Dans le cadre de la 49e édition du Festival du Film Français de Hong Kong, Lepetitjournal.com est allé à la rencontre de Yann Arthus-Bertrand et d’Anastasia Mikova, coréalisateurs du Woman, pour qu’ils nous parlent de ce film qui raconte ce que c’est que d'être une femme aujourd’hui.
Mosaïque de portraits de femmes
Votre film Woman fait l’ouverture du Festival du Film Français de Hong Kong. Pourriez-vous nous parler de ce projet ?
Yann : lorsque on a travaillé sur le film Human on a senti que la voix des femmes méritait un film entier, c’était une évidence. Je voulais parler des injustices : pourquoi les gens les plus pauvres et les plus illettrés du monde sont des femmes ? Anastasia voulait aborder aussi d’autres sujets sur l’intimité des femmes, par exemple parler des règles, pour moi ce n’était pas si important mais je me suis aperçu que ça l’était. C’est un film fait plutôt par Anastasia et les femmes de l’équipe que par moi.
Vous avez tourné dans 50 pays et interviewé 2,000 femmes, quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Anastasia : On a toujours travaillé en transparence, il était essentiel que chaque femme soit fière et heureuse de témoigner. On n’a jamais voulu les mettre en danger, lorsqu’on sentait que dans un pays c’était compliqué, on préférait ne pas y aller, car dans chaque pays on demandait des autorisations officielles pour ne pas créer de problèmes aux femmes, idem pour les familles, personne n’a tourné en cachette, même pour aborder des sujets très difficiles comme les viols de guerre dont parlent les femmes yézidies. Il y a une partie du monde qui est sous-représentée dans le film, certains pays du Golfe ne sont pas assez mûrs pour donner aux femmes la possibilité de partager leurs histoires. Les femmes qui nous ont parlé étaient dans le besoin de raconter leur histoire et cela faisait partie de leur reconstruction.
Regarder le monde avec les yeux d’une femme
En quoi ce film a changé votre regard sur les femmes ?
Yann : Ce film m’a transformé, nous (les hommes) avons nos préjugés, maintenant je vois différemment ma mère, ma femme, mes sœurs et les femmes en général, je me suis rendu compte qu’une femme a beaucoup plus d’épreuves à passer dans la vie. Ça m’a fait beaucoup de bien et je deviens un peu moins con.
Quels sujets aviez-vous envie d’aborder ?
Anastasia : Yann est très engagé et voulait aborder des sujets très importants, mais que des choses négatives. Dans un film qui s’appelle Woman il faut montrer que la vie des femmes n’est pas que cela, heureusement. Pour moi, il était indispensable de parler de l’intimité…il aurait fallu que je vous envoie une photo de sa tête lorsque je lui ai proposé de parler des règles ! Une fois qu’il a entendu les témoignages il n’a plus posé de question, comme quoi il n’est jamais trop tard pour découvrir des choses sur les femmes. Je voulais qu’on parle de sexualité car le plaisir est important dans la vie d’une femme mais je ne savais pas si ça allait marcher et pourtant, beaucoup des femmes nous ont livré des choses qu’on a dû couper au montage tellement ça devenait un film érotique ! Nous avons été surpris par leur liberté de parole car pour elles c’était très important de partager les plaisirs et la joie dans leur vie.
Écouter la voix des femmes
Avez-vous une anecdote marquante concernant les femmes que vous avez rencontrées ?
Anastasia : l’histoire de Norma Bastidas a été un moment déterminant du film, elle a été abusée toute son enfance par son grand-père dont elle devait s’occuper car il devenait aveugle. Devenue adolescente on lui a proposé un contrat de mannequinat au Japon où elle s’est retrouvée dans un trafic d’êtres humains. Lorsqu’elle réussit à s’en extraire et à avoir une vie à peu près normale, elle devient mère d’un garçon en situation de handicap et commence à boire. Un soir, elle prend conscience qu’elle doit s’occuper de quelqu’un à présent, et au lieu de prendre la bouteille, elle prend ses baskets et part courir. Finalement elle devient une grande athlète qui figure aujourd’hui dans le livre Guinness pour le plus long triathlon jamais accompli. Le plus difficile pour elle n’a pas été ce qu’elle a vécu mais de prendre la parole, elle dit : "ce n’est pas que les victimes n’ont pas de voix, c’est juste que vous ne voulez pas nous entendre" pour moi c’est le message principal du film.
Qu'aimeriez-vous que les gens retiennent de votre film ?
Yann : Nous faisons beaucoup de films sur l’amour et sur les êtres humains, tous les films qu’on fait nous rendent un peu meilleurs, après avoir vu Human peut-être que tu aimes un peu plus les gens, Woman c’est la même chose, un film pour essayer de mieux comprendre les gens autour de soi. Dans la vie, on apprend tous les jours des autres, j’aime citer cette phrase du pape "conscience amoureuse de la vie" et je pense qu’aujourd’hui il faut regarder les autres avec plus d’amour, tout simplement.
Norma Bastidas dit : "la violence prospère dans le silence", comment libérer la parole des femmes ?
