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Marie-Louise Elhabre : “La vie est comme un mille-feuille.”

Marie-Louise ELHABREMarie-Louise ELHABRE
Écrit par Isabelle Bonsignour
Publié le 8 mars 2019, mis à jour le 19 décembre 2023

Marie-Louise Elhabre, expatriée en Inde depuis 2015, est CEO d’AXA Business Services. En cette journée internationale des droits des femmes, la Française, mère de trois enfants, nous explique comment elle réussit à conjuguer sa brillante carrière avec une vie familiale épanouie.

 

 

lepetitjournal.com Bombay : Vous êtes depuis 2017 le CEO d’AXA Business Services. Pourriez vous nous décrire votre parcours avant ce poste ?

Marie Louise Elhabre : J’ai travaillé pendant 10 ans chez Accenture et cette année, je fête mes 10 ans chez AXA. Tout au long de ma vie professionnelle, j’ai poursuivi un objectif double : avoir une carrière et une famille.

En 2001, alors que j’avais moins de deux ans d’ancienneté chez Accenture, je fus la première jeune analyste à être enceinte et à continuer à travailler à mon poste. A l’époque, c’était très rare, les cabinets de conseil étaient connus pour être des sociétés très exigeantes avec leurs cadres. Pour la plupart des jeunes employés, il était impensable d’avoir du temps pour soi et de s’arrêter.  Avec deux de mes collègues également enceintes, nous avons d’ailleurs fait l’objet d’un article du magazine ELLE, “Ces mamans qui travaillent” (édition du 17 septembre 2001). 

En 2006, je fus aussi une des premières cadres d’Accenture à me mettre à temps partiel, au 4/5eme, et depuis, j’ai toujours réussi à rester sur un temps de travail partiel. Je suis aujourd’hui à 90%. Cela veut dire que, dans la semaine, j’ai une demi-journée pour moi et pendant laquelle je décide si je travaille ou pas. 

Je suis arrivée en Inde en octobre 2015 et j’ai été nommée CEO d’AXA Business Services en janvier 2017. C’est un poste à hautes responsabilités puisque je gère 4000 employés, 2000 à Bangalore et 2000 à Pune. AXA Business Services est une entité d’AXA qui travaille avec une majorité  d’autres  entités du groupe sur leurs processus financiers et assurantiels, et fournit des services à haute valeur ajoutée en actuariat, risque et data par exemple. 

 

 

Quels sont selon vous les points positifs de la vie professionnelle en Inde ? 

Le monde professionnel en Inde est passionnant. Les Indiens sont contents de travailler et sont toujours demandeurs. Ils sont prêts à en faire plus sans sourciller, comprenant l’utilité de faire pour apprendre. Ils en sont avides et ont compris que pour s’en sortir il faut travailler dur. C’est un environnement très favorable à la croissance et très motivant au quotidien.

En Inde, tout est possible. Les gens appliquent le même état d’esprit dans la vie professionnelle que dans leur vie privée : le “Jugaad”. C’est un mot dérivé du Hindi qui exprime le fait de trouver une solution intelligente et peu onéreuse à un problème. On peut aussi le traduire par : “il est toujours possible de trouver une solution à un problème”.

Par contre, ils ne sont pas toujours autonomes à leur poste, mais c’est un point qu’il est facile de gérer si on le prend en compte.

 

 

Pensez vous que le fait d’être une femme à un poste de direction pose plus de difficultés en Inde qu’en France ou dans les autres pays dans lesquels vous avez travaillé ? Et quelles sont elles ?

Mes employés et moi-même évoluons dans un environnement international et sommes en contact avec le monde entier. Ils ont l’habitude d'être managés par des femmes ou d'en recevoir des instructions et je n’ai donc pas senti de différence entre la France et l’Inde au sein d’AXA. Pour moi, cela a été facile ; je fonctionne beaucoup en mode accompagnement et nous travaillons en grande collaboration.  

Par contre, à l’extérieur de ma société, je suis davantage confrontée au réflexe conservateur type « c’est l’homme qui est le plus important ». Par exemple, lorsque je me rends à une conférence accompagnée d’un des hommes de mon équipe, la plupart du temps, la personne qui nous reçoit se dirige vers mon collègue pour l’accueillir sans m’accorder d’intérêt. Lorsque celui-ci me présente et indique que je suis le “boss”, cela crée toujours un petit effet de surprise et de gêne qui m’amuse beaucoup. 

 

 

Vous êtes le CEO d’AXA Business Services mais vous avez aussi un mari et trois enfants, comment avez vous concilié carrière professionnelle et vie de famille ?  Votre société est basée à Bangalore et à Pune, votre famille est à Bombay, comment gérez vous les déplacements et les contraintes familiales ?

 

la vie est un millefeuille
Pour moi, il faut savoir intégrer vie professionnelle et vie privée et bien doser les deux. L’objectif est de respecter le bon équilibre entre travail et famille comme le pâtissier le fait en préparant un mille-feuille : “S’il n’y a pas assez de feuilles et trop de crème, le mille-feuille est écœurant, et si au contraire, il y a trop de feuilles et pas assez de crème, il est sec. Toute la saveur de ce dessert vient de l’équilibre et de l’intégration des deux composants  ! Je gère ma vie de la même manière.”

 

Les bureaux d’AXA Business Services sont à Bangalore et à Pune et le poste de mon mari nécessitait de nombreux déplacements en Inde, nous avons donc fait le choix de notre lieu de résidence en fonction des enfants. Nous nous sommes installés à Bombay pour pouvoir les scolariser à l’école française internationale de Bombay.

