La guerre fait son retour sur le continent européen. Les forces armées de la Fédération de Russie ont pénétré en Ukraine et menacent désormais de faire chuter le gouvernement de Kiev. Tandis que les Occidentaux montrent leur solidarité avec l’Ukraine en sanctionnant économiquement la Russie, le rôle de la Chine, puissance n’ayant traditionnellement que peu de leviers en Europe, est pour le moins ambigu. Analyse.
Réactions chinoises face à l'agression russe
Les origines immédiates de l’invasion de la Russie remontent à la fin de l’année 2021 quand des troupes russes s’amassent aux frontières de l’Ukraine pour des exercices. Cette démonstration de force fait suite aux évènements de 2014 dans l’Est de l’Ukraine et surtout la demande réitérée d’adhésion du pays à l’Union européenne et à l’OTAN.
La Chine avait jusque là soutenu la position de la Russie, consistant à rejeter une possible extension de l’OTAN à l'Ukraine au chef que celle-ci jouxte directement la Russie. Au moment de la dissolution de l'Union Soviétique en effet, le président Bush s'était engagé dans les accords de Minsk à ne pas développer l'OTAN aux anciennes républiques soviétiques pour que la Russie bénéficie d'une zone tampon.
A l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’Hiver le 4 février 2022, boycottés par de nombreux pays occidentaux, Xi Jinping et Vladimir Poutine ont eu l’occasion de montrer un front commun, le ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi ayant auparavant déclaré à son homologue russe Sergei Lavrov que les inquiétudes russes étaient « légitimes ». Wang Yi a par ailleurs rappelé à la conférence de sécurité de Munich tenue le 19 février que la souveraineté et la sécurité de tous les pays devait être sauvegardés, y compris celle de l’Ukraine.
Le 21 février, lors de la reconnaissance de l’indépendance par la Russie des deux républiques séparatistes de Louhansk et Donetsk, prélude à l’invasion, la position chinoise a été d’appeler au calme en rejetant l’usage de la violence, tout en reconnaissant les préoccupations stratégiques de la Russie. Pourtant, deux jours plus tard, les troupes russes entrent illégalement sur le territoire ukrainien et débutent l’invasion du pays.
Si les condamnations de la part de l’Occident fusent, la réaction chinoise, la porte parole du ministère des affaires étrangères Hua Chunying a alors refusé d’employer le terme d’invasion tout en blâmant les Etats-Unis, tenus pour responsables de l’escalade militaire. Le conflit gagnant en intensité, Xi Jinping et Vladimir Poutine ont échangé le 25 février, Xi appelant son confrère à retourner à la table des discussions et « d’abandonner une mentalité de guerre froide ». Le même jour, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur la cessation des conflits a été bloqué par le veto russe. La Chine, aux côtés de l’Inde et des Emirats Arabes Unis, s’est abstenue.
Une opportunité de tester les Etats-Unis
Pour Pékin, cette guerre pose un nouveau défi, sa position étant soumise à ses propres intérêts stratégiques à court et à long terme.
Bien évidemment, la Chin ea traditionnellement intérêt à affaiblir la crédibilité américaine quant à sa capacité à garantir la paix mondiale. La Chine s'oppose donc systématiquement aux tentatives d’extension du réseau d’alliances américain et accueille comme une opportunité les initiatives contribuant à miner l'influence des Etats Unis.
En particulier, Pékin s'attaque aux liens que Washington entretient avec différents états de la zone Asie-Pacifique, qu'il s'agisse d'alliances (Japon, Australie, Corée du Sud...) ou de partenariats stratégiques (Indonésie, Vietnam...). Non seulement ces alliances visent à empêcher Pékin d’atteindre le statut de puissance régionale dominante mais l'aide militaire de Washington à Taiwan est un point de discorde majeur entre les deux pays.
Taiwan est en effet revendiquée par Pékin comme étant sa 23ème province, depuis la guerre civile avec les nationalistes de Chiang Kai Shek. Le pouvoir chinois affirme de manière de plus en plus fréquent sa volonté de rattacher l’île à la Chine, de gré ou de force. Comme une invasion de Taiwan pourrait amener les américains à prendre sa défense du pays, l’opération de la Russie en Ukraine est observée de très près par la Chine, y voyant un moyen de savoir jusqu’où les Etats-Unis sont prêts à aller pour défendre des pays considérés comme amis. C'est aussi une opportunité de semer le doute quant à la fiabilité américaine, déjà mise à mal par le retrait sans condition d'Afghanistan.
