Édition internationale

PAQUES - Les chrétiens de Turquie toujours en quête de reconnaissance

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 14 novembre 2012


Si les Turcs ont adopté plusieurs fêtes d’origine chrétienne comme Noël dans leur calendrier, Pâques reste une célébration inconnue. Il faut dire que le pays compterait de moins en moins de chrétiens, et surtout, que l’islam tend à s’imposer comme un marqueur de l’identité nationale. Certains journaux turcs évoquent même une augmentation des attaques anti-chrétiennes.

Bartholomée Ier, le chef de file des chrétiens orthodoxes, évoque souvent le calvaire des chrétiens en Turquie (photo novopress)

Selon l'hebdomadaire franco-turc Zaman, le nombre d’attaques à l’encontre des chrétiens est en augmentation. Il s’agirait d’un phénomène récurrent à l’approche des élections législatives, car le discours anti-chrétien peut être utile à certains partis.
L’incident le plus récent s’est produit le 1 avril à Izmir. Armé d’un pistolet, avec lequel il a tiré en l’air, un homme a crié aux fidèles d’une église : "Vous êtes tous responsables, mettez un terme à vos activités missionnaires". La police l’a interpellé avant qu’il ne puisse dégainer une autre arme. Par ailleurs, une église de Bursa a subi une attaque au cocktail Molotov et les vitraux de deux autres églises ont été cassés. 
Au-delà de ces faits, les chrétiens de Turquie expriment un mal-être constant.
Dans les faits, l’Islam est largement majoritaire et tend à s’imposer comme un marqueur de l’identité nationale. Beaucoup de chrétiens de Turquie se sentent des citoyens de seconde zone et ont parfois du mal à obtenir ou à renouveler leurs visas.

Les chrétiens, 0,1 % de la population en Turquie

Il ne resterait que 90 000 chrétiens en Turquie1 – soit 0,1% de la population –, dans une région qui fut pourtant l’un des berceaux du christianisme. À l’heure actuelle, seuls les patriarcats orthodoxes et arméniens sont reconnus. Les arméniens-apostoliques et les syriens-orthodoxes représentent à eux seuls la moitié de la population chrétienne. On dénombre aussi 24 000 catholiques de rite latin ou oriental (arméniens et chaldéens), ainsi que des communautés protestantes.

Au fond, le problème turc n’est pas d’abord religieux mais politique, les musulmans eux-mêmes étant très encadrés par l’État. Les communautés chrétiennes ne sont en général pas reconnues au niveau juridique. Elles ne peuvent ni ouvrir un compte bancaire, ni être propriétaires de leurs murs. Des terrains leur soient confisqués de façon arbitraire (orphelinat réquisitionné, bâtiment paroissial rasé pour faire place à un hôtel…)

La réouverture au culte de l’église de Tarse en 2009 avait pu laisser croire à un changement de cap et à une ouverture de la part du gouvernement. En fait, le gouvernement islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002 (celui du parti AKP), est paradoxalement mais mécaniquement plus ouvert au sort des minorités que ne l’étaient les régimes très laïcs avant lui. Dans une perspective d’intégration européenne, l’attention aux minorités chrétiennes est un indicateur de démocratisation et le gouvernement se sait attendu sur cette question.


Mais il se sait également attendu par son électorat, dont une partie est ultranationaliste et hostile à cette ouverture. Dans le sud-est du pays, l’avenir incertain du monastère syrien-orthodoxe Mor Gabriel – le dernier en activité en Turquie – illustre bien cette position en porte à faux et le désir de certains d’effacer toute trace chrétienne (lire notre article).
A Istanbul, le patriarche de Constantinople Bartholomeos Ier confiait au quotidien La Croix ses espoirs pour la communauté chrétienne. Cette année devrait nornalement voir la réouverture du séminaire de Halki.

