Bertrand Lortholary , nouvel ambassadeur de France en Chine depuis fin mars 2023, en visite à Hong Kong, a répondu à nos questions sur la visite présidentielle et ses retombées, la situation des entreprises françaises et des Français en Chine et sur les perspectives liées à la coopération franco-chinoise.
Les enjeux de l’espace Indopacifique sont essentiels
Vous êtes un fin connaisseur de l’Asie après de nombreuses prises de postes liés à cette zone, comment définiriez-vous les enjeux pour la France en Asie ?
En ce qui concerne la France et l’Union Européenne, les enjeux sont ceux de l’espace Indopacifique, à savoir les pays riverains de l’Océan Indien et de l’Océan Pacifique. Ils sont de trois natures. Premièrement, les enjeux dans cette région sont de nature politique et sécuritaire, notamment parce que la France est une Nation de l’Indopacifique grâce à ses départements et collectivités d’Outre-mer et aux 2 millions de Français qui résident dans cette région. Ceci entraine des enjeux de souveraineté pour la France et renforcent d’autant plus notre intérêt à la stabilité d’une région marquée par des tensions. Deuxièmement, les enjeux sont économiques car nous sommes dans une région du monde qui se développe rapidement, occupe une place croissante dans la répartition des richesses mondiales, et représente une importance croissante pour notre économie. Troisièmement, cette région Indopacifique est de plus en plus importante pour résoudre ce qu’on appelle les « enjeux globaux » tels que changement climatique ou la biodiversité, et ceci parce que l’Asie a une empreinte croissante sur l’environnement, mais aussi parce que travailler avec les pays asiatiques est indispensable si nous voulons trouver des solutions à l’échelle mondiale. Dans ces trois domaines, nous renforçons donc le dialogue et les coopérations avec les pays de la zone Indopacifique à la fois au niveau national et au niveau de l’Union européenne.
La France est engagée aux côtés de la Chine sur les défis planétaires
Vous arrivez à Pékin quasiment simultanément avec la réouverture du pays et la visite du président Macron. Que faut-il retenir de cette visite quant au positionnement et aux atouts de la France ?
Cette visite était essentielle car la Chine a traversé des années difficiles avec la pandémie. Même si les échanges par visioconférence n’ont jamais cessé entre le Président de la République et son homologue chinois et qu’une rencontre physique a eu lieu à Bali à l’automne dernier, le Covid a distendu les liens. L’objectif de la visite était donc de reprendre ce dialogue au plus haut niveau. Ce dialogue est d’autant plus utile et nécessaire que sur le plan politique, la caractéristique commune de nos deux pays est qu’ils sont tous deux membres permanents du Conseil de Sécurité, ce qui leur donne des responsabilités en matière de maintien de la paix. Les longs entretiens entre Emmanuel Macron et Xi Jinping ont donc permis d’évoquer les grandes crises internationales comme la guerre d’agression que mène la Russie en Ukraine, mais aussi le climat, la biodiversité et le financement du développement. Nous souhaitons travailler avec la Chine sur ces thématiques qui constituent un pilier de la relation bilatérale et un élément central des discussions qui ont eu lieu à Pékin et Canton.
Les résultats de la visite présidentielle sont extrêmement positifs
Le Covid a également eu un impact important sur ce qu’on appelle les « échanges humains », c’est-à-dire les échanges entre entreprises françaises et chinoises, entre chercheurs, entre artistes, etc. Le déplacement du Président de la République en Chine a donc été l’occasion, pour les présidents français et chinois, de manifester leur volonté de donner une nouvelle impulsion à ces échanges. Après trois années difficiles, nous souhaitons que davantage de Français se rendent en Chine et que davantage de Chinois visitent la France, qu’il s’agisse de déplacements professionnels, de tourisme ou d’études. C’est d’autant plus important que nous avons des échéances importantes devant nous comme le 60ème anniversaire des relations diplomatiques entre nos deux pays et les Jeux Olympiques, tous les deux en 2024, année que nous avons voulu placer sous le sceau du tourisme culturel.
La visite du Président de la République a également permis d’avancer sur plusieurs dossiers économiques importants. Cela s’est matérialisé par plusieurs contrats, notamment dans le domaine de l’aéronautique. Dans le secteur agro-alimentaire, nous avons aussi obtenu des avancées pour nos entreprises des filières bovines et porcines. Les résultats de cette visite ont donc été extrêmement positifs car le moteur franco-chinois reprend avec vigueur.
Les savoir-faire français sont reconnus en Chine et les opportunités sont importantes pour nos entreprises. J’ai pu le constater à la foire internationale des produits de grande consommation de Hainan où la France était le pays étranger le plus représenté avec 336 marques.
Défendre ensemble la Charte des Nations Unies
Cette visite intervient alors que la guerre fait rage en Ukraine. Nous connaissons les différences d’approches entre la Chine et la France à propos de cette guerre. Comment le Président de la République a-t-il abordé ces différences ?
