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Inde : Récit des toilettes de Radha, un symbole de dignité

Dans ce récit rédigé à la première personne, le Docteur Paul nous explique le combat de Radha, sa femme de ménage, pour s’équiper de toilettes. Cette commodité qui nous semble acquise et allant de soi reste pour nombre de femmes en Inde un symbole de dignité.

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Écrit par Frédérique Brengues-Rolland et Docteure Merine Paul
Publié le 7 novembre 2025, mis à jour le 10 novembre 2025

 

 

La première chose que je remarquais chez Radha c'était son air renfrogné, buté et presque hostile à mon égard. Je venais à peine d'ouvrir mon cabinet et le recrutement du personnel nécessaire à son bon fonctionnement s'avérait bien plus difficile que je ne l'avais imaginé. Après bien des efforts, la plupart des postes enfin pourvus, il me manquait toujours une employée de maison. Quelqu’un me parla alors d’une femme : une travailleuse, toujours ponctuelle et fort sérieuse à défaut hélas d’être aimable... N’ayant guère d’autre choix, je me décidais à recevoir Radha.

 

 

L’histoire de Radha illustre la lutte invisible de millions de femmes indiennes pour l’hygiène et la dignité. En Inde, depuis le lancement du programme « Swachh Bharat Abhiyan » (Inde propre) en 2014, des millions de foyers vivent encore sans sanitaires adéquats, exposant surtout les femmes à la vulnérabilité, à la maladie et surtout à l’humiliation. Le 19 novembre célèbre d'ailleurs la Journée mondiale des toilettes et vise à sensibiliser le public sur le rôle cruciale qu'elles jouent pour les populations

 

 

Radha, une drôle d’embauche

Après m’avoir jaugée attentivement, Radha comprit tout de suite que je débutais dans ce nouveau statut d’employeur. Sans hésitation et avec même un peu de brutalité, elle énonça toutes ses conditions : tarif horaire, tâches qu’elle accepterait d’effectuer, celles qu’elle déclinerait et surtout, l’absolue obligation de ne recevoir d’ordres de personne d’autre que de moi. Assez impressionnée par sa détermination, je l’engageais.

Radha se révéla rapidement querelleuse. C’était pour des broutilles qu’elle se disputait souvent avec les autres employés et avec moi, elle n’était jamais agréable non plus. J’avais régulièrement envie de la remplacer, mais pour une raison que je ne m’expliquais pas, je ne passais jamais à l’acte.

Avec le temps, elle devint très efficace et presque agréable. Elle avait cependant l’habitude de me réclamer sans cesse des augmentations de salaire. Je lui refusais. Bien déterminée à obtenir ce qu’elle voulait, Radha opta pour une autre tactique. Elle me demandait régulièrement des avances que je finissais par accepter. Intriguée cependant par ces requêtes devenues de plus en plus pressantes et qui dépassaient de loin le montant de son salaire, je finis par lui en demander la raison. Elle s’assit par terre et avec beaucoup d’hésitations me raconta ce qui suit :

 

 

 

les toilettes en Inde, un rêve

Radha venait d’une famille modeste. Après la mort de ses parents alors qu’elle était encore très jeune, ses frères conclurent pour elle un mariage avec un forgeron du voisinage. En possession de la dot de sa femme et de ses bijoux en or, le nouveau mari parti dans le golfe persique pour y travailler. Atteint peu après d’une grave maladie, il fut obligé de tout abandonner pour revenir définitivement dans son foyer.

Privée des revenus de son mari désormais invalide, Radha éleva seule ses deux fils dans une petite cabane construite sur un terrain à son nom. Elle subvenait aux besoins de tous avec son salaire de domestique et économisait tout ce qu’elle pouvait pour faire construire des toilettes, dont elle rêvait. Elle m’expliqua que c’est pour cela qu’elle avait besoin d’argent : pour ses toilettes. Touchée par cette histoire j’acceptais de lui prêter l’argent dont elle avait besoin et fut ravie d’apprendre que les toilettes tant attendues siégeaient enfin au milieu de son jardin.

Mais le destin continuait de s’acharner sur elle. Son fils aîné venait d’épouser en secret Leena, une chrétienne. D’abord furieuse, Radha accepta la présence de sa belle fille à la maison et finit même par l’apprécier. Instruite et travailleuse, Leena apportait stabilité et respectabilité au foyer. Ensemble, elles décidèrent même de faire construire une nouvelle maison.

 

 

"Ce que Dieu a repris"

Pour financer les travaux, elles sollicitèrent l’aide de l’employeur de Leena ; un homme d’affaires tamoul qui leur proposa un prêt en échange des titres de propriété du terrain. Elles acceptèrent sans se douter du piège dans lequel elles allaient tomber. L’homme utilisa les documents pour garantir un emprunt bancaire à son nom et fit faillite. Désormais responsable de la dette, Radha allait tout perdre.

Soutenue par un avocat, elle fut autorisée à conserver la propriété de la moitié de son terrain mais fut contrainte de céder l’autre partie pour rembourser la banque. L’ombre d’un sourire sur les lèvres, Radha me dit bien tristement :

« Madame, j’ai travaillé toute ma vie pour construire des toilettes. Dieu a dû penser que je n’en étais pas bien digne puisqu’il me les a reprises. Elles se trouvent justement sur la moitié du terrain que j’ai dû vendre. Mais ce n’est pas grave puisqu’il m’a laissé la santé Je vais continuer de travailler dur. Avec un peu de chance et avant de mourir, peut-être que je les aurais un jour mes toilettes. »

 

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Le rêve de Radha : pouvoir avoir des toilettes 

 

 

 
 
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