 

Fondé en 1844 sur une île de la mer de Marmara, au sud-est d’Istanbul, l’institut théologique de Halki a été fermé par les autorités turques en 1971, quand l’enseignement supérieur est devenu monopole d’État. Cette fermeture a lourdement pesé sur la communauté orthodoxe de Turquie. (photo CC)

Face à leur situation ultra-minoritaire, les chrétiens de Turquie s’entraident et dépassent leurs divergences. Dans le quartier de Kadiköy par exemple, depuis 1974, les religieux français partagent leur église avec les syriens-orthodoxes, qui n’ont pas de lieu de culte sur la rive asiatique du Bosphore.

 

Pour certains chrétiens, la Turquie demeure néanmoins un refuge

Malheureusement, la situation des chrétiens en Turquie n’est pas isolée. Les récents attentats en Egypte il y a quelques mois rappellent que dans la majorité des "pays musulmans", les chrétiens ne sont pas entièrement en sécurité. La liberté de conscience, de croyance et de culte est normalement garantie par les États musulmans, surtout quand ils ont adhéré aux conventions internationales sur les droits de l’homme. Mais la réalité est parfois différente. Même la Turquie, réputée laïque, a hérité de ces principes. L’État est loin d’être neutre sur le plan religieux. Fondateur de la Turquie moderne (1923), Kemal Atatürk n’a pas séparé l'Etat de l’islam, religion de la majorité de la population. Il l’a placé sous la tutelle d’un organisme gouvernemental, le Dyanet, responsable de la gestion du culte sunnite.


Trois communautés turques non musulmanes (juive, grecque-orthodoxe et arménienne-apostolique) y sont reconnues comme des “minorités protégées”. Mais elles sont écartées des institutions publiques, soumises à d’incessantes spoliations. Les séminaires du patriarcat oecuménique de Constantinople et des Arméniens ont été fermés arbitrairement il y a trente ans.


Le président turc Fahri Korutürk avait rencontré Jean-Paul II, en visite à Ankara en 1979 (photo CC)

Présente dans l’Empire ottoman dès le XVIe siècle, l’Église latine rend encore aujourd’hui de nombreux services, mais elle est privée de toute reconnaissance, bien qu’Ankara et le Vatican entretiennent des relations diplomatiques depuis cinquante ans. Les autres chrétiens (syriaques, maronites) n’ont aucune existence légale. Les chrétiens sont facilement perçus comme des “ennemis”. Le meurtre de Mgr Luigi Padovese, évêque d’Alexandrette, assassiné le 3 juin 2010 par son propre chauffeur, illustre cette méfiance, tout comme la recrudescence récente des violences contre les chrétiens en Turquie.

Malgré tout cela, la Turquie demeure pour certains un refuge. Ce week-end par exemple, ce sont près de   4 600 chrétiens d’Irak réfugiés en Turquie qui s’apprêtent à fêter Pâques. Dans l’attente d’un pays d’accueil, ils ont souvent fui dans l’urgence de leur pays et vivotent à Istanbul. Alors, l’ancienne Constantinople redevient cette passerelle vers l’Occident, qu’elle a toujours été au cours de son histoire pour les chrétientés.

Lorène Barillot (www.lepetitjournal.com Istanbul) vendredi 22 avril 2011


(1) Certains chercheurs évoquent un nombre beaucoup plus important de chrétiens en Turquie, entre 800 000 et 1 200 000. Ces chiffres sont impressionnants mais semblent vraisemblables à plusieurs spécialistes. Cependant ils sont impossibles à vérifier, parce que depuis 1965 il n’y a plus de statistiques ethnico-religieuses officielles et que beaucoup de Turcs, en renseignant leurs papiers d’identité, écrivent automatiquement “musulman” à la mention religieuse, même s’ils ne le sont pas. Impossibles à vérifier aussi, parce que certains chrétiens, à l’instar des alévis par exemple, seraient prêts à jurer qu’ils sont de bons musulmans, s’ils se sentent en danger et pourraient même aller jusqu’à fréquenter des mosquées.

lepetitjournal.com istanbul
Publié le 22 avril 2011, mis à jour le 14 novembre 2012
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