Dans la paisible atmosphère du restaurant Le jardin de Suffren nous avons rencontré Arun, dont les photos incontournables sur les réseaux sociaux, font découvrir la ville de Pondichéry.
Arun, élégant, souriant, a 37 ans.
Marie Joëlle est notre interprète, la conversation en tamoul est ainsi fluide et Arun peut dérouler ses explications à la vitesse d’un torrent.
La genèse d’une passion.
Arun a été élevé dans une famille de femmes auprès de sa grand-mère, sa mère et ses tantes.
À la fin des années 1980, charmée par son bambin, sa mère l’amène souvent jusqu’au studio photo d’un ami, dans Mission street, où elle le fait photographier.
Un jour, elle demande au photographe de lui trouver un appareil photo argentique, qu’il lui commande à Mumbai. À l’époque, elle le paie 5000 roupies, plus ou moins 5000€ d’aujourd’hui. Elle pouvait alors prendre 30 photos par pellicule et les faire développer sur papier par l’ami photographe.
La grand-mère et la mère d’Arun gagnent leur vie en étant usurières, pratiques courantes dans toute l’Inde. Alors qu’il a 8 ou 9 ans, Arun se souvient d’avoir commencé à utiliser le boîtier de sa mère pour faire lui aussi des photos.
Le premier appareil photo numérique compact destiné au grand public sort en 1995.
L’oncle d’Arun, en 1997, lui rapporte de France son premier appareil numérique avec une carte mémoire de 15 pauses. Ne possédant pas d’ordinateur, il doit se rendre dans une boutique, comme un cyber café, pour charger ses photos sur des disquettes. La définition des photos numériques d’alors, n’était pas aussi bonne qu’aujourd’hui.
En route pour les réseaux sociaux
Tout comme aujourd’hui, Arun se levait avec le soleil, à 5h du matin et partait sur son vélo, avec son appareil, sur le front de mer, dans les rues à la recherche de la photo insolite du jour ou d’un beau jeu de lumière. Pondichéry suscite communément des envies de fixer des scènes, attraper des couleurs et des images en les photographiant, à n’importe quelle saison et à n’importe quelle heure de la journée. Mais le clic ne fait pas forcément le bon photographe.
Arun stocke alors ses photos avec précaution, sans avoir l’idée de ce qu’il pourrait en faire.
En 2006, le réseau social Facebook, qui existe depuis 2004 alors uniquement à destination des étudiants de Havard, s’ouvre à tous et en 2007, le jeune photographe commence à y poster ses photos. Les appréciations des internautes commencent et l’encouragent à continuer. À cette époque, lorsque dix personnes avaient vu une photo et l’avaient aimée, c’était déjà extraordinaire.
En 2012, le smartphone se démocratise et Arun devient connu d’un certain public, il commence à utiliser l’application Instagram spécialement destinée à ceux qui veulent poster des photos et vidéos. Les temps changent et les vidéos courtes deviennent plus populaires que les photos, Arun se lance et suit la tendance qui s’amorce.
Faire des études d’ingénieur en mécanique et devenir web designer
Arun a suivi des études en mécanique parce qu’il rêvait de conduire des trains. Il passe les concours nécessaires et est reçu. Malheureusement, à cette époque, plusieurs graves accidents de train se produisent en Inde. Des conducteurs de locomotives, amis de sa mère, lui conseillent de dissuader son fils de faire ce métier stressant, qui les rend malade, diabétique et de ne pas le laisser risquer sa vie alors qu’il est son unique enfant.
C’est ainsi que l’orientation professionnelle d’Arun se modifie et qu’il prend le chemin des études en web designs.
Arun devient le photographe officiel de Pondichéry
En 2018, Arun fait sa première exposition photos papier, dans une petite salle appartenant à l’Ashram qui se situe sur le front de mer. Il veut faire découvrir son travail à un plus large public, qui sera d’ailleurs au rendez-vous. Il projette d’en faire une seconde à la mairie de Pondichéry, quand il est stoppé par le coronavirus en 2020.
Le gouvernement de Pondichéry commence alors à s’intéresser à son travail. Pendant le Covid, il est le seul photographe à avoir une autorisation pour faire des photos dans les hôpitaux et cliniques de la ville. Il lui est même demandé de prendre des photos de malades, que l’on amène voter pour les élections législatives de 2021, dans une école désignée. Lui, comme tout le monde et comme son matériel photo sont protégés par des combinaisons et des masques afin de ne pas risquer de propager le virus.
Par la suite, le préfet lui offre un prix pour avoir promu la campagne de vaccination sur les réseaux sociaux et il reçoit les félicitations de responsables de Delhi et Pondichéry. Cet épisode plutôt courageux, lui permet d’obtenir dorénavant plus facilement que d’autres, des autorisations de photographier.
