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FARUK BILICI – Comment les Ottomans ont-ils réagi à l’Expédition d’Égypte de Napoléon Bonaparte?

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 22 avril 2015, mis à jour le 8 février 2018

Dans le cadre des rencontres organisées par l’Association culturelle Turquie-France ce mardi, Faruk Bilici, professeur à l’INALCO et chercheur à l’IFEA (Institut français d’études anatoliennes), proposait une conférence sur “l’Expédition d’Égypte de Napoléon Bonaparte et la réaction des Ottomans”. Faruk Bilici l’a précisé : il ne s’agit pas de “redire l’histoire” de l’Expédition d’Égypte mais de mettre en lumière la réaction ottomane face à l’attaque de la France, allié historique, dans ce lieu symbolique qu’est l’Égypte.

Dans la tradition historiographique, l’Expédition d’Égypte concerne exclusivement la France et la Grande-Bretagne. Or l’Empire ottoman est directement concerné par cette opération militaire puisque l’Égypte est une province qui lui appartient à cette époque, qui plus est étroitement liée à la Sublime Porte. Beaucoup plus liée, d’ailleurs, que le Maghreb à cette époque, précise l’historien. La tripolitaine du Maghreb était plus autonome que l’Égypte.

Après la guerre de sept ans, le Traité de Paris est signé en 1763. Ce sera probablement l’élément

déclencheur : le monde est partagé entre la France et la Grande-Bretagne. L’empire britannique sort vainqueur et domine les mers jusqu’à la fin du 19ème siècle, même si l’indépendance américaine va venir affaiblir son influence. La France est une puissance coloniale qui perd aussi des territoires en Amérique (au nord et au sud). Les regards sont alors tournés vers l’Orient et la Méditerranée, où les luttes d’influence territoriales et économiques se concentrent, explique-t-il. Puis la Révolution française arrive et bouleverse complètement la carte européenne sur les plans  idéologique et politique. Toute l’Europe se sent menacée par cette révolution, en particulier la Grande-Bretagne et l’Autriche, qui forment une coalition jusqu’en 1796.

L’historien (photo SD) évoque ensuite le Traité de Campo-Formio signé le 18 octobre 1797. C’est un autre partage de l’Europe, notamment centrale et du sud (Italie) entre les deux grandes puissances que sont la France et l’Autriche. La Grande-Bretagne, quant à elle, ne signe pas et opère un blocus maritime qui encercle la France: la Grande-Bretagne tient l’océan Indien, la mer Méditerranée, l’Atlantique et la Manche. La France se tourne alors vers l’intérieur des terres. Ce traité organise le partage des territoires vénitiens, sur la terre pour la France, et en mer pour l’Autriche. L’Italie est divisée en trois républiques et les Français, qui obtiennent les îles grecques, deviennent les voisins des Ottomans pour qui ce voisinage est terriblement inquiétant. En effet, explique l’historien, les révolutionnaires français installés dans cette région veulent proclamer les valeurs de la Révolution française telle que l’auto-détermination des peuples. D’autant plus que l’Empire ottoman peine à maintenir en paix ses différents territoires…

Une expédition secrète

À cette époque, l’Empire ottoman, c’est 2,5 millions de kilomètres carrés, une population importante (dans les Balkans essentiellement chrétiens, et ailleurs musulmans) et une soixantaine de langues parlées. L’Empire est une puissance importante et sous-estimée par les armées révolutionnaires (françaises), selon l’historien. À la tête de cet empire se trouve un contemporain de la Révolution, le Sultan Selim III. Il communiquait avec son contemporain Louis XVI par l’intermédiaire d’un ambassadeur sur place, Moralı Seyyid Ali Efendi. Selim III est le premier grand réformateur de l’Empire sur les plans militaire, politique, social et économique. Cette modernisation se réalise grâce à des conseillers militaires français. Un personnage a voulu faire partie de ces conseillers, relève l’historien : Napoléon Bonaparte

L’expédition était un secret, à tel point que l’ambassadeur de l’Empire ottoman en France lui-même n’avait pas connaissance de cette opération. Il n’a été su que le 6 octobre 1798 que les Français étaient en Égypte alors qu’ils avaient déjà occupé le Caire. C’est à cette époque que dans une lettre, l’ambassadeur fait savoir au sultan que les Français ont occupé Malte. Il l’informe d’autre part que Napoléon a fait libérer des prisonniers musulmans aux mains des chevaliers de Saint-Jean de Malte. Evénement tenu secret pour tout le monde. C’est seulement après la prise de Malte que Napoléon Bonaparte informe – et seulement à demi mot – les soldats de l’Expédition d’Égypte: “soldats, vous avez réussi de grandes choses sur la terre, désormais nous allons affronter les mers”. Fort de 50.000 hommes et de 400 navires, Napoléon Bonaparte possède l’une des marines les plus puissantes du monde et concentrée en méditerranée.  