 

Aujourd’hui, je passe 3 jours par semaine sur un des deux sites d’AXA (1 semaine à Bangalore, 1 semaine à Pune) et je suis en télétravail à partir de Mumbai 1 jour et 1/2. Je dispose d’une 1/2 journée libre pendant laquelle je suis avec ma famille, sauf si je décide d’assister à une réunion. 

 

Cela nécessite une grande organisation et le respect d’un équilibre. De temps en temps, il faut savoir accepter de prendre sur soi. En particulier, je suis toujours disponible pour prendre un appel de mon mari ou de mes enfants même si je suis en réunion.  J'ai ainsi récemment interrompu une discussion avec mon équipe parce que je venais de recevoir un message de ma fille qui semblait complètement bloquée sur un exercice de maths. J’ai alors proposé à mes collègues d’aller prendre un café pendant un 1/4 d’heure pendant que j’essayais d’aider ma fille. A contrario, en cas d’urgence au travail, je ne suis pas regardante sur l’heure ou le jour car chez AXA BS, nous opérons 24h / 7 j. 

 

Il est aussi très important de savoir demander de l’aide, non seulement dans le cadre de la famille mais aussi dans sa société. On ne peut pas tout faire seul. C’est pourquoi j’ai rapidement décidé de travailler à 4/5eme. J’ai aussi mis en place une organisation de la journée avec du temps de travail et du temps avec mes enfants : le soir, je suis disponible pour ma famille, puis je recommence à travailler une fois que tout le monde est couché. 

 

A Bombay, il est facile d’employer une “nanny” et un chauffeur et cela nous permet à mon mari et moi de pouvoir nous déplacer en toute tranquillité mais aussi d’être plus disponibles pour nos enfants. 

 


Quelle est la répartition femmes/hommes chez AXA Business Services India et quels sont les mesures que vous avez prises pour atteindre la parité ?

Je considère que la diversité du personnel joue un rôle primordial dans le succès d’une société et c’est pourquoi mon équipe ressources humaines et moi-même travaillons sur un programme pour atteindre la parité femmes/hommes à tous les niveaux de management de notre structure. 

 

Lorsqu’on ne regarde que les chiffres globaux, nous sommes à un très bon niveau de parité puisque nous avons 42% de femmes pour 58% d’hommes. Mais ces chiffres cachent des disparités en fonction des postes hiérarchiques. Pour les postes directement sous le CEO (N-1 et N-2), j’ai demandé à l’équipe de recrutement de me présenter en fin de sélection un candidat femme et un candidat homme, et nous choisissons le meilleur profil. Ainsi nous avons un bon équilibre à ces niveaux hiérarchiques. En revanche, les données pour les postes d’assistant manager et de manager montrent une “disparition” des femmes lors du passage d’un poste à l’autre. En analysant les chiffres en détail, nous nous sommes aperçus que cela coïncidait avec la tranche d’âge à laquelle les jeunes femmes indiennes se marient et ont leur premier enfant. Ainsi, alors que certaines pouvaient potentiellement être promues à un poste de manager, elles se retiraient de la vie active après la naissance de leur enfant. 

 

Nous avons donc mis en place un programme pour inciter les jeunes femmes à revenir travailler après avoir fondé une famille : “Make and Come Back”. La première étape fut une journée portes ouvertes pendant laquelle nous avons invité les employées qui avaient quitté la société et nous leur avons montré qu’elles avaient encore des possibilités de carrière, même avec une famille. J’ai ensuite travaillé sur une video youtube intitulée “Make a career comeback” dans le cadre de JobsForHer, un portail en ligne pour promouvoir le retour des femmes à une vie professionnelle après une interruption.

 

 

Aujourd’hui, les résultats sont encourageants et nous avons pour objectif la parité à tous les niveaux à l’horizon 2025.

  

 

Vous faites activement du yoga quand vous êtes à Bombay. Qu’est ce que vous en retirez ?

Le yoga me permet d’effectuer une pause cérébrale dans ma journée et de ne penser à rien. Je me sens énergisée et reposée après chaque séance. C’est pourquoi j’essaie d’en faire 4 fois par semaine. 

J’ai toujours été très sportive, je fréquentais beaucoup les salles de sport et pratiquais beaucoup de cardio. J’ai trouvé dans le yoga une nouvelle manière d’exercer mes muscles en profondeur sans être essoufflée. C’est un travail posé en équilibre et j’apprécie énormément. 

 

 

Enfin, quelles recommandations donneriez vous à une jeune femme en début de carrière ?

Je lui conseille d’aller à fond, tant dans sa vie privée que professionnelle, et surtout de demander de l’aide sans hésiter. Je lui recommande aussi de ne pas compter ses heures tout en étant disponible pour sa famille. Ensuite, chaque personne est différente et suit son chemin propre. Mais, dans tous les cas, il faut faire des choix et les assumer. 

A certains moments, c’est la famille qui compte le plus. Dans ce cas, l’important est de montrer que l’on est toujours en mouvement même si on interrompt pour une certaine période son activité professionnelle. Il y a de nombreuses autres occupations qui permettent de s’enrichir et de progresser.

Par exemple, j’ai interrompu ma carrière et suivi mon mari à Cracovie en Pologne lorsqu’il a eu une proposition de poste intéressante avant la naissance de notre troisième enfant. Mais, pendant ces trois années en Pologne, j’ai fondé l’association Cracovie Accueil et je le mentionne encore aujourd’hui dans mon CV. Cela prouve que même si je ne travaillais pas pour Accenture à ce moment-là, j’ai fait autre chose et j’ai continué à évoluer. 

 

 

Merci à Marie-Louise Elhabre d'avoir partagé avec lepetitjournal.com sa ligne de vie.

 

 

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