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Guillaume Delacroix : « Il n’y a pas une Inde, mais des Indes ! »

Guillaume Delacroix journaliste Bombay AlibagGuillaume Delacroix journaliste Bombay Alibag
Écrit par Isabelle Bonsignour
Publié le 28 mai 2019, mis à jour le 19 décembre 2023

lepetitjournal.com Bombay est allé à la rencontre de Guillaume Delacroix, journaliste français correspondant permanent de Courrier International, installé à Bombay depuis 6 ans.

 

Toute son enfance, Guillaume Delacroix a entendu parler de l’Inde par un de ses oncles, originaire de Karaikal (près de Pondicherry) en Inde et ayant opté pour la nationalité française lors de la finalisation du transfert du territoire de Pondichéry à l’union indienne en janvier 1963. Le jeune habitant de Karaikal avait quitté l’Inde pour faire son service militaire en France et fut envoyé en Algérie. De retour en France, il rencontra sa future femme, se convertit au catholicisme, se maria, fonda une famille et effectua toute sa carrière dans l’armée. Il ne revint jamais vivre en Inde mais y retourna régulièrement pour rendre visite à sa famille.

Lorsque Guillaume, enfant, allait voir ses cousins, il était fasciné par les récits de son oncle sur l’Inde, ses coutumes, ses traditions, son climat … N’ayant jamais pu accompagner celui-ci lors de l’un de ses retours sur sa terre natale, Guillaume nourrit le désir de s’installer en Inde pour y découvrir par lui-même ce pays.

 

Karaikal Pondichery Inde
L'Illustration, 1931 - Atlas colonial français. Colonies, protectorats et pays sous mandat

 

Après avoir exercé le métier de journaliste pendant 20 ans (dont 12 ans au quotidien économique Les Echos), et avoir été correspondant en Italie, Guillaume atterrit en Inde en septembre 2013 et choisit de s’installer à Bombay, ville pour laquelle il a un coup de coeur. Son premier voyage l’emmène naturellement à Karaikal, dans la famille de son oncle (décédé entre temps), laquelle l’accueille chaleureusement et l’initie à certaines traditions de leur région, le Tamil Nadu. Puis, de retour à Bombay, il s’attache à concilier son métier et sa nouvelle vie.

Un vide médiatique à combler

A l’époque, on trouvait peu d’informations sur l’Inde dans les journaux français et Guillaume pensait qu’il fallait combler ce vide. “Il y a 1300 millions d’habitants en Inde, mais on en parle très peu en France, beaucoup moins en tous les cas que la Chine. Mon idée était de convaincre les journaux français qu’il y a des choses passionnantes à raconter sur l'Inde pour un lectorat français”, dit-il.

Début 2014, la campagne électorale pour les législatives indiennes démarre et l’actualité est bouillonnante. Le parti des nationalistes hindous, le BJP, remporte la majorité des sièges au parlement, en écrasant le parti du Congrès qui avait gouverné l’Inde pendant de longues années. Narendra Modi, inconnu ou presque en France, devient le nouveau Premier ministre. Guillaume, qui a d’abord été correspondant de Mediapart durant quatre ans, a du pain sur la planche pour décrypter le nouveau paysage politique indien. “J’ai eu de la chance, je suis arrivé juste avant un tournant de la vie politique indienne qui a réveillé un intérêt soudain à l’étranger pour ce géant d’Asie et ses nouveaux dirigeants”, déclare-t-il.

La découverte de toutes les facettes du géant indien

Six ans plus tard, Guillaume est devenu “l’Indien” de sa famille française. “Lorsque les enfants de mon oncle de Karaikal viennent en Inde, c’est moi qui leur raconte le pays de naissance de leur père. Je leur fais découvrir une Inde à laquelle ils sont attachés par le sang, mais où ils n’ont jamais séjourné plus de quelques mois d’affilée”, explique-t-il.

 

guillaume delacroix

 

Aujourd’hui, comme correspondant de Courrier International à Bombay, il est responsable de la sélection hebdomadaire des meilleurs articles de la presse d’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Afghanistan, Népal, Bhoutan, Bangladesh, Sri Lanka et Maldives), parmi lesquels la rédaction en chef du journal, à Paris, fait son choix pour une traduction en français et une publication dans Courrier International. Tous les jours, Guillaume alimente par ailleurs le site internet du journal sur l’actualité régionale, en mettant en perspective les sources locales d’Asie du Sud. Courrier International étant propriété du groupe Le Monde, il est également amené à collaborer avec ce journal, sous la forme de reportages et d’analyses pour le quotidien Le Monde et le magazine hebdomadaire M le Mag. Récemment, il s’est déplacé dans le Jharkhand, un Etat forestier situé entre Calcutta et Varanasi, pour sonder les tribus qui vivent là-bas sur leurs intentions de vote pour les législatives. Il y a trois ans, il était allé interviewer les minorités ethniques du Nagaland, petit Etat indien frontalier de la Birmanie, afin de comprendre le sens de la question identitaire pour ces populations tibéto-birmanes de confession protestante, vivant dans un pays dirigé par des nationalistes hindous.  

