Adoptée à Hué et élevée en France, Lina a grandi loin de sa terre natale, le Vietnam. Cette année, elle y retourne pour la seconde fois, animée par une envie profonde de renouer avec ses racines, ce qui la conduira à retrouver sa mère biologique. Dans cet entretien mené par visioconférence, Lina revient sur son parcours, ses émotions et les étapes de cette reconstruction personnelle. Nous en publions ici la retranscription sous forme de questions-réponses.


Le Petit Journal : Pouvez-vous vous présenter simplement et rappeler votre parcours ?
Lina :
Je m’appelle Lina, et de mon nom vietnamien, Thi Thu Ngân Nguyen. J’habite dans le Nord de la France. Je suis docteur en pharmacie, mais j’ai plusieurs casquettes : je suis également analyste psycho-organique, je reçois des adultes en psychothérapie, et je suis sonothérapeute, une pratique qui utilise les sons et les vibrations pour soulager des douleurs physiques et/ou psychiques.
LPJ : Comment êtes-vous arrivée en France, et à quel moment l’envie de retourner au Vietnam est-elle apparue ?
Lina :
Je suis née au Vietnam de parents vietnamiens et j’ai été adoptée par ma mère française quand je n’avais que quelques mois.
Je suis déjà retournée au Vietnam une première fois il y a neuf ans, à la fin de mes études. À l’époque, j’avais envie d’explorer la terre d’où je venais comme un premier voyage initiatique, puis un long temps s’est passé avant que j’y retourne.
Mon désir sincère de renouer avec cette partie de moi a émergé lors de ma formation en psychothérapie, à l’EFAPO (Ecole Française d’Analyse Psycho-Organique), et je peux dire que c’est de là que ma quête identitaire a débuté. Je me rappelle d’un formateur qui m’avait simplement demandé mon prénom vietnamien : j’ai réalisé que j’avais mis de côté toute une partie de moi.
J’avais aussi une grande loyauté envers ma mère française qui m’a élevée seule et qui est décédée il y a une dizaine d’années. Toute ma vie était en France, mais je sentais qu’il me manquait quelque chose sans savoir quoi.
C’est ainsi qu’est né cet “appel”, cet élan profond d’aller dans ma ville natale, Huê.
LPJ : Comment se sont déroulées vos recherches ?
Lina : J’ai recherché dans mon dossier d’adoption des informations sur ma famille d’origine et j’ai retrouvé un document où était inscrit mon nom vietnamien, ma ville de naissance, ma date de naissance, mais aussi le nom et la date de naissance de ma mère ainsi que son village d’origine, Thuy Bang. Des larmes me sont venues et émue de cette découverte, je me suis dit : J’y vais, je réserve mon voyage ! C’est le moment !
En arrivant à Huê, un typhon se préparait et la ville était prise par des inondations impressionnantes. Je logeais près du temple Ni Xa Dieu Tram, tenu par des soeurs. Avec d’autres voyageurs, je suis allée aider à préparer des repas pour les hôpitaux. Cette dimension spirituelle et l’énergie du moment ont marqué le début de mon voyage.
La recherche du village de ma mère a été retardée et n’a pu se faire qu’en fin de séjour. On m’avait conseillé d’aller au commissariat de police, mais il était fermé. Alors, je me suis arrêtée dans un café où j’ai montré mon histoire traduite en vietnamien. Un des hommes présents a appelé sa mère, très connue dans le village et celle-ci a publié ma photo et une de moi bébé sur Facebook.
Le soir même, quelqu’un de la famille de ma mère a répondu. Le lendemain matin, à 8h36 exactement, cette dame m’écrivait pour me dire qu’elle avait trouvé ma mère. Je n’y croyais pas tant c’était rapide.
Je suis allée au village de Thuy Bang, accompagnée de personnes qui parlaient français et vietnamien. Une dizaine de membres de la famille m’attendaient. J’étais bouleversée. J’ai vu ma mère pour la première fois en vidéo puisqu’elle vivait à plus de 600 km de son village d’origine. Le lendemain elle prenait un bus et nous nous sommes rencontrées le soir. Elle m’a serrée dans ses bras et nous avons pleuré toutes les deux. C’était un moment très émouvant, mais surtout ces retrouvailles étaient belles, simples, joyeuses et remplies d’amour.
Les Vietnamiens ont une grande joie de vivre, une douceur, une facilité à rire. J’ai été entourée d’”âmes” qui m’ont accompagnée dans cette quête. Retrouver ces terres a été très précieux. C’était une partie de mes racines, un morceau de mon histoire que je ne parvenais pas à saisir en France. Dans le regard de ma mère, je me suis retrouvée.
Il y a cette phrase de Paul Boyesen : “J’ai une histoire, je ne suis pas mon histoire.” Aujourd’hui, je ressens une (véritable) paix, (une complétude) que je n’avais jamais éprouvée.
Et j’ai appris que ma mère biologique m’avait cherchée pendant des années et cela m’a énormément touché. Être attendue et accueillie est très précieux.
LPJ : Cette démarche de retrouver votre famille était-elle mûrie depuis longtemps ?
Lina :
Oui, ça s’est fait progressivement avec des vas et viens pendant quelques années. J’ai d’abord apprivoisé cette partie de moi en la rendant de plus en plus concrète en incluant mon nom vietnamien à mon nom français.
Mais l’impulsion de repartir, elle, a été plus récente et c’est en mai, que je suis retombée sur le document dont je vous ai parlé précédemment et j’ai ressenti beaucoup d’émotions en le lisant: j’avais toujours eu ce papier, mais je n’étais pas prête à le lire.
Retrouver cette notion de famille, si importante au Vietnam, faisait désormais partie de mon chemin.
LPJ : Prévoyez-vous de retourner au Vietnam ?
Lina :
Oui, en attendant, j’ai demandé à ma mère si je pouvais lui écrire des lettres. Aujourd’hui tout va très vite, mais pour moi, 33 ans ne se rattrapent pas en un message instantané. Les lettres permettent une autre profondeur, une autre appropriation des mots.
Je pense y retourner en avril 2026. J’ai besoin de temps, même si je souhaite entretenir ce lien. La culture vietnamienne est très différente : là-bas, tout a été très intense, très rapide. J’ai besoin d’intégrer tout cela à mon rythme.
LPJ : Y avait-il des appréhensions avant votre départ ?
Lina :
J’y suis allé avec beaucoup de confiance et de joie. Je savais que quoi qu’il se passe, fouler ses propres terres était déjà un voyage accompli pour moi.
J’ai eu une petite appréhension : la peur que ma mère ne me reconnaisse pas, mais cela a duré une demi-seconde.
J’ai toujours voulu que la rencontre se fasse pas à pas, au rythme de chacune, une rencontre intime et singulière.
LPJ : Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux personnes adoptées qui envisagent une démarche similaire ?
Lina :
Pour moi, c’est tout un cheminement profondément intime et identitaire. Une quête vers ses racines et vers son peuple. Cette démarche n’est pas existentielle, c’est à dire qu’elle ne résume pas toute ma vie, mais elle en éclaire une partie.
Ce que je voudrais dire c’est qu’il y a un possible et je suis partie avec une intention claire venant du cœur : pourquoi le fait-on ?
Comment cela va m’éclairer sur qui je suis ?
C’est une quête dense, parfois lourde et il ne faut pas être seul. Être entouré de personnes de confiance, d’un thérapeute, a été une grande ressource et bénéfique pour m’accompagner sur ce chemin.
Mais surtout : y aller avec sa temporalité. Garder confiance. Et se rappeler que faire partie de deux cultures est une grande richesse.
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