Par chance, il n’est jamais tombé malade.
Photographe attitré de Pondichéry, mais pas photographe contractuel du gouvernement
Arun veut garder sa liberté d’agir et d’imaginer des projets, alors, lorsque le gouvernement de Pondichéry lui propose de lui signer un contrat et de le loger gratuitement, il refuse. Cependant il continue à accepter les commandes que lui propose le ministre du tourisme. Pour 2025, il a fait des photos pour le calendrier officiel de Pondichéry. Il juxtapose des photos de Pondichéry datant du début du XX éme siècle, avec des photos de 2024, prises exactement du même endroit et avec le même cadrage.
Arun photographie aussi les très nombreux événements qui émaillent l’année à Pondichéry: les différentes journées officielles comme la journée internationale du yoga, toutes les fêtes religieuses, les fêtes de célébration pour la libération de Pondichéry, celles de la fête nationale, les expositions, les élections, les visites de personnalités.
Il prend aussi les photos d’inaugurations de nouveaux immeubles construits par la ville et aussi des hôtels et restaurants qui ouvrent.
Des cartes postales de ses photos, sont aussi vendues à la poste de Pondichéry.
Pondichéry, la ville chérie des photographes
Les week-ends sont extensibles pour les touristes indiens qui viennent à Pondichéry, ils sont très présents au moins cinq jours par semaine.
Les trottoirs de ce qu’on nomme "la ville blanche" (c’est-à-dire la partie de la ville dont les maisons, les façades d’un autre siècle sont classées), voient fleurir des couples, des familles, des groupes d’amis, des petits enfants, pris en photos par ce qui semble être des photographes professionnels, équipés d’une vraie panoplie de pare-soleil, plaque miroir, pieds d’appareils photos ou perches.
Arun dit que certains sont vraiment des photographes professionnels, d’autres des amateurs qui louent leur matériel et profitent de cet engouement des touristes qui pour certains viennent, expressément à Pondichéry faire faire ces photos.
Ces façades et ces portes, ces marches d’escaliers, ces plaques de rues bleues, sont les endroits où prendre les photos et les vidéos d’avant mariage, de mamans enceintes, ou du premier anniversaire du dernier(re) né(e).
Un studio photo peu connu fait payer le pack, photos et vidéos, environ 1500€ et un très bon photographe peut demander jusqu’à 5000€ pour la même prestation.
Arun n’est pas intéressé par ce style de photos commerciales, il gagne de l’argent en travaillant comme modèle pour une marque de vêtements masculins, ou en étant photographe pour des lignes de vêtements d’enfants ou de femmes.
Une expérience extraordinaire et une photo très réussie
Lors de la journée internationale du Yoga, Arun a pris une photo très réussie de la statue de Gandhi, encadrée de deux avions qui passent de concert dans le ciel. Cette photo ravit le responsable du NCC (National Cadets Corps), qui lui propose de faire des photos d’un de leurs avions, autant de fois qu’il le souhaite. Arun n’a jamais pris l’avion. Ainsi il prend des photos de la ville, du golfe, de ses environs et même d’Auroville sous un angle nouveau.
Un mois plus tard, un responsable de la mairie l’appelle et lui dit qu’un avion militaire vient de Chennai et il lui demande s’il se sent capable de faire des photos de cet avion, en étant dans un autre avion. Il prend les photos demandées, parfois agrippé dans un avion qui vole en faisant quelques virages et vrilles un peu acrobatiques. Le souvenir de cette expérience qu’il ne réitérera peut-être pas, lui fait dire qu’il a pris des risques en faisant ses photos et qu’il n’aurait pas imaginé les faire un jour.
Arun a obtenu trois prix du gouvernement pour ses photos, un prix du chancelier de l’université et quatre prix d’organisations privées.
Sur Facebook, Pondicherry Arun est suivi par 18000 followers.
I love Pondichéry a 61.400 followers sur Instagram .
Le travail d’Arun est esthétique, équilibré et plein d’inventions, il maîtrise parfaitement la technique et il semble jouer avec les sujets qu’il photographie ou filme en vidéo. Le spectateur ressent son plaisir à capter des images pour les partager.
Ses derniers projets l’amènent à montrer sa ville natale dans des versions plus didactiques, pour les touristes, sous forme de vidéos qu’il commente, comme les mini-cours de l’histoire des noms de rues de Pondichéry.
Le Petit Journal remercie Marie Joëlle pour l’aide apportée à la traduction des échanges en tamoul et Arun pour nous avoir partagé son parcours. Les photos de cet article sont d'Arun excepté celle avec sa traductrice.