1969, Madras. Alain est un jeune étudiant parachuté en Inde à la fin de son cursus universitaire. Une expérience qui le marquera à jamais. Plus de 50 plus tard il partage ses souvenirs de Madras sur lepetitjournal.com, un régal !
Á mon arrivée, je loge au Queen’s Hotel (aujourd’hui Harrison’s) à Nungambakkam, vieil hôtel victorien un peu décrépit, dans un agréable décor de verdure. C’est calme, confortable et bon marché, la cuisine est correcte, j’y résiderai quelques semaines. Tant que ma voiture n’est pas en état, je dois me rendre à mon bureau à l’Alliance Française en taxi, et même si le trajet est relativement court, c’est une contrainte que je n’aime guère.
Je vais surtout devoir me déplacer beaucoup dans toute l’Inde du sud pendant ces deux années et je serai heureux de retrouver un camp de base à mon retour. D’un tempérament autonome, j’ai toujours fait mien l’adage « Mieux vaut un petit chez soi qu’un grand chez les autres".
Je découvre mon Petit Liré ...
Je me mets en quête d’un logement indépendant et, grâce au bouche-à-oreille et aux étudiants indiens de l’Alliance, je déniche ce qui va devenir ma résidence. C’est un petit appartement qui occupe tout un premier (et dernier) étage, donnant sur une grande cour bordée d’autres maisons. Une grande pièce principale très claire, une salle de bains avec douche à l’indienne, un petit cellier et une cuisine grillagée ouvrant sur une belle terrasse. Des bougainvillées, des cocotiers, un manguier donnent de l’ombre. Pas de clim’ (luxe extraordinaire en 1969) mais un bon ventilateur au plafond. Mes voisins immédiats sont deux petites familles sympathiques et accueillantes. C’est situé le long d’une rue de Gopalapuram, quartier tranquille, à 10 minutes à pied de mon bureau dans Mount road. Je peux garer ma voiture dans la cour. De plus, le loyer est très raisonnable (150 Rs / mois, soit une centaine d’euros d’aujourd’hui). Je ne regretterai jamais mon choix.
… et je m’y installe
Je prends à ma charge quelques petits travaux d’aménagement, fais installer un évier dans la cuisine, et me voilà prêt à emménager dans mon chez-moi ! Quelques meubles ont été laissés par mon prédécesseur ; comme la plupart des étrangers j’en loue quelques-uns, plus un gros réfrigérateur chez Spencer et j’achète un réchaud à gaz avec sa bouteille, voilà le minimum. Question capitale à résoudre : l’eau potable. L’eau, vendue en bouteilles de verre, est rare et très chère. Les filtres à eau modernes que nous connaissons aujourd’hui n’existent pas ; on utilise un réservoir de quelques litres équipé d’une cartouche de céramique que par précaution on remplit d’eau préalablement bouillie. Pour le reste, linge de maison, vaisselle et objets divers, je fais quelques descentes à China Bazar, Armenian street, ou chez Spencer. Pour la décoration, l’artisanat local, le VTI et les antiquaires offrent des ressources inépuisables. Et sept semaines après mon arrivée, je suis enfin chez moi.
Il est difficile de se débrouiller seul
La vie quotidienne est compliquée en Inde pour un étranger qui travaille, il faut faire face aux tâches que sont les courses, la cuisine, le ménage, la lessive. L’organisation sociale du pays voudrait que pour chacune de ces fonctions j’aie recours à une personne différente : un dhobi, une sweeper, un cook etc... C’est ce que font mes collègues mais, eux, ils ont toute une famille ! Je ne m’imagine pas à la tête d’une escouade de domestiques. Être employé de maison chez des occidentaux est une situation enviable, on y est mieux payé (parfois le double) et, il faut bien le dire, souvent mieux traité que chez certains indiens aisés (ndlr voir à ce propos l’article « être maid en Inde ») . Après un bref essai malheureux avec un soi-disant cuisinier pondichérien que je "refilerai » à des américains, je découvre la perle rare…"La Servante au Grand Coeur "
Navami ( நவமி ), couramment "Naomi", la quarantaine, trois enfants, mariée à un typographe, est sans travail depuis le départ de ses patrons et des amis me la recommandent. Elle n’est pas hindoue, donc affranchie des contraintes de caste, et peut effectuer tous les travaux de la maison ; de plus, elle est capable d’initiative en cas d’imprévu. Elle parle un peu anglais et cuisine bien, et je lui enseigne les secrets du pot-au-feu ou de la ratatouille. Pour une centaine de roupies par mois – c’est le salaire d’un petit fonctionnaire -, de 8 heures à 14 heures six jours sur sept, elle tiendra ma maison pendant tout mon séjour avec beaucoup de conscience et de fierté. Son dévouement, sa gentillesse et son humour me feront découvrir et aimer cette petite classe laborieuse tamoule. Grâce à son salaire, une relative prospérité revient dans sa famille et son fils peut reprendre des études. Avant mon retour en France, Naomi et son mari m’invitent chez moi à déguster mon plat préféré, un bon biryani. Je convaincs sans mal un collègue français de l’engager, et elle ne se retrouve pas sans travail. Une ou deux fois par an, je recevrai de brèves nouvelles dictées à son fils (elle est illettrée), et puis plus rien. A mon premier retour à Madras de longues années plus tard, je ne parviendrai pas à retrouver sa trace. Sa photo figure toujours en bonne place chez nous, et j’utilise régulièrement et avec émotion les recettes qu’elle m’a données.
NDLR : En exclusivité pour les lectrices et lecteurs du Petit Journal de Chennai, une recette de Naomi Peeters vous sera dévoilée dans quelques jours...Préparez vos papilles !