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SOCIETE – Retrouvailles turques

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 13 novembre 2012

A l'heure de la rentrée scolaire et des retrouvailles avec nos lecteurs, nous vous proposons un reportage sur les Turcs de retour à Istanbul après un long séjour en France, et leur redécouverte, parfois leur réconciliation avec la Turquie.
Leur c?ur balance entre la France et la Turquie, ils sont Turcs ou Franco-turcs et ont décidé de "rentrer au pays". Pour ce premier volet, la rédaction du Petitjournal.com d'Istanbul vous propose les témoignages de Ayla, Jülide, Timuçin et Ferit

Ayla : "Je me suis mariée avec un Turc, mais je n'ai pas d'amis turcs "
Ayla, exilée à 5 ans en France et revenue à 22 ans en Turquie

Lepetitjournal.com : Qu'est-ce qui vous a poussée à rentrer en Turquie ?
Ayla :
A la fin de mes études en France, mes parents voulaient rentrer en Turquie. J'étais un peu perplexe, j'ai accepté mais en me donnant  deux mois d'essai, au cas où? Je voulais poursuivre les études ici, mais il n'y avait pas d'équivalences, alors j'ai cherché du travail et j'ai trouvé tout de suite, alors que mes amis en France avaient beaucoup plus de difficultés. C'était parti, je suis restée !

Comment s'est passé votre retour en Turquie ?
Au tout début, la vie semblait plus facile ici, j'avais trouvé un travail intéressant alors que la France était très touchée par le chômage. Mais, 2 mois après, mon enthousiasme est retombé comme une crêpe ! Les transports en commun à Istanbul n'ont rien à voir avec l'Ile-de-France... Ça c'est le côté pratique, mais le pire c'est du point de vue amical, j'avais l'impression que les gens étaient intéressés, ils n'ont pas les mêmes goûts que moi, ni la même mentalité, même aujourd'hui, je n'ai pas d'amis turcs? Heureusement, j'ai rencontré mon futur mari, un Turc qui ne connaissait pas du tout la France, il m'a beaucoup aidé à reprendre le bon accent, à connaître les traditions?, bref à m'intégrer ! Ça a mis beaucoup de temps, ce n'est que cette année ( 5 ans après ) que je me sens enfin chez moi, soulagée?

Comment vous sentez-vous entre les deux pays ?
Je reste très attachée à la France. J'ai un fils qui a maintenant 2 ans et je m'adresse à lui en français, je veux l'inscrire à Pierre Loti et lui transmettre les deux cultures.

Ferit : "Je parle la même langue, mais pas le même langage".
( photo Marie-Eve Richet )

Ferit, parti à l'âge de 32 ans en Angleterre, en Belgique puis en France et de retour à 57 ans.

lepetitjournal.com: Qu'est-ce qui vous a poussée à rentrer en Turquie ?
Ferit :
J'ai vécu 25 ans en Europe, toute une tranche de vie, d'autant plus que c'était ma vie d'adulte, marié, avec des enfants. J'avais quitté la Turquie à une époque troublée politiquement, en 1979, et avec une certaine rage contre mon pays, donc plutôt avec l'idée de ne plus y revenir du tout?tant que ce régime durerait en tout cas. Mais en 2003, j'ai vécu une faillite professionnelle, qui comme cela arrive souvent a entraîné une cassure personnelle. Je me suis donc retrouvé à plus de 50 ans divorcé, sans travail, donc fragilisé? Pendant cette même période, ma mère restée à Istanbul était à la fin de sa vie. J'ai profité de ma disponibilité pour passer du temps avec elle, pour l'accompagner dans ses derniers mois, je prolongeais toujours mes séjours en Turquie, je devais rester deux semaines et traînais 1 mois? Jusqu'au moment où j'ai décidé de rentrer définitivement.

Comment s'est passé votre retour en Turquie ?
Quand je suis revenu en 2005, la ville que j'avais quittée avait énormément grossi. Alors que je vivais en Belgique dans une petite bourgade, je me suis retrouvé dans une ville énorme de plus de 10 millions d'habitants, avec un trafic qui là aussi n'avait plus rien à voir avec la circulation de 30 ans auparavant?J'étais complètement perdu en voiture, je n'arrêtais pas de dire aux passants dans la rue "Excusez-moi, je ne suis pas d'ici, je suis perdu"  et à force de le dire je me suis senti réellement étranger? Le deuxième choc, c'est que je n'ai pas retrouvé mes copains d'avant : une fois la curiosité passée, ils revenaient à leurs vies, ça a été une grosse déception? Je cherchais des points de repère et j'avais tout perdu, que ce soit au niveau du paysage urbain ou affectif, je me suis senti exclu.

Et puis, j'ai décidé de faire un trait sur ses vieux copains et de me lancer dans l'activité d'enseignement de la psychologie que je connais bien. Du fait de cette activité, je me suis retrouvé dans un milieu d'artistes, mais aussi un milieu féminin où je me suis fait d'autres relations amicales. Mes activités m'ont permis de créer du lien social et de me sentir de mieux en mieux.

