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Don d'organes : à la recherche de donneurs en Inde

En matière de greffe d'organes, en 2022, la France affichait un taux de 25 donateurs par million d'habitants. En Inde, ce chiffre était de 1. Faisons le point sur la situation.

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Image : France Assos Santé
Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 29 juillet 2024, mis à jour le 29 juillet 2024

En 2023, l'infirmière espagnole María Teresa Fernández est décédée subitement lors d'un voyage organisé en Inde. Après la confirmation de son état de mort cérébrale, ses enfants adultes ont décidé de respecter le souhait de leur mère de devenir donneuse d'organes. Ainsi, après que la famille ait achevé les derniers rites à Mumbai, l’hôpital a entamé la procédure de greffe d’organes. Grâce à ce geste inestimable en période de deuil, la famille a permis que son cœur, ses poumons, son foie et ses reins soient donnés à des patients locaux, sauvant ainsi plusieurs vies.
 

L'Inde : mauvaise élève en matière de don d'organes

L’Espagne est actuellement le leader mondial en matière de greffes d’organes. En 2022, l’Espagne comptait 48 donateurs par million d’habitants, un taux supérieur à celui de tout autre pays au monde. En comparaison, la France affiche un taux de 25, tandis qu'en Inde, ce chiffre est d'environ 1.

Si vous êtes citoyen espagnol et avez besoin d’une greffe, vous avez 95 % de chances d’en obtenir une. La situation est bien différente en Inde, et particulièrement à Mumbai où Mme Fernández est décédée et où sa famille a fait don de ses organes. Selon une étude de la Centrale régionale de coordination des transplantations au Maharashtra, l’État dont Mumbai est la capitale, au cours des 24 dernières années, seulement 10 % des patients inscrits pour une greffe ont pu obtenir un organe.

 

Organes prêts à donner
Image : Freepik

 

Le don d'organe en Espagne

En Espagne, selon la législation actuelle, toute personne qui ne s'est pas explicitement opposée au don d'organes est considérée comme donneur potentiel. Cependant, dans la pratique, les familles sont toujours consultées pour confirmer si le patient souhaitait devenir donneur.

Mais en Espagne, très peu de familles s’opposent au don. En fait, selon une enquête réalisée en 2018, seulement 8 % de la population espagnole était en désaccord avec l'hypothétique don de leurs organes après leur décès. Cet engagement en faveur du don d’organes post mortem a contribué de manière significative au succès de l’Espagne dans ce domaine.
 

Le don d'organes en France

Depuis l’approbation de la Loi Caillavet en 1976, en France, comme en Espagne, tous les adultes sont présumés donneurs d’organes, à moins qu’ils ne se soient expressément déclarés opposés au don. Les mineurs et les personnes sous tutelle d’autrui, comme les personnes handicapées mentales, ne sont pas concernés par cette présomption.

La Loi Caillavet a été introduite pour remédier à la pénurie de dons d'organes par rapport au nombre de patients nécessitant une greffe. Cependant, cette loi ne s'applique pas aux étrangers décédés sur le territoire français. Dans ces cas, la loi du pays d’origine de la personne décédée prévaut. Cela signifie que si une personne n’a pas exprimé sa volonté de devenir donneur d’organes dans un pays d’origine où le consentement explicite est nécessaire, comme en Inde, le consentement ne sera pas présumé, contrairement à ce qui est pratiqué pour un citoyen français.
 

Transfusion de sang
Image : Vectoportal


Bien que la loi en France ait également été un succès, elle n'égale pas les accomplissements du système espagnol. L’année dernière, avec son système de don d'organes, l'Espagne a réalisé un exploit avec un taux de patients greffés par million d'habitants de 112, tandis qu’en France, le taux est de 81, ce qui place tout de même le pays parmi les leaders mondiaux dans ce domaine. En revanche, la situation en Inde est tout à fait différente.
 

Réglementation en Inde et situation sur le terrain

Bien que l’Inde soit le deuxième pays au monde en termes de nombre de greffes d’organes effectuées chaque année, ce chiffre reste très faible par rapport à la population indienne, de plus en plus nombreuse, qui a besoin d’un organe. Il est important de noter que, si un rein ou un foie peut être donné par une personne vivante, des organes comme le cœur ou les poumons doivent provenir d’un donneur en état de mort cérébrale.

Par exemple, pour les patients atteints de maladies rénales chroniques, dont la greffe d'organe est la seule solution à long terme pour améliorer la qualité et l'espérance de vie, les chances de recevoir une greffe sont très minces. L'insuffisance rénale touche désormais des centaines de milliers de personnes à travers le pays. La prévalence du diabète, de la malnutrition et du mauvais assainissement augmente le risque de souffrir de cette maladie et d'avoir besoin d'un don d'organe. Dans certains États, l'ingestion de rodenticides contenant du phosphore jaune est une autre cause majeure d'insuffisance rénale, touchant des milliers de personnes.

La situation est devenue si grave que dans une récente lettre du ministre de la Santé de l'Union (Union Minister of Health and Family Welfare), il a été déclaré que la défaillance des organes vitaux était devenue une crise sanitaire. En réponse, un formulaire d'enregistrement du consentement au don d’organes a été mis en ligne sur le portail de l’Organisation Nationale Indienne de Transplantation d’Organes et de Tissus pour sensibiliser le public à la nécessité de s’inscrire en tant que donneur d’organes.


