Laurie Patrac est autrice et illustratrice, installée à Hô Chi Minh-Ville. Depuis plusieurs années, elle écrit des histoires et développe des outils d’éveil émotionnel à destination des enfants, des parents, mais aussi des instituteurs et thérapeutes. Pour elle, la création est devenue un véritable refuge, notamment depuis la séparation douloureuse d’avec ses enfants. À travers ses livres et ses jeux de cartes, elle partage son expérience personnelle et propose, par ses créations, un accompagnement aux familles confrontées aux défis de la relation parent-enfant.


Ses ouvrages sont aujourd’hui utilisés aussi bien à la maison qu’à l’école, en cabinet ou même dans certains hôpitaux. Elle œuvre pour une meilleure compréhension du monde émotionnel des enfants, en les aidant à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent, à accueillir leurs émotions, et à respecter celles des autres. Son approche place la psychologie de l’enfant au cœur du lien familial.
Le Petit Journal a eu l’occasion de la rencontrer pour évoquer son parcours, ses engagements, et la manière dont ses créations accompagnent au quotidien petits et grands dans leur développement émotionnel.
Le Petit Journal : Dans quelle mesure votre vécu, votre vie privée, a pu vous inspirer dans l’écriture d’œuvres pour enfants, comme "Les Mondes de Sen & Dào" ?
Laurie Patrac : À l’origine, il y a un peu plus de trois ans, j’ai été séparée de mes enfants. Cette rupture m’a poussée à chercher une ressource, un espace, quelque chose à créer, pour faire porter ma voix. Ma voix, en tant que maman, avant tout.
J’ai alors commencé à écrire des petites histoires. J’ai toujours écrit, énormément même. C’était naturel pour moi de me tourner vers l’écriture. Peu à peu, ces histoires ont pris une forme plus précise : je voulais transmettre des choses, des valeurs, des repères. Des valeurs éducatives aussi, à mes enfants, pour plus tard.
Je voulais qu’ils aient accès, à travers ces récits, à tout ce qui touche à la gestion émotionnelle, parce qu’eux aussi ont traversé quelque chose de très difficile. Il fallait trouver les ressources nécessaires pour leur permettre de grandir dans un cadre le plus sain et le plus simple possible.
Cette séparation, je l’ai vécue, à l’époque, comme une profonde injustice. C’était il y a trois ans.
L’écriture comme acte de survie et de transmission
L’œuvre des Mondes de Sen et Dao est née à la croisée de plusieurs chemins. Pour pouvoir accompagner mes enfants au mieux, je me suis formée à différents types de thérapies, ainsi qu’en psychologie de l’enfant, et sur les mécanismes de résilience dans les traumas.
Ces compétences m’ont permis d’avancer, en tant que maman, bien sûr, mais aussi en tant que femme profondément engagée. Il y avait en moi cette volonté de transmettre, de comprendre, et surtout d’offrir les bons outils (d’abord pour mes enfants, puis pour d’autres aussi).
Au départ, tout cela était destiné à mes enfants. C’était intime, personnel. Mais très vite, cela a pris une ampleur que je n’avais pas imaginée. Je n’étais pas censée suivre cette voie. À la base, je viens d’une filière en communication et en marketing. Oui, ce n’est pas très commun… Ce n’est pas le même monde.
Et pourtant, c’est bien plus tard que j’ai commencé à me spécialiser en psychologie de l’enfant. Avant cela, je m’étais formée à plusieurs approches thérapeutiques, dont les principales sont les thérapies quantiques.
Alors, même si ce n’est pas toujours évident d’expliquer cette approche, le principe fondamental de la thérapie quantique est le suivant : lorsqu’une personne est marquée par un traumatisme, celui-ci ne s’imprime pas uniquement dans le corps physique, mais aussi dans le corps énergétique. Ce traumatisme s’installe, s’ancre, il grandit et finit par transformer notre rapport au monde.
Le but de la thérapie quantique, au-delà du simple développement personnel (domaine dans lequel je suis également formée) est de reprogrammer l’impact du traumatisme, de transformer la mémoire qu’il laisse, pour en modifier l’empreinte émotionnelle.
