À Pondichéry, existe un lieu que l’on traverse ou que l’on contourne presque inévitablement lorsqu’on y circule : c’est le parc Barathi, au centre de l’ancienne ville coloniale qui s’étend du nord au sud le long du golfe du Bengale.


Le lieu demande un peu d’esprit d’aventure et d’abandonner son scooter pour y entrer. Il n’est pas toujours au premier abord « attirant » mais il est la destination quotidienne de beaucoup d’habitués.
Le parc Barathi dans la ville coloniale
C’est un grand jardin public arboré, limité par des grilles que bordent les rues Ranga Pillai, Victor Simonel, Mahe de Labourdonnais, avec quelques petites enclaves dans lesquelles se logent les statues de grands personnages politiques, face au grand bâtiment colonial de l’assemblée législative et à un petit temple hindou au coin de la rue de la Bourdonnais.

L’entrée principale, rue de la Compagnie, la seule ouverte, donne sur la place appelée Gandhi Nehru Thidal. La blanche statue de Nehru sur son piédestal s’y dresse face à la mer.
Ce parc fait quasi-fonction de rond-point, mais un rond-point octogonal. Je me fais la réflexion en essayant de traverser et en regardant tourner les nombreux véhicules, qu’il est « comme une petite place de l’Étoile, avec, en son cœur, non pas un Arc de Triomphe, mais un monument blanc : l’Aayi Mandapam.
Un écrin de calme et de verdure
En ce début décembre pluvieux, la végétation du parc est à la fête, des sculptures anciennes, d’autres contemporaines sont disséminées au milieu des différentes essences de palmiers aux palmes élégantes et si graphiques. Des arbustes et quelques agaves, des lantanas aux fleurs corail et des pois bleus poussent en buissons de-ci de-là. Tout un éventail d’animaux y vivent : corbeaux bruyants et omniprésents, mais aussi perroquets verts qui se confondent avec les feuillages, coucou Koël au chant mélodieux et vifs écureuils palmistes qui s’affairent.

Des amoureux, comme tous les amoureux du monde « se bécotent sur les bancs publics » et s’isolent à l’abri des regards. Les amateurs de marche suivent l’allée périphérique, une jambe devant l’autre, sérieux et Ie regard lointain. Des groupes de lycéens viennent, sac au dos, faire un tour, musarder ou discuter entre amis; d’autres profitent simplement d’un peu de solitude et de calme pour lire leur journal. Des enfants jouent sur les toboggans et les balançoires dans l’espace qui leur est réservé et des touristes un peu hésitants, à moins d’être accompagnés d’un guide, visitent.
L’Aayi Mandapam dans l’histoire de Pondichéry
Au centre du parc un monument de marbre blanc vers lequel convergent les quatre grandes allées, c’est l’Aayi Mandapam. Il fut construit en 1854 sous Napoléon III, durant la période coloniale française par Louis Guerre (1801-1865), celui-là même qui construisit l’église Notre Dame des Anges.
Le Mandapam est généralement, dans un temple hindou, une structure à colonnes, ici ouverte, mais elle peut être fermée et dont l’usage est réservé aux cultes et rituels commémoratifs.
Ce Mandapam est une construction de style gréco-romain avec des colonnes corinthiennes et un fronton triangulaire classique. La frise et l’entablement de la structure sont sculptés de motifs de fleurs de lys. Au sommet du monument, se trouve une grande urne ornementale qui sert parfois de perchoir aux oiseaux.
Au centre du Mandapam est installé un buste de pierre noire assez imposant, celui d’une femme qui se nomme Aayi. Elle est ornée de bijoux, colliers, boucles d’oreilles et anneau dans le nez et son buste est drapé d’un sari. Le port de tête de la femme est digne, quasi royal, elle porte le bindi sur le front et ses cheveux sont élégamment coiffés.

La légende d’Aayi, la danseuse sacrée.
L’empereur Krishnadeva Raya de Vijayanagara ( 1505-1565) de la dynastie Tuluva etait connu pour sa grande humanité vis-à-vis de ses soldats et ses décisions éclairées vis-à-vis des érudits et des artistes.