 

Jharkhand Nagaland
Etats du Jharkhand et du Nagaland

 

Il continue à faire des découvertes au cours de ses déplacements et s’est ainsi rendu compte de la complexité du pays et des traits qui distinguent la trentaine Etats de l’union indienne. “J’aime ce côté positif de la découverte, le métier de journaliste est avant tout un apprentissage.”

 

L’Inde est le pays de la diversité et de la variété, il n’existe pas ici de “nation” au sens français du terme.

 

Les habitants du Tamil Nadu n’ont rien en commun avec les habitants du Cachemire ni même de l’Uttar Pradesh, ni la langue, ni le climat, ni l’histoire, ni la gastronomie, ni les coutumes et traditions.” Observateur de cette mosaïque, Guillaume se demande toujours “comment l’Inde tient !”

 

Pour lui, ce sont les Indiens au quotidien qui font tout le charme et le plaisir de vivre à Bombay. “Les gens sont chaleureux, souriants et toujours optimistes, dit-il. C’est un régal, même si le pays est confronté à des problèmes gigantesques ! Cela a changé ma vie”.

 

Se confronter à d'autres règles sociales

En Inde, tout est lent, les procédures administratives s’éternisent, mais cela enseigne la patience et le détachement, et cela aide à profiter plus doucement de la vie. “La plus grande différence entre l’Occident et l’Inde est la notion du temps. Ici, personne n’arrive à l’heure à un rendez-vous et c’est normal, affirme-t-il. C’est crispant, c’est agaçant, c’est exténuant, mais ça apporte aussi des bienfaits, une autre façon d’appréhender le quotidien.”

Son seul regret ? Le manque d’intimité et de courtoisie. Mais, pour lui, ces défauts sont largement compensés par les sourires et la gentillesse. “Les Indiens vous posent spontanément des questions intimes et vos voisins rentrent chez vous sans vous demander la permission. Sans parler de ceux qui bousculent tout le monde dans l’avion juste après l’atterrissage, ou de ceux qui doublent sans vergogne dans les files d’attente ! Ce sont des façons de vivre très éloignées des nôtres”, avoue-t-il. Mais, selon lui, cela s’explique par le manque de place et la surpopulation. “La vie est un combat perpétuel, surtout ici à Bombay, il faut occuper le moindre espace vide, faute de quoi quelqu’un d’autre s’y installera.”

 


Les coups de coeur de Guillaume en Inde

Banganga Tank, le bassin situé sur la colline de Malabar, au sud de la mégapole, est pour Guillaume l’incarnation de la ville et du pays. Une source d’eau douce, tout près de la mer d’Arabie, y alimente un réservoir que les Hindous considèrent sacré. Le lieu est extrêmement paisible, entouré de plusieurs temples et d’un lavoir, avec vue imprenable sur l’océan. “C’est un concentré de l’Inde, un endroit magique, protégé des fureurs de la ville. C’est là que j’emmène tous mes visiteurs.”

 

Banganga tank Malabar Hill Mumbai
Banganga tank sur la colline de Malabar à Bombay - par Oknitop Wikicommons

 

Guillaume conseille aussi à tous les étrangers venant en Inde de prendre le temps de visiter les temples d’Hampi, dans le sud du pays. A la fin du Moyen Age, Hampi était la deuxième plus grande ville du monde après Pékin. Elle était la capitale du dernier royaume hindou du plateau du Deccan (la moitié sud du sous-continent), et fut saccagée par les sultans musulmans du nord de l’Inde en 1565. Le site est encore bien préservé et les temples en ruine sont éparpillés dans un paysage lunaire de gros blocs de granit rose qui paraissent avoir été jetés du ciel au milieu des bananeraies et des rizières. Hampi est inscrite au patrimoine de l’UNESCO.

 

Hampi deccan site unesco
Paysage lunaire à Hampi - photo Ksuryawanshi Wiki commons

 

Isabelle Bonsignour
Publié le 28 mai 2019, mis à jour le 19 décembre 2023

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