Comment vous sentez-vous entre les deux pays ?
En fait, je ne me pose pas ce type de question, Pour moi, l'intégration ce n'est pas le sujet, j'estime qu'on est tous des voyageurs, des "passants". A partir du moment où je compte pour une dizaine de personnes, je me sens bien où que je sois. Je ne me sens pas attaché spécifiquement à un pays, à un endroit. Je me sens turc parce que j'investis dans le relationnel, mais mon comportement n'est pas turc, car je suis très à l'aise dans l'expression des sentiments, des émotions alors que le "Turc typique" est très pudique.

Jülide, partie à l'âge de 2 ans et demi en France et revenue à Istanbul à 30 ans.

Jülide : "Je me sens encore à 90 % Française, mais je suis fière d'être turque" .


Lepetitjournal.com
: Qu'est-ce qui vous a poussée à rentrer en Turquie ?
Jülide : En fait, depuis que nous vivions en France, mon père nous avait totalement coupés de la culture et de la langue turque. Je ne parlais pas turc, mes seuls contacts avec la Turquie étaient mes grands-parents qui venaient nous voir de temps en temps en France. Je suis revenue pour la première fois à l'âge de 17 ans, mais comme une touriste adolescente, sans réelle prise de conscience. Ensuite, je suis restée 10 ans sans revenir, avec une sorte d'appréhension. Et puis, j'ai eu un ami qui voulait découvrir Istanbul, ça a été le coup de pouce qu'il me fallait.

C'était il y a 5 ans, j'avais alors un vrai désir de découvrir mon pays paternel, ma famille. J'ai alors passé une semaine formidable  avec ma grand-mère, qui m'a fait découvrir le sens du contact turc. Comme vous le voyez, ma démarche a pris du temps? A l'approche de la trentaine, j'ai aussi senti que j'avais besoin de construire ma vie d'adulte et que je ne pouvais pas le faire sans connaître mon identité turque, cette autre partie de moi-même? Je suis revenue en annonçant à mes proches que je revenais pour 3 mois, mais je savais en mon for intérieur que c'était pour toujours.

Comment s'est passé votre retour en Turquie ?
Les deux premiers mois ont été très durs : je ne parlais pas la langue, j'étais comme une étrangère dans les repas de famille et j'étais coupée de tous liens avec des francophones. Cette impossibilité de communiquer était très frustante. Mais j'avais un grand appétit de connaître mes racines, la ville et le quartier où j'étais née, Moda. Sans même connaître la langue, je me suis donc plongée dans un projet artistique, qui consistait à exposer des ?uvres d'art contemporain chez des commerçants, puis rapidement dans un autre projet, qui consistait à photographier 100 habitants de Moda qui vivaient dans le quartier depuis plus de 30 ans. Ce projet s'appelait Tenefüs, qui signifie en turc récréation, pause. Rien de mieux pour définir mon état d'esprit de l'époque : c'était pour moi un moyen de renouer des liens avec mon enfance, mes origines? et de l'exprimer en image.

Timuçin "Ici, tout est possible" ( photo ME Richet )

 

 

Timuçin, parti à 16 ans en Suisse, et de retour à l'âge de 30 ans.

Lepetitjournal.com : Qu'est-ce qui vous a poussé à rentrer en Turquie ?Timuçin : Initialement, je suis parti à l'âge de 16 ans en France pour poursuivre mes études et ensuite avoir ma première expérience professionnelle dans les affaires de mon père à Genève. Et puis, j'ai rencontré quelqu'un? Alors, je suis resté. Mais j'avais toujours l'idée de revenir chez moi. Quand cette histoire de c?ur s'est terminée, je n'avais plus rien qui me retenait en Suisse. Et puis, avec la crise qui sévissait en Europe,  je me suis dit que j'aurais plus d'opportunités en Turquie.  Comme je travaillais depuis 3 ans dans une société américaine de plateforme relationnelle dans le secteur de l'industrie, j'ai proposé de créer la franchise en Turquie.

 

 

Comment s'est passé votre retour en Turquie ?
Quand je suis revenu en septembre 2009, j'avais seulement une valise de 20 kg avec mes affaires personnelles. J'ai laissé ma vie là-bas et je voulais complètement recommencer à zéro. Mon premier souci a été de trouver un appartement et de le meubler à la turque. J'ai eu un grand plaisir à retrouver mon pays,  le sens du service des gens,  la vie dans les rues, dans les centres commerciaux... Les gens sont vraiment adorables, accueillants, arrangeants. Tout ce que j'entreprends ici me plaît, dans le business, tout est ouvert et c'est aussi très agréable de retrouver la dimension personnelle dans le travail.

Comment vous sentez-vous entre les deux pays ?
En fait, le fait d'avoir vécu en  Suisse et en France, ça me permet d'avoir une vision plus large, de prendre le bon côté des Turcs et des Suisses. J'ai un regard extérieur, je me sens plus international que turc. Par rapport aux Turcs qui n'ont jamais quitté leur pays, je me sens plus riche.

Nous remercions Ayla, Jülide, Ferit et Timuçin pour la confiance qu'ils nous ont accordée.

Propos recueillis par Marie-Eve Richet ( www.lepetitjournal.com ) lundi 6 septembre 2010

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Publié le 6 septembre 2010, mis à jour le 13 novembre 2012
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