Le complexe sur Nathan Road, à TST, connu sous le nom de “ghetto de Hong Kong”, est un haut lieu de rassemblement des minorités ethniques d’Asie du Sud et d’Afrique de la ville. Encore perçu avec méfiance aujourd’hui, Chungking Mansions est pourtant un bel exemple de Hong Kong en tant que ville mondiale.


Une mystérieuse femme blonde à lunette noire s’enfuit à travers des couloirs aux lumières bleuâtres, après qu’une affaire de trafic de drogues tourne au vinaigre… Les premières scènes de Chungking Express, par Wong Kar-wai, se déroulent à l’intérieur de Chungking Mansions. Encore aujourd’hui, Chungking Mansions est perçu comme un endroit à éviter parmi les Hongkongais - des histoires d’activités criminelles sont indissociables de sa légende. Sous surveillance policière étroite depuis vingt ans, le complexe de 17 étages attire aujourd’hui touristes, entrepreneurs, et migrants en quête d’un refuge.
Entrepreneurs, migrants et touristes
10 000 personnes franchiraient les portes de Chungking Mansions par jour, selon l’équipe managériale. Au rez-de-chaussée, les petits commerces règnent : échange de monnaie aux meilleurs taux de la ville, restaurants de l’Asie du Sud, magazins de téléphones mobiles comme de tissus, coiffeurs… Aux étages, les guest houses accueillent les touristes à petit budget, principalement chinois et occidentaux. L’anthropologue spécialiste de Chungking Mansions à Chinese University of Hong Kong, Gordon Matthews, comptait le passage de 120 nationalités dans le complexe en 2011.
Construit en 1961 pour des logements, Chungking Mansions gagne en notoriété lors de son apparition dans le guide touristique de Lonely Planet en 1978 : “Il n’y a que deux mots pour un logement sale et bon marché à Hong Kong : Chungking Mansions”. L’endroit était déjà fréquenté par les voyageurs à sac-à-dos et les hippies de l’Ouest. Derrière les loyers bas et les petits commerces asiatiques et africains, les activités illégales vont bon train dans les années 80 - le complexe devient notamment une plaque tournante du trafic d’or vers le Népal.
L’endroit est largement surveillé depuis 20 ans : 300 caméras de surveillance et 30 agents de sécurité parcourent le complexe, d’après l’équipe managériale.
Un tremplin pour démarrer à Hong Kong
Les commerçants originaires d’Asie du Sud, les entrepreneurs africains, les demandeurs d’asile : tous se retrouvent ici avec une motivation première, l’argent. Le propriétaire de Moti Palace, “le meilleur restaurant indien de Chungking”, témoigne : “Je suis arrivé à Hong Kong enfant, avec mes parents qui cherchaient de meilleures opportunités économiques”. Plus loin, le gérant d’un commerce de téléphones mobiles fait part d'une histoire similaire : “J’ai fait des études de commerce au Pakistan, et ensuite, j’ai directement cherché à partir. Je suis arrivé à Hong Kong et j’ai ouvert mon affaire en 1970.” Parler au moins trois langues est généralement de mise : les commerçants croisés parlent l’anglais et le cantonais en plus de leurs langues maternelles.
Les affaires reposent en partie sur les migrants sans permis de travail, payés en dessous du salaire minimum. “S’ils étaient payés au salaire minimum, les prix monteraient, et les entrepreneurs originaires de pays en voie de développement ne pourraient plus se permettre d’acheter ici”, explique Gordon Matthews en 2016. Sans surprise, les bureaux du Centre pour les réfugiés de l’Action chrétienne sont situés à Chungking Mansions.
Chungking Mansions, la “mondialisation bas de gamme”
Chungking Mansions, ou la “mondialisation bas de gamme”, selon l’expression de Gordon Matthews : ces petites transactions souvent semi-légales de produits expédiés dans des pays en voie de développement. Comme exemple le plus frappant : l’exportation d’objets électroniques vers l’Afrique. A la fin des années 2000, Gordon Matthews suit un entrepreneur kenyan repartant de Hong Kong avec une valise remplie de téléphones portables, acheté à bas prix à un commerçant indien. “Mon estimation est que 20% des téléphones mobiles en circulation en Afrique subsaharienne aujourd’hui sont passés par Chungking Mansions”, déclare Matthews en 2011. Le ghetto de Hong Kong remporte même le prix du Times magazine du meilleur exemple de la mondialisation en action en 2006.
Le commerce électronique n’est plus aussi lucratif qu’avant. En 2014, les règles de visa se font plus restrictives pour les pays africains. Aujourd’hui, la majorité de l’Afrique n’a le droit qu’à 14 jours de séjour sans visa, ou visa obligatoire, selon l’Immigration Office. “Les affaires sont plus dures depuis, et le Covid-19 n’a pas aidé” déclare le gérant du commerce de téléphones mobiles. “Mes clients sont surtout africains, et ils se font moins nombreux”. Les affaires se déplacent vers la Chine, notamment à Guangzhou ou tout est moins cher et plus accessible, selon une enquête du South China Morning Post de 2016. Mais les commerces et les guest houses de Chungking Mansions sont toujours debout, à vous d'en faire l'expérience...
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