

Après avoir longtemps été sous le feu des critiques, les auto-écoles de Turquie s’apprêtent à subir un changement de réglementation. Au programme, plus de pratique avant l'examen et un nombre d'heures de conduite imposé. Le permis turc est en effet taxé d’être "trop facile" et de ne pas assez préparer les candidats au dense trafic stambouliote, entre autres.

"J'ai seulement participé à quatre heures de conduite, avec environ 45 minutes de conduite effective puisque nous étions plusieurs candidats par voiture". Thomas, employé de l'agence de voyages TurquieVision, a passé son permis en Turquie. Comme lui, de nombreux Stambouliotes n'ont que très peu de pratique derrière le volant avant de se lancer seuls dans les rues de la ville.
Photo MA
Après avoir obtenu l'examen, son problème est aujourd'hui… d'apprendre à conduire : "Je suis conscient que je n'ai pas assez d'expérience pour prendre une voiture seul". C'est donc son amie turque qui se comporte avec lui comme un moniteur : "Pour l'anecdote, dès que j'arrive sur une route ‘dangereuse’, elle me conseille de mettre les warning pour prévenir les autres voitures de mon inexpérience".
En Turquie, le nombre de voitures sur les routes a doublé depuis 2002, passant de 8,7 à 17 millions cette année. Le nombre d'accidents a lui aussi augmenté : plus de 4.045 personnes se sont tuées sur les routes et 211.500 ont été blessées selon des chiffres publiés en 2010.Outre le manque de respect des règles de circulation, la non-expérience des conducteurs est en cause dans de nombreux accidents.
“Deux minutes d'examen”
Les écoles de conduite ont une grande part de responsabilité : nombre d'entre elles ne donnent pas les 10 heures de formation pratique imposées à chaque candidat. Pauline Guena, assistante de français à l'université Galatasaray, a elle aussi passé son permis à Istanbul avec son ami Rémi Daniel. "On nous a répondu que trois heures de conduite étaient suffisantes, malgré les interrogations sceptiques de Rémi", raconte-elle. Lui n'avait jamais touché à un volant et Pauline avait déjà suivi plusieurs heures de formation en France, "un gros avantage" grâce auquel elle a obtenu l'examen. Son ami Rémi, lui, a calé plusieurs fois et a dû repasser le permis une seconde fois, en reprenant une heure de conduite. Une formation pratique qui consistait pour l'essentiel à "faire et refaire les 500 mètres de l'examen", détaille Pauline.
Berk Özdemir travaille à l'auto-école Villalevent. S'il assure que dans cet établissement, tous les élèves suivent 12 heures de conduite, d'autres écoles prennent plus de liberté selon lui : "Je ne peux pas savoir ce qui se passe dans toutes les écoles de conduite de Turquie, il y en a plus de 4.000. Mais il est vrai que beaucoup d'entre elles n'appliquent pas les règles, vont au plus facile pour leur entreprise".
Outre un apprentissage sommaire, l'examen de conduite est lui aussi remis en question. Thomas en a fait l'expérience : "L'examen ne dure que deux ou trois minutes. Nous étions une vingtaine à attendre notre tour sur le bord de la route, déposés par le minibus de l'auto-école". La procédure est très simple : il faut démarrer la voiture déjà sur la route, passer la première et la deuxième en ligne droite, s'arrêter après 300 mètres, faire demi-tour, puis faire la même chose en sens inverse. "Et voilà, tu as le permis", résume Thomas. Selon Pauline Guena, environ 40% des candidats échouent, car "les trois heures de cours ne suffisent pas à atteindre un niveau de conduite minimum".
Un taux de réussite obligatoire
Cette façon de faire passer le permis de conduire "à la chaîne" est régulièrement dénoncée dans la presse. L'année dernière, un moniteur d'auto-école avait déclaré anonymement dans les médias turcs que le ministère de l'Éducation, chargé des examens de conduite, distribuait des permis à des personnes n'ayant pas passé de test. Cet homme citait également le cas d'un inspecteur de conduite plus “strict” mais destitué car n’ayant pas atteint les 90% de réussite, selon un article de The National, journal anglophone des Émirats Arabes Unis.
Depuis le début du mois d'avril, un nouveau projet de règlement a vu le jour, présenté par le ministère de l'Éducation. Des inspections ont été menées dans 1.700 écoles de conduite : des enquêtes ont débuté dans 740 d'entre elles en raison de violations des consignes. Le nouveau règlement prévoit notamment de réduire l'apprentissage théorique au profit de la pratique. La durée de l'examen devrait elle passer à 30 minutes, contre 15 imposées auparavant. Berk Özdemir, de l'auto-école Villalevent est plutôt sceptique quand à la réalisation du projet : "Je pense que ce sera très long, et qu'il faudra beaucoup de temps pour que toutes les auto-écoles fassent vraiment faire 12 heures de conduite à leurs élèves", assure-t-il.
Marlène Alibert (http://lepetitjournal.com/istanbul.html) jeudi 9 mai 2013





































