Le single "Istanbul" d’Ayla Millepied-Şen est sorti le 29 mai. A cette occasion, Lepetitjournal.com Istanbul a interviewé cette artiste pleine d’énergie, dont le cœur est partagé entre la France et Istanbul.
Lepetitjournal.com Istanbul : Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
C'est à New York qu'on m'a parlé d'Istanbul
Ayla Millepied-Şen : Bordelaise d’origine (une précision : Ayla est un prénom commun en Turquie, mais je n’ai pas d’origine turque), j’ai commencé à faire de la musique vers 17-18 ans, puis j’ai décidé de voyager, et suis partie au Canada où j’ai travaillé à Toronto pour une maison de disques. A cette époque, je travaillais pour l’industrie musicale, et je composais aussi de la musique pour de la publicité, mais j’avais envie de plus.
C’est à New York que j’ai rencontré une jeune femme turque qui m’a beaucoup parlé d’Istanbul. Elle m’a dit que la scène turque pourrait m’être bénéfique. Je suis alors partie pour Istanbul en 2015 !
Comment s’est passée votre découverte de la scène musicale stambouliote/turque ?
Istanbul m’a "déconstruite"
Quand je suis arrivée à Istanbul, j’étais curieuse : pendant deux ans j’ai été "spectatrice" du monde musical. En parallèle, je travaillais au local de l’Union française, à Cihangir.
J’écoute beaucoup de rock progressif ou psychédélique (comme Baba Zula), et on en trouve beaucoup sur la scène stambouliote. Même s’il m’est arrivé de prêter ma voix à Mabel Matiz sur un de ses titres, je suis restée observatrice un long moment avant de me lancer.
Istanbul m’a "déconstruite" en quelque sorte, j’ai commencé à m’intéresser à des artistes que je ne connaissais pas avant, Selda Bağcan, par exemple, qui a été une révélation pour moi. De même pour la pop. Quand j’ai découvert la musique actuelle turque, j’ai commencé à voir le monde sous un nouveau jour. La scène hip-hop est aussi très intéressante, très vivante, mais c’est un milieu fermé (en raison de la dimension politique).
Aussi, j’ai appris qu’il y avait une vraie relation musicale entre la France et la Turquie.
Saviez-vous que Johnny Hallyday était venu enregistrer des titres à Istanbul ? Il a chanté ses chansons en turc !! Et il a aussi chanté des chansons écrites par des compositeurs turcs.
Il y a aussi la chanson de Barış Manço, "Fransızca", ou plus récemment la chanson “Comme un animal” de Mabel Matiz.
J’ai vécu à Istanbul à une période difficile (2015-2017, entre attentats et coup d’état "avorté", en ce sens, le livre de Samuel Aubin, Istanbul à jamais, me parle complètement). J’ai pu me rendre compte de la difficulté d’être un artiste en Turquie, et des défis que cela peut représenter. Par exemple, je me souviens d’un chanteur qui, à un concert, s’apprêtait à parler de politique sur scène, et il s’est tout de suite contenu : "Ah non je ne peux pas m’exprimer… ", de peur de représailles.
Mais en même temps il y a certaines choses qui sont étonnantes, qui peuvent presque me paraître un peu "bipolaires", certaines choses sont acceptées, et on ne sait pas pourquoi, alors que certaines autres ne le sont pas. Je me souviens d’une gay pride qui avait été réprimandée il y a quelques années, et le même soir Recep Tayyip Erdogan invitait Bülent Ersoy à dîner. Les Turcs l’aiment pour sa musique, ne le jugent pas. C’est beau la manière dont les Turcs sont attachés à leurs artistes.
Parlez-nous de votre chanson… "Istanbul"
Déclaration d’amour à la ville
En réalité, j’ai écrit la chanson au début de mon séjour à Istanbul en 2015, à Sisli, où j’habitais avec ma colocataire de l’époque. Mais c’est Beyoglu qui m’a inspirée le plus à Istanbul, et pour ma chanson.
Quand je relis les paroles, je les trouve très romantiques, et c’est drôle car en principe j’écris très différemment. Cette chanson est une exception dans mon répertoire. C’est une déclaration d'amour à la ville mais bizarrement je crois que c’est aussi une déclaration d’amour à la chanson française. Je viens d’une famille de musiciens depuis plusieurs générations, où la tradition de la chanson française est très forte, mais pour autant ce n’est pas ce qui m’anime le plus. Pour "Istanbul", les paroles me sont venues naturellement, presque d’une traite, je pense que cette ville a révélé quelque chose d’enfoui très profondément en moi.
La chanson a été enregistrée entre Istanbul et Bordeaux. Au début, je ne pensais pas forcément la sortir. Le clip, réalisé par Barış Kefeli et Nukhet Taneri, a été tourné en 2019 à Istanbul, avec mon cercle d’ami(e)s. Plus récemment, Emre Aydin m’a proposé de sortir le morceau sur son label, Hangar Yapim, une vraie chance ! Et le single est donc sorti le 29 mai dernier.
Une histoire d’amour d’abord avec la ville… et puis avec un homme ?
Il a cru que j’étais agent !
Oui, "Istanbul" est à la fois l’amour que je porte à cette ville, et à mon mari, Çağatay. Il était le guitariste de Mabel Matiz à l’époque, je l’ai rencontré suite à un de leurs concerts. Au début il ne comprenait pas ce que je faisais en Turquie, il a cru que j’étais agent secret !
Suite au coup d’état, il n’a pas pu partir en tournée pendant plusieurs mois en raison des annulations de concert, c’était une période difficile. Et puis, nous avons décidé de nous marier, et de nous installer à Paris. Mon mari avait une belle carrière en Turquie, à laquelle il a dû renoncer.
Lui aussi a été "spectateur" de la scène musicale française quand nous nous sommes installés en France. Les rôles se sont inversés !
Comment voyez-vous l’avenir ?
Projet musical d’un couple binational
Pour la promotion d’"Istanbul", la situation s’avère compliquée en raison de la pandémie… Tout doit se faire à distance, on envisageait des concerts etc., pour l’instant tout est reporté, mais je reste positive !
Ce qui est le plus important pour nous, c’est le projet musical d’un couple binational. Nous avons chacun notre héritage mais nous partageons le même intérêt pour la pop musique, et c’est une grande force. Désormais installés à Bordeaux, nous souhaitons, depuis ici, continuer de travailler avec la Turquie.
Mon mari va ouvrir son studio à Bordeaux avec Ersoj Kasimov, un percussionniste macédonien, également turcophone.
A l’avenir, nous aimerions créer un label basé entre Istanbul et Bordeaux ; mais cela risque de ne pas se faire dans un avenir proche.
2 chansons vont sortir en plus en septembre en EP, dont une en feat avec Baba Zula ! Grâce à un ami commun, j’ai pu leur faire écouter une de mes chansons, et ils ont accepté de collaborer ! C’est une chanson que j’avais dans la tête depuis longtemps. Eux, ils ont enregistré leur partie à Istanbul, et moi, la mienne au studio Cryogène à Bordeaux.
De manière générale, nous sommes inquiets pour nos amis musiciens turcs. En raison de la pandémie, ils ne gagnent plus leur vie, les temps sont très durs pour eux, surtout pour les stambouliotes. Certains rentrent dans leur ville/village d’origine, car ils n’ont pas les moyens de faire face à la crise, de payer leur loyer...
Ayla Millepied-Şen : "Istanbul"
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