Lorsque l’on parle du yoga en Inde, on imagine souvent une pratique uniforme, figée dans le temps et représentée par une posture de méditation connue sous le nom de Sukhasana (la posture assise).


La réalité diffère des clichés et finalement on peut définir le yoga en Inde comme un ensemble de traditions vivantes qui se sont nourries des cultures locales, des expériences de vie des maîtres yogis ainsi que des paysages où elles ont vu le jour. Le même mot recouvre une incroyable diversité: le Nord, les rives du Gange invitent à la méditation, au calme et à la dévotion, tandis que dans le Sud, Mysore ou Pune ont façonné des écoles où la rigueur, la discipline et l’intensité physique dominent.
Voyager à travers l’Inde à la recherche de yoga, c’est en fait traverser des mondes radicalement différents.
Le souffle du Hatha à Rishikesh
Difficile de ne pas commencer par Rishikesh, village situé au pied de l’Himalaya, terre d’accueil des Beatles dans les années 60, et souvent surnommée la “capitale mondiale du yoga”. Ici, le Hatha Yoga est partout. Dans les ashrams au bord du Gange, dans les salles de méditation aux murs blancs, ou encore des cours improvisés sur les toits.
Le Hatha est un yoga d’équilibre visant à balancer les différentes énergies (Ha signifie soleil, et Tha lune faisant références aux forces masculines et féminines) : les postures sont accessibles, la respiration est profonde, et l’objectif toujours le même, la purification. Rien de spectaculaire, mais une fondation solide avant d'explorer d'autres pratiques. Ce n’est pas un hasard si les voyageurs en quête de spiritualité viennent dérouler leur tapis ici. Le cadre invite à ralentir : les montagnes, la fraîcheur de l’air, le fleuve sacré… Tout invite à la contemplation et pousse à tourner le regard vers l’intérieur.

Mysore, la discipline selon K. Pattabhi Jois
Descendons vers le sud. À Mysore, dans l’État du Karnataka, le yoga a pris une forme radicalement différente. Ici est né l’Ashtanga Vinyasa Yoga, grâce à Sri K. Pattabhi Jois. C’est un yoga exigeant, physique, codifié en séries précises de postures qui s’enchaînent avec la respiration. Le principe de l’Ashtanga est simple, une respiration équivaut à un mouvement.
Dans les salles de Mysore, on ne suit pas un cours collectif au sens classique. Chacun pratique à son rythme, sous l’œil attentif du professeur qui intervient parfois pour modifier la posture ou guider l’élève. Le silence est seulement rompu par le souffle des élèves. C’est intense, quasi militaire mais pour beaucoup c’est une école de discipline et de transformation.

Pune et la précision de l’Iyengar
À quelques centaines de kilomètres, à Pune, un autre maître issu de la même lignée, B.K.S. Iyengar, a pris une voie différente. Iyengar Yoga met l’accent sur la précision du geste, l’alignement corporel, et l’usage d’accessoires pour faciliter cet alignement. Des sangles, des blocs, des cordes ou même des chaises : autant d’outils pour aider chacun à entrer dans une posture en toute sécurité et à en tirer le maximum.
Le centre de Pune est devenu un lieu de référence mondiale. Ceux qui y viennent repartent souvent avec une nouvelle compréhension du corps humain. L’approche est rigoureuse, mais loin d’être froide : c’est une pédagogie qui a rendu le yoga accessible à des millions de personnes qui, sans cela, auraient cru qu’il n’était pas fait pour elles.

Le Bihar et la conception intégrale de Satyananda
À l’est, dans l’État du Bihar, le yoga prend encore une autre dimension. Swami Satyananda Saraswati a fondé une école: le Bihar School of Yoga. Ici, pas de cloison entre les pratiques et l’on enseigne aussi bien les postures que la respiration, les kriyas (techniques de purification), la méditation, mais aussi le service désintéressé (seva) et l’étude des textes sacrés.
C’est une approche globale, qui ne sépare pas seulement le corps, mais aussi le mental et l’esprit. Beaucoup de ceux qui passent par cette école racontent que ce n’est pas seulement un centre de yoga, mais un lieu de vie qui change profondément notre perspective sur le monde.
Le yoga Kundalini dans le Nord: La force énergétique décuplée
Plus au nord, dans le Punjab et les régions imprégnées de tantrisme, on trouve les racines du Kundalini Yoga. C’est un yoga de l’énergie. Par des séries de mouvements, des respirations intenses, des chants de mantras, on cherche à éveiller la “kundalini”, cette force qui se manifeste à travers la colonne vertébrale.
Ce n’est pas un yoga discret. Les séances sont souvent puissantes, émotionnelles, presque cathartiques. Pour certains, c’est une voie vers l’éveil spirituel ; pour d’autres, une manière de libérer des blocages profonds.

Les formes les plus philosophiques du yoga : Bhakti, Karma, Jnana, Raja
Il serait réducteur de ne parler que de postures. Dans de nombreuses régions de l’Inde, surtout dans le Nord, d’autres formes de yoga continuent à rythmer la vie quotidienne :
- Le Bhakti Yoga, la voie de la dévotion, se vit dans les temples de Vrindavan, où chants et prières occupent chaque ruelle.
- Le Karma Yoga, la voie de l’action désintéressée, s’expérimente dans les ashrams, où les tâches quotidiennes deviennent des actes spirituels.
- Le Jnana Yoga, plus intellectuel, est encore étudié dans les écoles philosophiques du sud de l’Inde.
- Le Raja Yoga, centré sur la méditation et le contrôle du mental, attire ceux qui choisissent de s’isoler dans les montagnes de l’Himalaya.
Tirées de la Bhagavad Gita, l’une des scriptures fondatrices du yoga, ces voies ne sont pas toujours visibles aux yeux du voyageur pressé, mais elles irriguent en profondeur la culture indienne.
Deux visages du yoga : Nord et Sud
On pourrait simplifier en disant que le Nord de l’Inde invite à la contemplation. Rishikesh, Haridwar ou Varanasi sont des lieux de retraite, de silence, de recherche intérieure. Le Sud, lui, a donné naissance aux grandes écoles modernes, plus physiques et structurées, où le yoga s’est réinventé pour répondre au monde contemporain.
Bien sûr, cette frontière n’est pas hermétique. Mais elle illustre deux atmosphères complémentaires : d’un côté, le yoga comme quête spirituelle, de l’autre, le yoga comme discipline du corps et de l’esprit.
Un voyage à travers un paysage yogique varié
Ce qui rend le yoga indien si riche, c’est qu’il n’existe pas une forme de yoga, mais une constellation de pratiques. Chaque région raconte sa propre histoire, chaque maître a ajouté une nuance. Le voyageur qui passe de Rishikesh à Mysore, de Pune au Bihar, découvre bien plus que des postures : il découvre une Inde où le yoga continue d’être vivant, multiple, et profondément enraciné dans le quotidien des locaux.
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