Est-il plus compliqué de vivre le confinement en dehors des frontières de son pays d'origine ? Sandie Langellier, contributrice lepetitjournal.com et psychologue clinicienne, nous aide ce matin à répondre à cette question.
L'expatrié est un individu qui a quitté volontairement son pays d'origine. Mieux le cadre du déplacement géographique est clairement défini et sécurisé, mieux il sera en capacité de préparer le transfert de son être dans un ailleurs. Mieux il sera installé mieux il sera en capacité de créer un nouveau territoire. En dehors des frontières de la patrie et au contact de la différence, la solidité du patrimoine identitaire est un paramètre important dans le travail d'harmonisation des expériences transculturelles.
Faire l'expérience d'une expatriation, c'est faire l'expérience d'un nouveau langage et d'un nouvel ensemble de connaissances :
- à une échelle collective et institutionnelle (l'état),
- à une échelle sociale au gré de ses rencontres,
- puis enfin à une échelle individuelle (Manière dont nous allons pouvoir être en relation avec l'autre culture).
Confinement et pays d'accueil
Face à l'invasion du Covid-19, petites et grandes nations ont dû prendre des décisions pour freiner drastiquement la propagation du virus. Dans le pays d'origine ou dans le pays d'accueil, les décisions politiques et les arguments qui les sous-tendent sont rarement accueillies dans la totale adhésion. Il y a trop d'inconnu scientifique autour du virus pour trouver un lien de compréhension solide avec les décisions prises. Par ailleurs, la portée des mesures ont de telles conséquences (économiques, alimentaires...) dans les différentes strates de la société que dans un pays ou un autre, il est difficile de se sentir entièrement satisfait et solidaire des résolutions gouvernementales.
Dans chaque pays, au-delà de la pluralité des débats qu'il soulève, le Covid-19 assujetti cruellement l'entière humanité à sa condition de mortel. Cela signifie que sur le fond, tous les gouvernements de chaque nation sont jugés sur leur capacité à sauver équitablement la vie des malades et des sujets bien portants.
Plus que les arguments socio-économiques, ce sont les représentations de la maladie, du soin et de la mort qui vont donner du sens aux directives sur le confinement et sur le déconfinement. Plus il y aura d'écart entre les représentations de l'expatrié et celles du pays d'accueil, plus celui-ci se sentira menacé de rupture. A ce critère, s'ajoute celui du risque d'exposition à la maladie, du droit d'accès aux soins, à l'assurance de se protéger et bien-sûr de pouvoir faire le voyage retour.
Confinement et société d'accueil
A l'échelle sociale, le confinement deviendrait particulièrement persécuteur pour l'expatrié s'il était abusivement discriminé en raison d'un lien arbitraire entre lui et le virus. Ce serait une expérience d'agression très douloureuse et traumatisante.
Le confinement serait également une source de fragilisation s'il s'accompagnait d'une rupture de lien avec le pays d'origine. Dans de telles circonstances, garder la maîtrise de ses contacts avec la famille, les amis, le pays est un besoin fondamental. (voir l’article sur le confinement, un voyage à l'autre bout de soi). La détérioration du fil de la filiation et de tout ce qui contribue à affilier un individu à une société de référence serait une expérience de destruction et de trahison (lorsque cela est acté par le pays d'origine).
Confinement en dehors des frontières. Lesquelles ?
A l’échelle individuelle, voilà maintenant quelques semaines que durent ce confinement et nul ne peut contredire que l'expérience est dépaysante.
Cette suspension du temps organisée en un point géographique précis favorise les distractions de l'esprit. A défaut d'extérieur, il pourrait se sentir appelé par les paysages du dedans. Le monde interne est riche d'attractions et de contrastes. C'est une contrée aux frontières étonnantes voir dangereuses. C'est sans grande résistance qu'il suivra le film de nos mémoires et de notre imaginaire. Comme dans la vraie vie, les joyeux sentiers seront ponctués de calvaires. Les scènes les plus douloureuses et amères ne manqueront pas d'occuper les zones vacantes dans l'espoir d'y placer un épilogue repu de justice et de réparation. En cette période d'effort mondial dans l'intérêt suprême du sanitaire, les blessures individuelles trouveront un écho salutaire pour dénoncer à grand bruit l'imperfection de leur pansement.....
Usuellement, il n'est pas rare que le quotidien soit troublé par une scénarisation ou une reviviscence inattendue de souvenirs compliqués. Certaines périodes y sont même propices : naissance, décès, expatriation... Cependant il faut reconnaître que le contexte du confinement fragilise l'individu. Il impose des règles qui rigidifient l'accès à la diversité des espaces aidants (espace professionnel, thérapeutique, divertissement...). Tous contribuent à la mise à distance de ces angoisses en permettant plus ou moins indirectement leur élaboration. Il n'est donc pas conseillé de s'aventurer dans des introspections trop profondes. Les sentiments d'isolement, d'exil et la perte de repères fondamentaux, ne sont pas concomitants d'un déplacement géographique.
En résumé, dans l'absolu, le statut d'expatrié n'est pas un critère fragilisant pour l'individu. Cependant à la lumière des fragilités antérieures ou d’événements extérieurs s'accordant mal avec les contraintes imposées par le confinement, être confiné en pays étranger peut augmenter le sentiment d'insécurité de l'individu. Mais parce que le pays d'accueil concourt aussi à l'enrichissement des contrastes, vivre le confinement dans le cadre d'une expatriation contribue certainement à apprécier à sa juste valeur, la nature et la saveur de tout ce qui nourrit et fait lien avec le noyau identitaire.
Cette parenthèse imposée est donc une bonne occasion de prendre soin de soi en se montrant généreux avec tous ces supports identitaires quotidiennement à l’œuvre dans notre bien-être. Ils sont aussi bien originaires de la patrie que du pays d'accueil. Quant aux angoisses, pour leur accorder l'attention qu'elles méritent, elles ne doivent justement pas être réduites à ce confinement, le risque étant de les faire flamber. Ainsi, aux défis du confinement, peut être opposé la richesse d'un patrimoine culturel. Celui de sa patrie, celui que l'on porte en soi, forgé au gré de nos rencontres avec l'extérieur. Antoine de Saint-Exupéry, disait « l'avenir n'est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n'as pas à le prévoir, mais à le permettre ».
Quel bon conseil vous soufflerait la sagesse de votre pays d'accueil ?