Quoi qu'il en soit, les liens qui unissent les Etats-Unis à l’Ukraine ne sont en rien comparables à ceux qu’ils entretiennent avec Taiwan. L’importance stratégique, économique et technologique de l’île est en effet bien supérieure à celle de l’Ukraine. Quant aux capacités militaires chinoises, elles ne sont pas encore suffisantes, notamment sur le plan de la marine pour risquer une invasion navale à Taiwan.
Les relations entre la Chine et la Russie
Les relations économiques et stratégique entre la Chine et la Russie se sont particulièrement développées ces dernières années. Ils partagent aujourd'hui en effet la même opposition vis à vis des Américains. Depuis l'annexion de la Crimée par la Russie, un fossé s'est creusé entre la Russie et ses traditionnels partenaires européens. La question de la coopération avec un régime autocratique, a soulevé des questionnements en Europe, mais aussi au sein du leadership russe. Les sanctions économiques imposées en 2014 ont poussé la Russie à développer des relations plus intimes avec la Chine. Pour Moscou, ce partenariat a donc permis de mitiger les effets des sanctions, et de réduire sa dépendance par rapport à l’Ouest.
Une bonne relation sino-russe représenterait pour Pékin l'assurance d'avoir accès à des matières premières nécessaires à son développement, gaz, pétrole, terre rare, blé et bois entre autres, et ce seulement de l'autre côté de la frontière et sans avoir à dépendre des routes maritimes sous contrôle américain. Le besoin en ressources de la Chine rend donc peu avantageuse l'application de sanctions envers la Russie. La potentielle exclusion de la Russie du système bancaire SWIFT risque aussi d'encourager les banques russes à utiliser l'alternative chinoise ( le China’s Cross-Border International Payments System, utilisé dans 80 pays) et ainsi conduire la Russie à utiliser le yuan plutôt que le dollar pour ses transactions commerciales.
La Chine préfère ne pas prendre parti dans le conflit Russie/Ukraine
Malgré tous ces éléments, la nouvelle de l’invasion ne fait pas forcément l'affaire de la diplomatie chinoise.
Tout d’abord, la Chine et l’Ukraine entretiennent des relations économiques importantes, même si elles ne sont en aucun point comparables avec celles entre la Chine et la Russie. La Chine est en effet le premier partenaire commercial de l’Ukraine, avec des échanges totalisant treize milliards de dollars US. L’Ukraine fait d'ailleurs partie du projet des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative) et la guerre met directement en péril les investissements chinois dans les infrastructures ferroviaires et les réseaux 5G.
Par ailleurs, d'un point de vue dogmatique, l’inviolabilité des frontières et de la souveraineté des états est une des pierres angulaires de la diplomatie chinoise. Aussi, malgré le grignotage récent de l’Ukraine par la Russie, la Chine a toujours reconnu l’Ukraine dans ses frontières de 2014. Une remise en cause du principe de souveraineté, tel qu’exercé aujourd'hui par Moscou, ouvrirait la porte à des actions similaires à l’encontre de la Chine, pays multi-ethnique comprenant les minorités du Tibet et du Xinjiang.
Pékin semblait d'ailleurs ne pas s'attendre à ce que la Russie procède à une invasion totale du pays. Cela explique aussi pourquoi, bien qu'ayant dénoncé les tentatives américaines de vouloir étendre l'OTAN, la Chine a été contrainte d’adopter une posture plus mesurée, au fil de l’avancée russe et au vu de l’ampleur des opérations,
La Chine ne souhaite évidemment pas devenir une victime collatérale des sanctions décidées contre la Russie en affichant un soutien catégorique. Pékin n’a en effet que peu d’intérêt à s’aliéner les Européens au sujet de l’Ukraine, une affaire qui ne les concerne à priori pas, et encore moins de transformer cette crise en un énième terrain de confrontation avec les Etats-Unis.