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REPORTAGE - Avec les réfugiés syriens d'Izmir

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©NR
Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 2 janvier 2018, mis à jour le 11 avril 2018

Entre 150.000 et 250.000 réfugiés syriens habitent à Izmir d’après la sous-préfecture, chiffre qui fluctue entre ceux qui sont déclarés ou non et les différentes allées et venues. Dans les seuls quartiers de Kadifekale, Konak, Gülçeşme et Mezarlıkbaşı, le nombre de ressortissants syriens s'élève entre 25 et 30.000

C'est à Kadifekale, le mont Pagus, où Alexandre le Grand, suite à l'ordre donné par la déesse Némésis apparue en songe alors qu'il s'était endormi sous un platane de la colline, a construit les fondations de la nouvelle ville de Smyrne détruite par les Lydiens. Autour des fortifications encore visibles sur place ont été érigées quantité de maisons de fortune. Aux côtés de la population essentiellement kurde originaire de la région de Mardin sont venues s'installer ces dernières années de nombreuses familles syriennes.

En compagnie d'Ahmad Alyasin, directeur de SVLI (Syrian Vocational and Language Institute), ainsi qu'avec Elaa, Nur, Mohamed et Mouamen, quatre jeunes élèves volontaires de l’Institut, s'est faite le 26 décembre dernier la distribution des 630 cartes alimentaires Bim acquises grâce à la participation de nombreux donateurs.


Pour pénétrer dans le milieu syrien de Kadifekale, il suffit de trouver le membre d'une famille qui vous amène ensuite d'une habitation à l'autre, le nombre des accompagnateurs grossissant au fil des minutes. Il faut parcourir un véritable labyrinthe pour accéder à certaines demeures, grimper des marches accidentées ou dévaler des pentes abruptes dans des ruelles souvent plus qu'étroites.

Documents d'identité, cartes de réfugiés sont présentés tel un jeu de 7 familles... Le père, la mère, les X enfants…  Les personnes, venues pour la plupart d'Alep, de Raqqa, de Homs, vivent ici, avec certes des toits en dur, dans des conditions difficiles qui ressemblent finalement beaucoup à celles des réfugiés qui habitaient sous les tentes à Adana, la boue en moins les jours de pluie.

La misère côtoie les instants de beauté

Les logements sont composés de deux ou trois pièces à vivre qui se transforment en chambres à coucher le soir venu. Quelques matelas posés sur des tapis ou à même le sol, des couvertures, un poêle, un réchaud, parfois une télévision qui, grâce aux satellites, permet de rester connecté avec la Syrie... Là, une femme se remet difficilement de l'ablation d'un rein, ailleurs la petite Rasul âgée de 5 ans, sourde et muette, observe d'un œil étonné l'effervescence dans la maisonnée.

Dans une autre famille, un garçonnet souffre de tremblements répétés, dans cette autre une fillette dont le cerveau fonctionne normalement a un corps de taille réduite et le visage d’une personne âgée… Trois enfants vivent avec leur mère, le père est mort à la guerre… Ici, la misère côtoie quelques rares instants de beauté comme dans cette autre maison où une fille d’une douzaine d’années possède une voix d’une beauté extraordinaire.

Au bout de quelques heures, la situation devient préoccupante ; une jeune fille essaye à deux reprises de faire les poches, les enfants se sont transformés en une véritable nuée gluante et les adultes à qui est demandé de l'aide pour éloigner les jeunes n'arrivent pas à maîtriser la situation. Il vaut mieux quitter le quartier, sauter tous les six dans un taxi après s'être réfugiés dans un café situé aux abords des murs de la citadelle, rejoints après un court répit par la flopée de gamins.

Mustafa et sa famille

La distribution se poursuit à Çamkule, Mersinpınar et Bayraklı pour une équipe, à Buca et Basmane pour l'autre et dans les hauteurs de Konak pour la troisième... Un long moment est consacré à la visite de la famille de Mustafa, 50 ans, qui a quitté Alep il y a 4 ans. Après être resté un an à Gaziantep - où il s'est fait amputer d'un orteil -  il est venu s'installer à Izmir avec son épouse et ses 5 filles.

En Syrie, il travaillait durant 28 ans comme fonctionnaire dans une fabrique textile appartenant à l'Etat. Avec la guerre, plus de salaire versé et leur maison détruite, il ne lui restait plus qu'à partir. 

Depuis deux mois, suite au mariage de leur fille de 18 ans qui auparavant leur assurait quelques revenus, ils ont été obligés de changer de domicile. Ils habitent à présent au rez-de-chaussée d'une maison dans la partie qui servait autrefois d'abri pour les animaux... Ils payent 270 TL (60 euros) de loyer pour deux pièces d'habitation où le seul luxe est un vieux téléviseur à l'image tremblotante qui trône près des matelas et une machine à laver apparemment mise à disposition par la propriétaire des lieux.

Warde - nom qui signifie rose - 10 ans, revient avec sa mère Emine de l'école primaire Vali Kazım Paşa où elle étudie depuis un an. C'est une élève discrète et brillante dont le cours préféré est le turc et qui évolue en classe de 4ème, au milieu de 18 élèves dont 3 sont aussi syriens. 

Une autre de leurs filles, Khadice, âgée de 14 ans, revient un peu plus tard de l’établissement scolaire tout proche. Ayşe, 15 ans, n'a pas eu cette chance. Il y a deux ans, elle allait à l'école mais depuis leur dernier déménagement, elle n'a pas été acceptée, trop âgée a-t-on répondu à ses parents.

Quand à la jolie Meryem, 22 ans, aux longs cheveux noirs bouclés, elle vit la plupart du temps recluse et prostrée derrière la porte d'une des pièces. Elle parle à peine, entend peu, ressemble à un petit animal effrayé qui recule lorsqu'on tente de lui caresser la joue ou de lui tendre la main.

Entre diabète et une jambe qui ne répond pas, Mustafa ne travaille pas. Néanmoins, il garde le sourire et une douceur incroyable se lit dans ses yeux bleus et en l'écoutant. Ses filles ont hérité de cette grâce émouvante et la proximité entre les sœurs rappelle celle de siamoises... On ne ressort pas indemne de la visite d'une telle famille dont la dignité, malgré les conditions de vie, tranche avec certaines scènes vécues à Kadifekale où la violence est plus perceptible.

Pour faciliter l’intégration de cette population qui a fui les affres de la guerre, l’apprentissage de la langue turque est le premier seuil indispensable à franchir. La formation professionnelle pour ceux qui n’ont pas de métier ainsi que l’aide à l’embauche représente, quant à elle, la suite logique de la procédure d’insertion. Ce sont les objectifs de SVLI évoqué précédemment et qui fera l’objet d’un prochain article.

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Nathalie Ritzmann (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 3 janvier 2018

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Publié le 2 janvier 2018, mis à jour le 11 avril 2018

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