Anastasia : il y a 15 ans c’était impossible de trouver une femme prête à témoigner devant la caméra à visage découvert à cause de la pression familiale et sociale. J’étais habituée à que ce soit très compliqué mais en faisant notre précèdent film Human, quelque chose m’a vraiment frappé : j’ai vu des femmes venir à nous avec l’envie de participer à notre projet et une fois qu’elles étaient devant la caméra, c’était évident que par rapport aux hommes elles avaient un besoin beaucoup plus fort d’être entendues, c’était comme si elles se libéreraient de toutes les choses qu’elles avaient gardées des décennies, voire toute leur vie, et ça a été une vraie délivrance, physique presque, comme un poids qu’elles enlevaient. Je pense qu’on n’a pas eu besoin de libérer la parole des femmes, après Human, on a senti que c’était le bon moment pour la leur donner car elles étaient prêtes à la prendre.
Comment souhaitez-vous que le film impacte le public masculin ?
Anastasia : Je pense que c’est un film de compréhension, autant pour les femmes c’est un film qui résonne comme un miroir, chacune peut se retrouver dans quelqu’un dans le film, autant pour les hommes c’est vraiment un film de découverte qui leur a permis de comprendre beaucoup des choses sur les femmes qu’il n’avaient jamais soupçonné ou même pensé, la meilleure chose pour nous réalisateurs c’est d’entendre les hommes dire : "j’ai envie de rentrer chez moi et de poser plein de questions à ma femme et à ma fille". Si on a donné la parole aux femmes c’est parce qu’elles ont une autre vision des choses, ni meilleure ni moins bien que celle des hommes. Voilà l’intérêt de travailler à deux avec Yann, tous les films qu’on fait sont des films de dialogue qui parlent du vivre ensemble.
Concilier écologie et humanisme
Avec votre fondation GoodPlanet, vous faites une association entre écologie et humanisme, en quoi le thème de la femme rejoint-il votre engagement global ?
Yann : Dans la fondation on parle aussi bien de changement climatique, de la nourriture que des réfugiés. Je crois que les femmes comprennent mieux que les hommes les questions environnementales et l’impact que cela aura sur nos enfants, les femmes ont une vision du monde avec moins de scepticisme et de cynisme et plus d’envie de changer, elles sont plus aptes à intégrer cette prise de conscience sur l’écologie, tous les héros de l’environnent sont en fait des héroïnes, de Rachel Carson dans les années 60 à Greta Thunberg aujourd’hui.
Quel est votre avis à propos de la notion de distance entre journaliste et interviewée lors de ces entretiens ?
Anastasia : avant d’être réalisatrice, je suis journaliste d’investigation et ce qu’on m’a appris en tant que journaliste c’est de mettre cette distance pour se préserver un peu de tout ça, mais lorsqu’on fait un film comme Human-Woman, on se retrouve face à une femme qui n’a jamais parlé à personne du viol qu’elle a vécu et qui te fait confiance avec son histoire, c’est impossible de se dire : ce n’est pas mon histoire je rentre chez moi boire une bière. Au début j’ai essayé de me préserver mais j’ai fini par faire tomber ce mur et livrer quelque chose de moi, aujourd’hui je ne sais même pas si ce qu’on fait c’est du journalisme, je pense que ce sont des rencontres humaines. Je dis à tous les journalistes : oubliez tout ce qu’on vous a appris, l’important c’est que la personne sente qu’elle est face à un être humain prêt à partager des choses avec elle. Donc la distance, je ne la garde pas du tout !
Quel a été l’impact du COVID pour le film ?
Yann : d’habitude on fait des films qui sont libres de droit sur internet, mais cette fois le film est passé par le circuit commercial. On avait prévu que tous les bénéfices du film aillent à une association pour aider les femmes à devenir journalistes mais le film est sorti (en France) en mars juste avant le confinement, donc cela va être difficile malheureusement.
Quels sont vos futurs projets ?
Yann : On vient de finir un film qui s’appelle Legacy, sur la crise écologique, c’est la suite du film Home, onze ans après, c’est un film pas très optimiste mais qui aborde des sujets importants et essentiels. On est en train de préparer un autre film qui s’appelle France une histoire d’amour, où on va à la rencontre des Français pour parler de la France et de tout ce qui a de formidable en France : les terroirs, les gens, la nourriture, les lois sociales, etc. Même si on râle tout le temps, on est dans un pays incroyable. On commence aussi un grand projet sur les réfugiés dans le monde.
Anastasia : J’ai fait un gros projet cette année qui s’appelle un bébé, ça change vraiment la vie, donc je m’occupe de cet énorme projet ! Je suis aussi en train de développer un film qui va de nouveau donner la parole aux femmes mais à travers la voix de jeunes filles car je trouve que c’est quelque chose dont il faut se soucier d’avantage, on se rend bien compte dans les interviews que quasi tous les schémas qu’on reproduit sont des schémas qu’on nous a inculqués dans notre enfance et sont tellement forts que c’est très difficile de sortir de cela, donc j’ai envie de donner une voix aux jeunes filles qui vont changer le monde demain.
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