Quitter Hong Kong pour Paris à 14 ans afin d’intégrer l’école de danse de l’Opéra : c’est ainsi qu’en 2011 Chun-Wing Lam a donné corps à son rêve d’enfant de devenir danseur professionnel. Douze ans plus tard, le voici coryphée de la compagnie nationale française de ballet. Mais également conseiller en gestion de patrimoine. Rencontre avec un artiste pugnace et passionné, qui ne cesse de se construire des carrières.
J'ai choisi l'Opéra de Paris pour son prestige international
A 14 ans, vous aviez la certitude que vous feriez de la danse votre métier. Pourquoi avez-vous quitté Hong Kong et choisi Paris et ce, bien que vous ne parliez pas français ?
J’ai choisi de quitter Hong Kong car à l'époque, il n’y avait pas de voie professionnelle pour devenir danseur. Je ne pouvais qu’envisager de passer le DSE (Diploma of secondary education examination) puis aller à l’Academy for performing arts pour suivre leur cursus d’enseignement supérieur en danse. Mais à 14 ans, avec la pression scolaire grandissante, je savais que si je restais à Hong Kong, je prendrais de moins en moins de cours de danse pour me consacrer de plus en plus aux études. Mais je voulais devenir danseur et faire partie des meilleurs. L’école de l’Opéra de Paris me semblait inaccessible car l’une des plus prestigieuses si ce n’est la plus prestigieuse et parce que l’on me déconseillait d’essayer d’y entrer en m’affirmant qu’ils ne prenaient pas d’étrangers. Ma professeur de danse m’a alors encouragé, nous avons contacté le consulat qui nous a mis en relation avec l’école et j’ai passé le concours.
Il n'y a qu'une ou deux places par an
Le premier d’une longue série jusqu’à celui qui vous a permis de devenir professionnel…
Le concours pour entrer dans le corps du ballet est une suite attendue et presque obligatoire quand on arrive en première division (NDLR : la dernière année de formation), sachant que chaque année de notre scolarité, nous avions un examen qui pouvait être éliminatoire. Le seul objectif pour tous à l’école de danse est d’entrer dans le ballet de l’Opéra mais on ne peut passer le concours interne que jusqu’à nos 18 ans. Nous sommes entre 10 et 13 et il n’y a qu’une ou deux places attribuées par an. Cela dure deux minutes et ces deux minutes déterminent notre carrière entière. Car à la clé, on signe un CDI et nous sommes engagés jusqu’à nos 42 ans, âge auquel on bénéficie d’un régime spécial de retraite, qui est maintenu malgré la réforme ! (rires). J’ai passé le concours deux fois et je l’ai eu à 18 ans.
Après une blessure, j'ai démarré une autre carrière
En 2021, en préparant le concours de promotion pour passer de coryphée à sujet vous vous êtes blessé. Vous avez profité de cette mise à l’arrêt forcé pour démarrer une seconde carrière…
Une semaine avant le concours, alors que j’étais extrêmement confiant et partais favori, je me suis fait la blessure la plus grave de ma carrière, nécessitant deux opérations chirurgicales et un an d’arrêt. Mais finalement, cela a été une période positive car j’arrivais en parallèle en fin d’études d’école de commerce et je réfléchissais à l’après. J’ai donc saisi l’opportunité et me suis lancé dans la gestion de patrimoine en créant mon cabinet de conseil pour les artistes et les sportifs. Il y a peu de conseillers qui comprennent les spécificités de cette cible. Ce métier se joue sur la confiance et la compréhension du client.
Aujourd'hui je gère mes deux métiers de front
Quid de votre avenir : le grade d’étoile est-il l’objectif ?
Le fait de créer un cabinet, j’espère que ce sera la suite pour mon après-carrière. L’objectif de la plupart des danseurs est de devenir étoile. Si j’y arrive, si j’ai un jour la chance de décrocher ce titre ultime, j’en serai très honoré et heureux. Je travaille quotidiennement pour devenir un meilleur danseur, interprète et artiste de scène mais à mon sens, l’objectif doit être plus large que ça. Si je compare avec mon autre expérience professionnelle aujourd’hui, j’estime qu’on ne devrait pas regarder cela comme un métier, car être danseur c’est énormément de sacrifices et de contraintes. Si ce n’est pas pour la passion, cela ne vaut absolument pas le coup. Donc l’objectif c’est de cultiver cette passion.
Aujourd'hui je me sens autant Français que Hongkongais
Comment vous sentez-vous aujourd’hui, en tant qu’Hongkongais vivant à Paris, travaillant pour une institution française ?
Je ne me pose pas trop la question et j’oublie. Je me sens Français car j’ai passé la moitié de mon enfance en France. Professionnellement, je travaille en France, la gestion de patrimoine est quelque chose de très franco-français. La danse aussi. J’ai la nationalité française. Je me sens plus chez moi en France qu’à Hong Kong. Mais quand je rentre à Hong Kong, comme aujourd’hui après trois ans et demi d’absence, je me rends compte que mes racines sont toujours là.