C’est bien connu, le Tamoul est une des langues officielles de Singapour en raison de la grande population d’origine indienne qui a fait de cette île son domicile à travers ces derniers siècles. Mais savez-vous que l’origine du mot Singapour vient de “Sinha” et “Pura” (Ville du Lion) soulignant la connexion entre ces deux pays ? Et que la référence la plus ancienne date du XIIe siècle ?
Les annales du 15ème siècle des rois malais, Sejarah Melayu (les Annales malaises), racontent l'histoire de la fondation de Singapour et ses connexions avec le légendaire roi nommé Shulan de Kalinga.
L'un des récits les plus complets de l'histoire ancienne de Singapour a été rédigé par un archéologue et historien de renom de la National University of Singapore, John N Miksic. Dans son livre intitulé Singapore and The Silk Road of the Sea 1300-1800 (2013), Miksic mentionne comment l'importance historique de Singapour découle de sa situation géographique stratégique, à la pointe sud de la péninsule malaise.
Pendant des siècles, la péninsule malaise, Singapour et les îles de la Sonde (en Indonésie) ont joué un rôle important entre les cultures chinoises et indiennes en Asie du Sud-Est. Les vents de l'Océan Indien ont amené les commerçants indiens transportant du coton, de la mousseline, de la ferronnerie et de l'encens, tandis que la mer de Chine méridionale a amené les marchands chinois vendant de la soie, du damassé, de la porcelaine et de la poterie. Miksic appelle ce commerce "The Silk road of the Sea" (la route de la soie de la mer).
Ces routes commerciales, régies par les rythmes maritimes des vents, ont également permis à Singapour de devenir une escale essentielle pour les premiers voyageurs qui ont fini par y passer beaucoup de temps (jusqu'à quelques mois à la fois) ainsi que dans la péninsule malaise. Cela a entraîné des mariages entre voyageurs (indiens et chinois) et des femmes malaises et a conduit à des échanges transculturels se reflétant dans le patrimoine matériel et immatériel des deux régions, même aujourd'hui. Les anciens commerçants et voyageurs indiens, impressionnés par la richesse et la prospérité de la région élargie de l'Asie du Sud-Est, ont donné à Singapour le nom de "Suvarnadwipa" ou “Island of Gold”.
Les chroniques antérieures au XIIIe siècle désignent l'île de Singapour sous le nom de “Temasek” ou “Sea Town”. Du VIIe au XIIIe siècles, elle faisait partie de l'empire Srivijaya, qui régnait sur de grandes parties de Java, de Sumatra et de la péninsule malaise. C'était l'un des empires maritimes les plus riches et les plus puissants à émerger en Asie du Sud-Est, contrôlant les routes commerciales maritimes entre l'Inde et la Chine. Les ports de l'empire Srivijaya, y compris Temasek, étaient importants non seulement pour le commerce, mais aussi pour les moines bouddhistes et les étudiants, qui voyageaient entre l'Inde et la Chine.
L'une des plus anciennes reliques qui prouve les liens anciens entre l'Inde et Singapour est la "Pierre de Singapour" - un fragment d’une roche gravée d’une inscription qui obstruait une partie de l’embouchure de la rivière Singapour. Les Britanniques l’ont fait exploser pour élargir le passage. Les fragments retrouvés, conservés au Musée National de Singapour, révèlent que l'inscription est dans l'une des langues indiennes - sanskrit, tamoul ou vieux javanais et remonte entre le Xe et XIIIe siècles. Malheureusement, le texte n’a pas été déchiffré et c’est ainsi qu’une partie cruciale de l'histoire de Singapour nous reste inconnue.
C’est au XIIIe siècle que l’île fut connue sous le nom de “Singhapura” ou “La Cité des Lions”. En 1436, un auteur inconnu vivant dans le port de Malacca a compilé une chronique des Rois Malais connus sous le nom de Sejarah Melayu ou Les Annales malaises. Selon un conte mentionné dans les annales, Raja Shulan de Kalinga en Inde, un descendant d'Alexandre le Grand, partit à la conquête de la Chine et s’embarqua avec une grande armada navale. Lorsqu'il s'arrêta sur l'île de Temasek, un espion envoyé par des Chinois inquiets lui fit croire que la Chine était trop loin. Raja Shulan épousa une princesse et s'y installa.
Selon les Annales malaises, en 1299, le descendant de Raja Shulan, Sang Nila Utama, est arrivé sur l'île, vit un lion et nomma cet endroit “Singapura”. Bien que certaines parties de l'histoire soient sans aucun doute fantastiques, elles indiquent néanmoins un lien étroit.
Miksic partage également des perspectives intéressantes sur ces Annales malaises et l'histoire. Par exemple, il pense que l'histoire de l'expédition navale de Raja Shulan peut avoir été basée sur un souvenir persistant de l'expédition du roi Chola, Rajendra Chola I, qui a lancé une attaque contre l'empire Srivijaya en 1025. Les Annales affirment que Shulan était de “Nagipatnam dans le pays Kalinga” se référant à Nagapattinam dans le Tamil Nadu actuel.
En outre, le roi Shulan aurait également conquis le royaume de “Gangga Syah Nagara”, que les Annales situent à Perak en Malaisie. Fait intéressant, Rajendra Chola I avait conquis les régions autour du fleuve Gange et avait fondé la ville de Gangaikondacholapuram (ville du conquérant du Gange) comme capitale. Cela corroborerait les connexions entre Rajendra Chola I et le Roi Shulan des légendes malaises.
Miksic souligne que les Annales malaises démontrent le rôle de Temasek ou de Singapour en tant que lieu traditionnel de rencontre des visiteurs de la Chine et de l’Inde.
Selon Miksic, "Singapura" était un nom assez courant pour les villes dans le monde des langues indo-européennes. Il apparaît dans les contes bouddhistes de Jataka et dans certaines versions du Ramayana, il représente l’endroit le plus reculé dans lequel le Dieu Rama est parti à la recherche de Sita. En conclusion, Miksic pense que la transformation de Temasek en Singapour, au XIVe siècle, a fait partie du processus de “sanskritisation” de la région à travers plusieurs couches d’influence indienne.
Les Annales malaises déclarent que sous les descendants de Sang Nila Utama, “Singapour est devenue une grande ville, dans laquelle de nombreux étrangers se sont rendus, de sorte que la renommée de la ville et sa grandeur se sont répandues à travers le monde”. Elles indiquent que c'est le cinquième descendant d'Utama qui s’est converti à l'islam vers 1389-91 et a pris le nom du Shah Iskander.
Malheureusement pour Singapour, il déplaça sa capitale à Malacca en Malaisie ce qui entraîna le déclin politique de la ville. Cependant, la ville garda sa place au sein des échanges commerciaux. A titre d’exemple, les musulmans du Gujarat et les prédicateurs soufi en provenance d’Inde continuèrent à s’y rendre ce qui contribua à la diffusion de l’islam dans cette région. Cependant, en 1613, les Portugais incendièrent les bâtiments à l’embouchure de la rivière Singapour et l’endroit tomba dans l’oubli.
Une nouvelle phase de l’histoire de Singapour débuta en 1819 (200 ans plus tard) quand Sir Stamford Raffles établit une représentation de la East India Company sur l'île. Lorsque les Anglais y jetèrent l’ancre, Singapour renoua des relations avec l’Inde, mais sur de nouvelles bases. Les anciens liens furent complètement oubliés.
Article rédigé à quatre mains par Catherine Zaccaria LPJ Singapour et Isabelle Bonsignour LPJ Bombay
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