Le Banta soda dans le Nord de l’Inde, ou le Goli soda dans le Sud, sont des boissons qui rassemblent toutes les générations, dans la nostalgie de l’enfance : les vendeurs ambulants de sodas frais, à la sortie de l’école, que l’on entendait arriver avec leur charrette presque avant de les voir, tant le « tintinnabulement » créé par les bouteilles qui s’entrechoquaient, était une chanson familière et attendue.


Qu’a donc de si particulier ce soda ? Sa bouteille au col Codd
Cette bouteille est créée et fabriquée au Royaume-Uni à la fin du XIXe siècle par l’ingénieur Hiram Codd.

En 1872, Hiram Codd (1838-1887) dépose un brevet pour l’invention d’une bouteille en verre. Son col possède un étranglement retenant une bille en verre qui sous la pression du gaz monte et vient se coller contre une rondelle de caoutchouc, rendant ainsi la bouteille parfaitement hermétique. Le fabriquant verrier avec qui il travaille est alors l’entreprise « Lysens Frères », dont le nom est gravé sur la bouteille.
Celle-ci peut être ouverte avec un ouvre-bouteille adapté (ou doit-on dire un pousse bille ?) , mais les inconditionnels préfèrent pousser la bille avec leur doigt. Plus il y a de gaz, plus le bruit est fort. Les bouteilles sont lavées après utilisation, la bille qui reste dans le goulot la rend réutilisable et l’anneau en caoutchouc qui la maintient est chaque fois remplacé.

Une bouteille britannique pour une boisson indienne
Les bouteilles sont importées de Grande Bretagne en Inde jusqu’à l’Indépendance.
Elles sont interdites à la vente lorsque s’amorce le mouvement d’indépendance indien, car les combattants de la liberté (freedom fighters) ajoutaient du chuna, de l’hydroxyde de calcium, aux bouteilles de soda pour fabriquer des mini-canons improvisés.
Depuis 1981 les bouteilles Codd sont fabriquées en Uttar Pradesh, notamment dans la ville de Firozabad. Cette ville est surnommée « la ville du verre » et elle est mondialement connue pour la fabrication de bracelets en verre. L’industrie du verre est une tradition ancienne, pour laquelle travaillent plusieurs générations d’habitants.
Les bouteilles anciennes sont relativement rares et sont devenues des objets de collection en particulier en Angleterre. Aujourd’hui, une bouteille Codd de couleur cobalt peut atteindre des milliers de Livre sterling lors de vente aux enchères.

Un soda qui fait de la résistance dans la plus emblématique des villes indiennes
The Economic Times en 2013, titrait un article ainsi : Pourquoi cette boisson des rues est toujours populaire à Delhi ?
Le journaliste Shreya Roy Chowdhury écrit que ce n’est certainement pas pour le goût du soda mais plus pour la fascination des habitants de Delhi pour la bouteille bouchée d’une bille de verre et « du bref mais satisfaisant souffle du dioxyde de carbone qui s’en échappe lorsqu’on pousse la bille pour la desceller ».
Il poursuit en écrivant que cette boisson ne convient pas « à une constitution délicate », à savoir qu’elle n’est pas conseillée à ceux habitués à un environnement « aseptisé ». Il fait référence aux boissons sucrées alors en vogue, produites en masse et standardisées. Shreya Roy Chowdhury propose que pour gagner sa réputation de « street-creek » ( consommateurs de boissons de rues, littéralement rivière de rue), il faut essayer le Banta servit dans un verre de glaçons pilés, agrémenté du « massala »!
Le Banta est mis en bouteille dans le centre de Bhogal, à Jangpura, l’usine récupère les bouteilles vides, consignées. Elles sont chères ( 47 roupies/ piéce, contre 7 roupies une bouteille à vis classique, actuellement) mais le patron nous explique que personne n’achètera ses sodas, si l’idée lui venait de remplacer les bouteilles à col Codd, par des bouteilles à vis ou des bouteilles en plastique.
Il est impossible de dénombrer les vendeurs de Banta, ni les ateliers d’embouteillages dans la ville de Delhi. Dans les années 1970, Delhi comptait plus de 100 unités d’embouteillage et Chennai (Tamil Nadu), en comptaient 150.
Une boisson aux saveurs d’identité culturelle
En 2024, sous la plume du journaliste Praveen Sudevan, The Hindu, titrait un article : « Le second souffle du soda Goli: un retour nostalgique pour une boisson emblématique de l’Inde. »
Contrairement à ce qu’écrivait 10 ans plus tôt le journaliste de The Economic Times, les consommateurs indiens semblent avoir retrouvé un regain d’intérêt, alimenté par la nostalgie, pour les saveurs uniques de ce soda. Il existe aujourd’hui presque 700 marques de Goli soda. Un marketing bien mené sur les réseaux sociaux et la participation de stars du cinéma régional ont suscité un intérêt grandissant de la part des jeunes générations. Raghraman Gobinathan, cofondateur de Kaalaiyan Goli Soda à Coimbatore, pense qu’au-delà de la nostalgie, l’identité culturelle est également un facteur qui explique ce regain d’intérêt et que les « manifestations de Jallikattu en 2017 ont indéniablement joué un rôle dans la croissance de la marque. Les gens ont cherché une alternative aux colas et le Goli Soda, boisson traditionnelle du sud de l’Inde correspondait exactement à ce besoin. Il existe au Tamil Nadu un sentiment anti-multinationales».