 

Dessin de salle d'opération
Image : Freepik

 

Au Tamil Nadu, l'un des États leaders en matière de greffe d'organes, le gouvernement a décidé depuis 2023 d'offrir les honneurs de l'Etat aux défunts ayant donné leurs organes. Cette initiative vise à encourager le don et à sensibiliser le public, incitant ainsi la population à s'inscrire sur le site Internet de l'autorité nationale pour les transplantations. Cependant, pour les volontaires indiens, ce formulaire d'engagement signé ne suffit pas. La famille doit également donner son consentement éclairé aux médecins et aux hôpitaux pour que tout don d'organes ait lieu.
 

La perception de la population sur le don d’organes

L’idée de donner des organes n’est pas évidente parmi la population indienne. Même l’idée de donner du sang de manière altruiste n’est pas largement acceptée. Divers obstacles entravent un changement majeur de perception, notamment le faible niveau d'éducation dans certaines régions, les pratiques religieuses et la méfiance de la population envers la clarté et l'équité des procédures.

De plus, depuis quelques temps, certains sites web et groupes de médias sociaux offrent illégalement beaucoup d’argent pour des reins et d’autres organes. Un article publié au nom d'un hôpital populaire du Karnataka offrant 600.000 euros pour un rein répondant à certaines caractéristiques a fait le tour du pays et a déclenché une alerte de la Direction Générale des Services de Santé du gouvernement national.
 

La confiance dans le système mise à l’épreuve

La confiance dans le système de don d'organes en Inde a été mise à l’épreuve à plusieurs reprises. Par exemple, au Tamil Nadu, une enquête est en cours concernant des irrégularités dans le prélèvement d'organes en 2018 d'un patient en état de mort cérébrale dans le district de Salem. Les organes de ce patient ont été transplantés à des ressortissants étrangers, ce qui n’a fait qu’accroître la méfiance de la population quant à l’existence d’un marché illégal d’organes.


 

Dessins de mains offrant des organes
Image : le médecin du Quebec
 


L'enquête vise à confirmer la violation de la loi de 1994 sur la transplantation d'organes et de tissus humains par le personnel médical. Les accusations incluent également des délits de contrefaçon, de tricherie et de conspiration criminelle. Cependant, la méfiance de la population ne se limite pas seulement aux prélèvements d’organes sur des patients en état de mort cérébrale. Elle s’étend également aux greffes à partir de donneurs vivants, également autorisées par la loi indienne.

Au cours de la première semaine de juin 2024, la police a arrêté à Hyderabad le chef d'une organisation de trafic d'organes et de trafic d'êtres humains ayant des liens avec l'Iran. L’enquête promet d’être très compliquée car les trafiquants identifiaient des donneurs pour conclure des accords avec eux, non seulement pour le marché illégal des donneurs d'organes en Inde, mais aussi pour le marché iranien.

Cela n’est pas surprenant puisque l’Iran est l’un des rares pays au monde qui, pendant de nombreuses années, s’est fortement appuyé sur des donneurs vivants. L’Iran a un programme commercial de transplantation de plus en plus critiqué depuis plus de deux décennies, bien que ces dernières années, le pays ait tenté d’inverser la tendance et d’encourager le don d’organes de personnes décédées.
 

Don d'organes provenant de donneurs vivants

En Inde, la loi de 1994 n’autorise pas seulement le don d’organes après un décès, qui consiste à donner un organe ou un tissu au moment du décès du donneur en vue d’une transplantation à un patient atteint d’une insuffisance organique. Elle permet également le don vivant, c'est-à-dire qu'une personne vivante fait don d'un organe ou d'une partie de celui-ci, qui sera transplanté à un patient souffrant d'insuffisance organique terminale.

La loi précise que le donneur vivant doit être un membre de la famille, tel qu'un parent, un enfant, un frère ou une sœur, et elle autorise également les conjoints. Étant donné le très faible nombre de dons d’organes provenant de personnes décédées, le don vivant est la principale méthode par laquelle les Indiens reçoivent des organes, et de nombreuses décisions judiciaires ont découlé de ces procédures de don vivant. Cependant, certaines choses sont restées inchangées
 

Importance du genre dans le don d’organes

Si les chances d’obtenir un organe d’une personne décédée sont vraiment faibles, qu’en est-il de celles d’en obtenir d’un donneur vivant ? Eh bien, si vous êtes une femme, vos chances sont désespérément faibles.

Au cours des 30 dernières années, pour quatre greffes réalisées sur des hommes, une seule a été réalisée sur des femmes. Et la situation s'inverse lorsqu'on parle des donneurs. Alors que 80 % des receveurs sont des hommes, près de 80 % des donneurs vivants sont des femmes.

L'exemple de Namrata est instrucif. Namrata, trentenaire originaire de Mumbai, a subit une chirurgie bariatrique pour perdre du poids, afin d'être apte à faire don d’un de ses reins au... mari de sa sœur ! lui offrant ainsi une chance inestimable d'améliorer sa qualité de vie.

Ces disparités soulignent que même dans des contextes aussi cruciaux, les femmes et les hommes ne sont pas traités de manière équitable. La lutte pour l’égalité des femmes est loin d’être terminée.

 

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