La réaction ottomane et la signature du Traité d’alliance offensive et défensive

Depuis toujours dans la tradition historiographique, l’Expédition d’Égypte est à la fois une expédition militaire et économique mais c’est aussi une expédition idéologique, précise-t-il. L’Égypte était depuis toujours un mythe, un pays à conquérir. Les intellectuels, les politiques et les voyageurs n’ont cessé de rêver de la conquête de l’Égypte. Car c’est en quelque sorte la mère des civilisations du monde, mais aussi, comme on dit en arabe, “oum dunya” (la mer de la vie). L’Égypte est le symbole de la fertilité grâce au Nil et cette province possède des richesses insoupçonnées dans tous les domaines.

Le Général Bonaparte et son état-major en Égypte, Jean-Léon Gérôme, 1867

Les évènements s’accélèrent et l’Empire ottoman n’a pas le temps de réagir. L’expédition d’Égypte a créé une sorte de “mini guerre mondiale”. Une seconde coalition qui se mettra en place, cette fois entre l’Empire ottoman et… les Russes ! Les Ottomans mèneront une action diplomatique (externe) mais aussi action politique (interne), via notamment la mobilisation des ressources. Cette expédition, qui a débuté après la prise de Malte, a abouti après la prise d’Alexandrie le 1er juillet 1798. Les Ottomans restent inquiets et alertés car personne ne sait vers où se dirige la flotte puissante de Napoléon, tout le monde veut comprendre. Les britanniques se présentent à Alexandrie le 29 juin, avec une lettre qui affirme qu’ils ont besoin de ravitaillement et que la flotte française risque de débarquer d’un moment à l’autre. Or, les lettres envoyées par le sultan dans les différentes provinces prennent trop de temps à arriver et pendant que les Britanniques se ravitaillent à Chypre, Napoléon débarque à Alexandrie. La ville est occupée mais les gouverneurs restent dubitatifs car ils pensent que le sultan est au courant de l’arrivée de l’armée française. Le commandant, Mohamed Koraïm envoie une délégation avec des cadeaux sur le navire l’Orient, où se trouve Napoléon Bonaparte pour lui souhaiter la bienvenue. Il s’agit d’un grand mal entendu, raconte l’historien, que l’art a ensuite embelli, notamment à travers la peinture. Mais l’Expédition d’Égypte menée par Napoléon Bonaparte tourne au drame, raconte l’historien, et les Français vont créer leur propre prison lorsque les Britanniques, à la recherche de l’armée française le 30 aout 1798, l’encerclent à Aboukir. La flotte française est détruite en quelques heures.

L’une des conséquences de cette expédition est de mettre les Ottomans dans les bras des Russes, explique-t-il. “Ces ennemis héréditaires” signent pour la première fois un traité d’alliance offensive et défensive. Pour la première fois aussi, l’armée russe traverse le Bosphore librement. Sous le regard ébahi de la population, d’ailleurs, très dubitative et très en colère… Les Russes sont aussi inquiets et intéressés que les Ottomans par la Méditerranée et la mer Égée. Ces deux ennemis et puissances constituent ensemble une flotte commune pour prévenir des attaques éventuelles au niveau des Dardanelles et de la mer Égée. Mais cette flotte servira surtout à récupérer les territoires occupés par l’armée française grâce au Traité Campo-Formio, selon l’historien. Car l’Empire s’essouffle : s’il possède de nombreuses provinces, il n’a pas les ressources nécessaires pour toutes les protéger. D’ailleurs, il arrive souvent que les rois français bombardent Tunis ou Alger, même si la France et l’Empire ottoman sont de grands alliés depuis François 1er, raconte Faruk Balici L’opération menée par Napoléon Bonaparte en Égypte a mis en lumière les carences d’un empire affaibli de l’intérieur.

Le 25 juin 1802, la France et l’Empire ottoman signent un Traité de paix à Paris et l’ancienne alliance turco-française est en quelque sorte de retour !

Shadia Darhouche (www.lepetitjournal.com/Istanbul) jeudi 23 avril 2015

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Publié le 22 avril 2015, mis à jour le 8 février 2018

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