Arrivée par hasard en Inde il y a 10 ans, Isabelle Pacaud n'est plus jamais repartie. Aujourd'hui résidente de Pondichéry, elle nous raconte, avec ses mots, son quotidien de "confinée".
La subtile et si indienne odeur du jasmin retrouvée au petit matin dans les rues de Pondicherry, couverte d'un masque encore un peu artisanal, sur ma fidèle TVS, mobylette locale, m'a un instant replongée dans le "avant"...Je venais d'être doublée par un rickshaw, comme ressuscité après des semaines d'absence. J'eus à peine le temps d'apercevoir des dos vêtus de saris colorés, de longs cheveux ornés des traditionnels mala (collier) de frais jasmin, tout juste ouvert au lever du jour, que l'odeur me pénétrait.
Un "avant" et un "après"?
Non non, l'ordre du jour est plutôt au long "pendant". Cette odeur si familière dont les femmes parent leur chevelure brillante chaque matin : le jasmin, fleur du renouveau - chaque jour est un nouveau jour- me rappelle que nous sommes ici dans le monde de l'impermanence. Le confinement continue encore deux semaines, le déconfinement commence, re-commence, c'est un peu à y perdre son sanskrit...
Chacun y va de son commentaire, ce n'est pas Modi qui a annoncé l'affaire mais une simple note adressée à la nation. Comme toujours la force des Etats peut confirmer ou infirmer les décisions de l'état central dans cette organisation politique qui superpose gouvernement fédéral et Etats fédérés, ou chacun joue un peu à qui sera le plus fort. Le plus simple est donc de rester à la maison, d'attendre que ce soit un peu plus clair. Encore faut-il avoir une maison : pour une partie de la population indienne, un toit veut dire un endroit pour dormir, mais pas un lieu de vie...Les baraques en tôle ondulée que j'observe du haut de ma terrasse ne sont bonnes qu'à emmagasiner la chaleur comme une clim inversée.
Quid d'un confinement qui ne semble pas finir...
La bonne nouvelle, c'est que dans les premières mesures de déconfinement, il y a la mise en place de transports inter-états afin de rapatrier tous ceux qui ont été laissés sur le carreau il y a quelques semaines par la mise en place du confinement en un temps record. Lockdown comme on dit ici en quatre heures top chrono après l'annonce par le premier ministre Modi, soit l'impossibilité de rentrer chez-soi avec l'arrêt immédiat de tout transport. Mon amie Bhawna pourra-t-elle ainsi retrouver son mari ?
Cela a du bon pour l'acheminement des fameuses mangues tant attendues. Les hommes vont circuler et les précieux fruits aussi. Cultivé depuis plus de 4000 ans, le manguier avec ses plus de 1000 variétés de fruits différentes est presque un arbre sacré.
Le Bouddha s'asseyait sous l'ombre de son feuillage pour méditer il y a bien longtemps et l'on retrouve les premières références à cet arbre dans les Upanishads déjà 700 ans avant JC.Les étals commencent de regorger de ces fruits si goûteux dont l'Inde est le premier producteur mondial. Ici on ne rigole pas avec les mangues (moins de 2% de la production est exportée) et le bal bat son plein jusqu'à mi juin, avec les premières pluies de la vénérée mousson. A partir de maintenant, chaque jour pourra être agrémenté d'une soupe de mangues qui n'est ni plus ni moins que de la mangue pure. Un délicieux nectar, si sucré pour une saison où le corps a tant besoin d'énergie pour réguler les assauts climatiques.
Question température, cela ne s'arrange pas, le mercure monte, mon énergie baisse, je commence l'hibernation inversée...Je n'ai pas encore trouvé le mot adéquat. Avec la reprise lente de l'activité, les masques se généralisent et comme un relâchement où un ras le bol pas vraiment avoué, on ne les porte déjà plus dans les règles de l'art. On peut presque dire qu'il font plus office de cache col que de protection coronale... La chaleur humide n'aide pas beaucoup non plus à supporter l'exacte position du couvre nez.
Est-ce cette impermanence indienne, qui me touche tant, qui rend le présent si plein? Un très long "pendant" calme et tranquille où la routine ouvre des portes. Celle de la perception, d'une conscience plus fine de notre humanité enfin posée. N'est-ce pas une opportunité pour explorer, affiner l'entrée vers un nouveau monde si tant est que nous soyons prêts à nous prendre en charge et avec nous, les plus vulnérables ?
La fleur du jasmin est aussi la fleur du pardon.