à Sofia le 25 mai 1996 après 50 ans d'exil
Retour triomphal de Siméon II à Sofia
le 25 mai 1996 après 50 ans d'exil

 

Je n'ai qu'une seule envie, c'est de prendre ma retraite, voir mes petits-enfants plus souvent, lire davantage. Mais voilà, je suis constamment sollicité, de plus en plus dans mon rôle qui était mon métier principal et à l'origine, alors qu'à une époque, j'étais le vilain Premier ministre. Tellement de visiteurs viennent de l'étranger et demandent à me voir. C'est un autre rôle aujourd'hui mais je ne sais pas à quoi le comparer. Les gens ont confiance en ce qu'on dit, entendre notre opinion, peut-être parce qu'on est âgé et plus sage. Il y a toutes les raisons possibles et je suis malheureusement très et trop occupé, je m'en rends compte. Ma femme et mes enfants me font souvent des remarques “Mais enfin, tu as fini, tu ne peux pas dire non une fois pour toutes aux gens et trier un peu ?” mais c'est très difficile. Je peux tout de même continuer car je le vois avec vos collègues sur les questions politiques, ma mémoire vivante couvre les deux époques, l'avant communisme et l'époque post et démocratique.

Les livres d'histoire bulgares actuels évoquent-ils de nouveau la période monarchique et les rois de Bulgarie alors que pendant la période communiste, cela avait été supprimé ?

Là, c'est très délicat, il y a un certain complexe, on a tellement été forcé à dire des horreurs de l'époque de la monarchie, que c'était une autocratie, etc. La monarchie est donc quelque chose dont on ne sait pas très bien comment parler – du 1er, du 2ème et du 3ème royaume. Au temps du communisme, on utilisait la formule “Premier, Second Etat” et jusqu'à aujourd'hui, certaines personnes n'arrivent pas à dire “le troisième royaume”, non pas pour m'énerver ou par manque de culture, mais parce que c'est dans le subconscient. Néanmoins, dans beaucoup de conférences, je le vois, les choses évoluent. L'autre jour, j'étais à l'ouverture de l'année universitaire ; deux professeurs ont pris la parole et ont dit quelque chose sur le royaume en s'adressant à moi et c'est peut-être la preuve que doucement, on revient à la terminologie normale sans pour autant devenir moins républicain. Ce sont tout de même des générations qui ont été forcées à penser ou à agir autrement. Les gens tendent parfois à oublier pour ne pas se compliquer l'existence, ne pas trop réfléchir, alors ils prennent ce qui est à la mode, au lieu de se demander pourquoi, comment, quoi ? Mais dans les livres d'Histoire, pour l'instant, on parle encore du Troisième Etat et puis quand ils parlent de moi, c'est le Premier Ministre Saxe Cobourg (son nom d'origine étant Siméon Borissov de Saxe-Cobourg-Gotha ou Sakskobourggotski). Dans les journaux, on dit souvent le roi, mais aussi M. Saxe-Cobourg, car alors on a l'impression de ne pas trahir la République.

Propos recueillis par Nathalie Ritzmann (http://lepetitjournal.com/istanbul) lundi 10 octobre 2016

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Publié le 9 octobre 2016, mis à jour le 5 mars 2018

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