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Mario Levi au paradis des écrivains stambouliotes…

Le célèbre romancier turc, Mario Levi, nous a quittés le 31 janvier 2024. Ce sympathique auteur, bien connu des Stambouliotes, a parfois été surnommé "le Proust turc", pour son œuvre centrée sur la recherche du passé, ses personnages nostalgiques et son goût des phrases complexes marquées par l’introspection…

Mari Levi dans sa bibliothèque à KadiköyMari Levi dans sa bibliothèque à Kadiköy
Mario Levi dans sa bibliothèque à Kadiköy
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 12 février 2024, mis à jour le 18 mars 2024

Une vie d’écrivain

Né en 1957 à Istanbul, Mario Levi est l’auteur d’une quinzaine de livres et lauréat de plusieurs prix littéraires turcs. Issu d’une famille sépharade venue d’Espagne au XVe siècle, il a été élevé dans un milieu polyglotte, où l’on parlait le ladino, le turc mais aussi couramment le français. Après des études au lycée français Saint-Michel d’Istanbul et un cursus de littérature française, il s’est fait connaître pour ses articles dans de nombreux grands quotidiens turcs, a publié, en 1986, son premier livre, Jacques Brel, un homme seul, puis a enchaîné les romans se déroulant à Istanbul, ce qui ne l’a pas empêché de multiplier les activités : professeur de français, journaliste, animateur de radio, créateur de réclames et professeur à l’Université de Yeditepe. Comment écrivait-il ? Il se couchait tôt le soir puis se levait à trois heures du matin pour écrire au stylo à plume le premier jet de ses textes, qu’il révisait ensuite sur l’ordinateur.

 

Mario Levi, 2018, Association culturelle Turquie-France
Mario Levi, 2018, Association culturelle Turquie-France

 

Le roman Istanbul était un conte, témoignage sur le monde sépharade

Mario Levi est connu en France pour sa saga familiale, Istanbul était un conte, le seul de ses livres traduit en français, paru en 2011 chez Sabine Wespieser, dans une traduction de Ferda Fidan. Ce long roman de 700 pages décrit la vie des membres d’une famille de Juifs stambouliotes sur trois générations, au XXe siècle, entre 1920 et 1980, avec leur univers caractérisé par l’usage du ladino et du yiddish, certains venant aussi d’Alexandrie, de Vienne ou d’Odessa. Le roman comporte 47 personnages présentés non pas dans l’ordre chronologique mais en fonction d’un lien intrinsèque qui les relie et qui est bien souvent leur blessure secrète, dans une atmosphère nostalgique où le goût, les odeurs, les objets familiaux et les vieilles photos des albums occupent une grande place. Le narrateur est le témoin mais parfois aussi l’acteur de certaines anecdotes qu’on a racontées à l’auteur et qu’il a mises bout à bout pendant sept ans. Mario Levi disait construire un puzzle dont le lecteur devait reconstituer les morceaux et élaborer le destin de la ville à travers celui de ses personnages. Il précisait que la plupart de ces histoires lui avaient été "léguées". Car pour lui, c’est la littérature qui conserve le mieux les vérités de l’Histoire ; le roman permet de raconter ce que l’on n’y dit pas, voire ce qui est caché volontairement. Il se sentait aussi, dans ses livres, la responsabilité d’écrire la ville avec ses profondeurs ; pour écrire, "il faut qu’il y ait des conflits", pensait-il… mais à la condition de bien en comprendre le mécanisme subtil.

 

Roman Istanbul était un conte

 

Dans plusieurs entretiens avec des journalistes, Mario Levi a déclaré qu’il était peut-être le premier auteur turc à avoir revendiqué son appartenance à la culture juive. Il considérait le fait d’appartenir à une minorité ayant connu l’exil comme le fondement de son écriture. Pourquoi ? Parce que cette situation donne un "sentiment de perte", une impression d’être toujours "à la périphérie" qui a besoin d’être exprimée, car les minorités vivent toujours avec la crainte de devoir tout quitter un jour… Cela lui a permis aussi d’éprouver de l’empathie envers tous ceux qui ont des difficultés à s’adapter aux normes de la société ou que l’on considère comme des "étrangers"…

Istanbul, sa ville de cœur

Même s’il a voyagé voire séjourné dans d’autres pays, dans une interview donnée à Colette Fellous, en 2011, sur France Culture, Mario Levi affirmait que son souhait était de passer toute sa vie à Istanbul. Il citait quelques lieux dans lesquels il aimait se promener en quête d’inspiration : la place de Taksim, parce que son histoire mais aussi les drames qui s’y sont déroulés, en font un lieu de littérature ; l’avenue Istiklal Caddesi à Beyoğlu, où il puisait son énergie, car le mélange des cultures, manifeste dans la présence conjointe des églises, des synagogues et des mosquées, y donne une idée de la profondeur de l’Histoire de la cité ; et le quartier de Kadiköy, avec son célèbre marché mais aussi la gare d’Haydarpaşa, l’une des seules du monde à être sur la mer et d’où l’on peut contempler le merveilleux panorama sur la péninsule historique d’Istanbul.

 

Haydarpaşa
Gare d'Haydarpaşa

 

Il pensait que même si cette caractéristique s’était amoindrie au XXe siècle avec la montée des nationalismes, c’était la mixité culturelle, dont il ne cessait de faire l’éloge, qui constituait la véritable identité de la ville. Nourri de culture française, bercé par les chansons de Charles Aznavour, Salvatore Adamo et Enrico Macias, il se considérait pétri de ce mélange : "Je pense comme un occidental mais avec des sentiments orientaux."

Quand on lui demandait d’où il se sentait, il répondait : "C’est la langue turque qui est ma patrie". Dans une récente interview, il déclarait : "Je ne peux rompre ni avec mon judaïsme ni avec mon universalité ; ce que m’a apporté le fait d’être juif, ce que je ressens en entendant l’appel à la prière chaque matin, l’odeur des bougies allumées dans l’église et tout ce que les cultures différentes m’ont offert, j’appelle ça Istanbul"…

Il avait dit que c’était à Istanbul qu’il voulait rendre son dernier souffle, ce vœu a été exaucé mais il continuera à vivre d’une autre façon, à travers ses écrits porteurs d’un message de tolérance et de paix…

 

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