Tout d’abord en expliquant la position française et en écoutant les autorités chinoises. Dans cette guerre, il y a un agresseur qui est la Russie, et un agressé qui est l’Ukraine. En envahissant un pays souverain, la Russie viole délibérément la Charte des Nations Unies. La France, comme l’Union européenne, manifestent depuis le début du conflit un soutien indéfectible à l’Ukraine et au peuple ukrainien, non seulement pour défendre un peuple libre, mais également pour défendre le droit international et la sécurité de l’Europe. Nous souhaitons que l’Ukraine retrouve sa souveraineté sur l’intégralité de son territoire.
Les positions chinoises sont connues et elles sont différentes des nôtres. Il est toutefois essentiel de pouvoir échanger au plus haut niveau sur ces différences, notamment après la visite du Président XI Jinping à Moscou, et ceci afin de pouvoir identifier des convergences. En venant en Chine, le Président de la République avait notamment à cœur de renforcer le dialogue sur l’Ukraine avec le Président chinois, de trouver des points de convergence. Sans entrer dans les détails, je pense qu’il faut notamment retenir l’engagement de la Chine en faveur du retour à la paix en Ukraine sur la base du droit international, l’opposition de la Chine à toute attaque armée contre des installations nucléaires pacifiques telles que la centrale de Zaporijjia, ou encore son appel à ce que les parties belligérantes respectent le droit international humanitaire, notamment en ce qui concerne les femmes et les enfants dont on sait le prix qu’ils paient dans cette guerre. C’est sur ces bases que l’on peut envisager de construire la paix.
Porter collectivement l’excellence française
Hong Kong et la Grande Baie pèsent le PIB de la Corée du Sud et pourtant l’économie y a été secouée par le Covid et la politique sanitaire Chinoise. Que comptez-vous faire pour redynamiser le tissu des entreprises françaises dans cette partie de la Chine ?
Le fait que le président Macron visite Canton n’est pas anodin. C’est un rappel des liens historiques que partagent la France et la Chine dans cette région méridionale, de notre attachement à une Chine ouverte sur le monde, mais aussi de notre volonté de travailler davantage avec le sud de la Chine. J’ai très vite souhaité me rendre dans cette région pour envoyer un signal fort aux Français de Chine méridionale et de Hong Kong. Un mois après mon arrivée, je me suis déjà rendu à Canton, Shenzhen, Haikou et Hong Kong. La France y est déjà très présente – et je cite encore une fois la présence très visible des exposants français à la foire de Hainan qui témoigne de l’intérêt des Chinois pour nos produits. Alors que nous préparons la coupe du monde de rugby qui se tiendra en France cette année, je crois que nous pouvons nous inspirer de la stratégie du « pack » pour porter ensemble l’excellence française dans la Grande Baie. Je crois que c’est en incitant à l’action collective que je peux soutenir cette dynamique déjà engagée.
Le trafic aérien entre la France et la Chine doit augmenter
La reprise du trafic aérien est un des enjeux soulignés par le président Macron. Où en est-on ? Air France est-elle disposée à garantir une disponibilité suffisante des vols et des personnels ?
Le covid a entrainé une baisse considérable des liaisons aériennes entre la France et la Chine. Les deux pays souhaitent toutefois renforcer la connectivité, ce qui va de pair avec la relance des échanges que j’évoquais plus tôt. La France souhaite rehausser la connectivité de manière équilibrée en assurant une concurrence saine entre Air France et les compagnies chinoises, et ceci dans un contexte où les compagnies européennes sont défavorisées car elles ne survolent pas la Russie. Des négociations pour augmenter ce trafic ont lieu avec comme objectif d’assurer dès l’été plusieurs vols quotidiens depuis la France vers Pékin, Shanghai et Hong Kong.
Français de Hong Kong et de Chine continentale doivent avancer ensemble
Comment améliorer les synergies entre communautés de Français installées en Chine continentale et à Hong Kong ? Et des entreprises ?
La réouverture de la Chine continentale et de Hong Kong doit nous conduire à mettre en commun nos efforts pour que l’image et l’excellence françaises soient portées partout. J’ai d’excellents rapports avec la consule générale de France à Hong Kong, Christile Drulhe, avec laquelle j’ai déjà eu l’occasion de travailler, et je ne doute pas que nous puissions réussir à fluidifier encore les échanges entre les Français présents sur la région administrative spéciale de Hong Kong et la Chine continentale.
Quels messages souhaitez-vous adresser à nos compatriotes de Chine continentale et de Hong Kong / et aux entrepreneurs ?
Je souhaite me faire l’écho du message porté par le Président de la République aux Français réunis à l’ambassade de Pékin et faire part de mon admiration pour la résilience de nos compatriotes qui sont restés pendant le covid ou sont revenus depuis, en ne tournant pas le dos aux liens construits avec la Chine. De façon prospective, projetons-nous vers l’avenir en gardant l’ambition collective de porter ce que nous sommes et en valorisant le savoir-faire français.