Un jour qu’il visitait la région du Tamil Nadu avec son ministre Appaziyer, il vit une magnifique construction éclairée et richement décorée dont il pensa que tant de magnificence ne pouvait qu’appartenir à un temple. Il s’y arrêta pour prier. Étonné de la réaction de certains passants, il demanda à savoir ce qu’il se disait et il apprit ainsi, qu’il venait de se recueillir devant l’habitat d’une danseuse courtisane nommée Aayi.
Réalisant alors son erreur, se sentant profondément humilié, il ordonna la destruction immédiate de la maison.
Consternée et honteuse, Aayi le supplia de la laisser détruire elle-même sa maison et dit que pour se racheter, elle creuserait avec la permission de l’empereur, à sa place, un étang pour fournir de l’eau à la population locale.
Touché par la sincérité de la dame, l’empereur accepta sa requête. Ainsi Aayi fit construire un réservoir d’eau douce à Muthurayapalayam. Les légendes se transforment selon les locuteurs et une autre version raconte que l’empereur fit détruire l’habitation et fit lui-même construire le réservoir, mais pardonna néanmoins à Aaya qui le supplia.
Dans le parc Barathi, on peut voir au milieu d’un bassin la statue d’une femme, certainement Aayi en sari bleu, qui tient une cruche comme si elle versait de l’eau.

La découverte de Pierre Eugéne Lamairesse, ingénieur des ponts et chaussées à Pondichéry
En 1763, après une brève période d’occupation britannique, Pondichéry est rendu à la France. En 1764, le gouverneur Law de Lauriston (1719-1797), s’attelle à la reconstruction de la ville, détruite par les Anglais. Le quartier colonial se développe et la résidence du gouverneur, des bibliothèques, des églises et des rues sont alors construites.
Les années passent et au milieu du XIXe siècle, la ville fait face à une grave pénurie d’eau.
Jusqu’alors, la ville ne disposait pas de source d’eau douce et potable. Ce sont des chars à bœufs qui transportaient les barriques d’eau fournissant la ville.
L’ingénieur Pierre Eugéne Lamairesse (1817-1898) est envoyé à Pondichéry et Karikal, comme ingénieur chef aux Établissements français dans l’Inde de 1860 à 1866. Il a pour mission de s’occuper de l’irrigation des barrages et de la reconstruction du pont de Ariyankuppam qui est mis à mal à chaque mousson.

Il est curieux, polyglotte : il apprend le tamoul et est considéré comme fantasque par ses supérieurs.
Ceux-ci lui reconnaissent cependant une grande culture.Il a traduit le « Kama Sutra », règles de l’amour de Vatsyayana- morale des brahmanes, un livre de théologie hindoue et des poésies et des chants populaires du sud de l’Inde : Le « Prem Sagar ». Il publie aussi des ouvrages scientifiques sur le thème de l’irrigation et des études hydrauliques sur l’Inde.
C’est ainsi que Pierre Eugéne Lamairesse entend parler du réservoir d’eau d’Aalyi, qu’il va visiter. Il conçoit alors un système ingénieux de canalisations et canaux, pour acheminer l’eau potable du réservoir de Muthirapalayam dans la commune d’Oulgaret, à 3 km à l’ouest, jusqu’à la ville française qui a enfin l’eau courante.
En l’honneur d’une femme qui devint une légende: construction de l’Aayi Mandapam en 1854
Il se dit que Napoléon III, à qui l’on raconta comment Lamairesse avait découvert le réservoir qui avait permis que Pondichéry soit fourni en eau potable fut si touché qu’il ordonna la construction d’un mémorial en l’honneur d’Aaya « la bayadère ».
Après l’indépendance en 1962, lorsque Pondichéry passe sous administration indienne, le gouverneur en place choisit d’adopter Aayi Mandapam comme emblème officiel du territoire de l’union.

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