Le Jallikattu est une fête traditionnelle très ancienne du sud de l’Inde. Elle daterait de 400 ans avant JC. Elle a lieu durant les célébrations de Pongal. Des taureaux sont lâchés dans une arène en forme de piste et des dresseurs s’arment de courage pour attraper leur bosse et les immobiliser. Les habitants du Tamil Nadu ont protesté massivement en 2017 contre l’interdiction du Jallikattu décidée à Delhi, donc au nord, au nom de la protection animale.
Le combat de David contre Goliath
Le Goli soda tire son nom de la bille ( banta, goli, ou goli) qui scelle la bouteille Codd.
Cette boisson adopte généralement des ingrédients locaux, ils ont des parfums distinctifs selon les régions.
Abdul Khader, cofondateur de Spark Goli Soda, une marque basée à Hyderabad, souligne les défis liés au prix.
« Les bouteilles en verre sont chères et même si nous avons automatisé une partie du processus, les coûts de production restent élevés, par rapport aux bouteilles en plastique contenant les colas. ».
En conséquence, la concurrence est rude. Les colas pour des quantités supérieures sont vendus à des prix inférieurs.
Le combat de ces entreprises indiennes situées dans le sud, dont la plupart sont des micro marques, se concentre sur la qualité et l’originalité des ingrédients : des colorants naturels, du sucre au lieu d’édulcorant, des saveurs traditionnelles et modernes( citron vert et pomme verte, pêche et citron vert, eau de rose, menthe, cumin).
Kozzmo Beverages, basée à Chennai, a démarré ses activités en 2018. Elle fabrique des Goli sodas préemballés commerciaux en bouteilles de plastique et aussi en verre, en utilisant une unité de fabrication certifiée par l’Autorité indienne de sécurité alimentaire et des normes FSSAI. Elle commercialise six saveurs de sodas: paneer, nimbu massala, citron, orange, raisin, ananas et pour la bouteille traditionnelle son slogan est « Twist n Shout »! .
Le Banta soda fait son entrée dans les normes officielles d’hygiène et sécurité
La boisson est traditionnellement mis en bouteille de la même façon depuis des décennies, dans de petites unités d’embouteillage.
Le soda se compose de sel et d’eau qui sont mélangés à des arômes, en utilisant soit du jus de fruit naturel, soit des arômes artificiels puis le liquide est versé dans la bouteille à l’aide d’un entonnoir. La bouteille est ensuite placée dans une machine à soda, maintenue fermement pendant qu’une buse de la machine transfère par le goulot du dioxyde de carbone. Après quoi, la bouteille est tournée deux ou trois fois pour diffuser le dioxyde de carbone qui pousse alors la bille dans le goulot contre le joint en caoutchouc qui la maintient. Les bouteilles ainsi scellées sont réutilisables et collectées par des nettoyeurs.
Actuellement l’accent est mis sur les normes d’hygiène et de sécurité. De nombreuses marques utilisent désormais des machines semi-automatiques et privilégient la certification de leurs ingrédients. Cette attention trouve un réel intérêt chez les consommateurs d’aujourd’hui, sensibilisés à leur alimentation et ce processus garantit une durée de consommation de six mois.
Une joyeuse expérience
À Pondichéry, par exemple, on trouve le Goli Soda en vente, comme traditionnellement, auprès des vendeurs de rues : les bantawallahs, souvent installés près des lieux touristiques, mais aussi présents lors des fêtes traditionnelles.
En principe vous ne pouvez pas garder la bouteille qui est consignée, on vous sert le soda dans un gobelet en carton. Mais en insistant un peu, il est possible d’acheter le soda et la bouteille, ce que nous avons fait : 50 roupies pour le soda et 50 roupies pour la bouteille. Le vendeur semblait très satisfait de sa vente et nous aussi.

Nous avons choisi parmi toutes les couleurs, un soda au citron, plutôt bon. Attention en versant le soda dans le verre, la bille roule dans le goulot et vient boucher la bouteille !
À notre grande surprise, la bouteille ne contient pas beaucoup plus d’un verre. Impossible de trouver sur l’étiquette le nombre de millilitres. La bouteille est lourde et fait finalement penser, dans un tout autre genre, « au pot lyonnais » avec son fond épais.
C’est une expérience ludique, qui plus est, joyeuse, parce que maintenant nous faisons partie de la « team » des goli sodas, la boisson qui fait “pop! “
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