C’est ce parcours, à la fois intime et engagé, qui m’a amenée à créer Les Mondes de Sen et Dao.
Sen et Dao, ce sont les deuxièmes prénoms de mes enfants. Ce projet, c’est une part de mon expérience de maman, une part de mon vécu personnel, mais aussi tout ce que j’ai appris, étudié, et voulu transmettre au fil de mes formations en psychologie.
LPJ : Comment êtes-vous devenue autrice de métier ?
LP : Quand mes enfants sont partis, la séparation a été extrêmement brutale. Pas brutale au sens littéral, mais profondément violente sur le plan émotionnel (autant pour eux que pour moi).
Mon monde, à ce moment-là, s’est effondré.
Avec le recul que j’ai aujourd’hui, je ne regarde plus la situation comme je pouvais la voir il y a quelques années. Mais à l’époque, il a fallu que je trouve un moyen de tenir debout.
L’écriture, qui a toujours fait partie de moi, a été un exutoire, une véritable bouée de sauvetage. Ça l’a toujours été. J’ai toujours écrit, j’ai toujours tenu des journaux, j’ai toujours mis des mots sur ce que je vivais.
Mais au départ, juste après le départ de mes enfants, il y avait comme une dissonance. Je n’arrivais pas à percevoir certaines choses clairement.
C’est alors que j’ai écrit mon premier roman. Parce que oui, on parle aujourd’hui des Mondes de Sen et Dao, mais il n’y a pas que ça derrière.
Ce premier roman, je l’ai d’abord écrit comme un outil thérapeutique. Il raconte pas à pas ce qui s’est passé au cours des dix dernières années. Tout a commencé en 2013, l’année où je suis partie vivre à La Réunion.
Qu’est-ce qui s’est passé exactement ? Et surtout : à quel moment quelque chose m’a échappé ? À quel moment y a-t-il eu un signal que je n’ai pas su voir ? Quelque chose sur lequel je n’ai pas réussi à mettre le doigt ?
J’ai donc écrit cette autobiographie (en quelque sorte) qui, avec le temps, s’est transformée en roman. Ça s’est fait au moment précis où je n’avais plus besoin de m’identifier totalement à cette histoire.
Et puis, j’ai continué à écrire.
Je me suis dit qu’il fallait maintenant que j’écrive aussi pour mes enfants. Parce que nos échanges sont compliqués. Parce que je ne peux pas leur parler comme je le voudrais.
Le premier livre pour enfants que j’ai publié, c’était Maman n’est pas là.
L’héritage vietnamien au cœur de la création
Je l’ai écrit pour expliquer, de façon à la fois très factuelle et profondément authentique, pourquoi j’étais absente. Sans ressentiment, sans colère. Ce n’était pas le but du livre.
Je voulais juste qu’ils aient quelque chose. Un support. Une trace. Un jour, pour leur expliquer ce qu’ils ont vécu, et surtout pourquoi ils l’ont vécu.
Parce qu’au bout d’un an, ils ne savaient toujours pas pourquoi ils étaient là-bas. Je n’avais pas eu l’occasion de leur parler comme j’aurais souhaité le faire.
LPJ : Pouvez-vous nous expliquer votre vision derrière vos ouvrages ? Aussi, comment envisagez-vous leur impact sur les enfants et les familles qui les lisent ?
LP : Aujourd’hui, la vision que je porte est claire : je souhaite créer des outils qui permettent l’éveil émotionnel, en particulier à destination des enfants. Mais pas seulement. Ces outils, je les conçois aussi pour les parents.
Parce qu’en tant que parents, nous traversons des journées longues, exigeantes. On rentre du travail fatigués, il faut préparer les repas, gérer la maison, et, en plus, on nous demande de rester émotionnellement disponibles pour nos enfants.
C’est difficile. C’est même, souvent, très compliqué.
C’est pourquoi ma vision, à travers ce que je crée, c’est de recréer des ponts, des espaces de reconnexion entre le parent et l’enfant. Mais pas dans des temps idéalisés. Dans des moments réalistes, ancrés dans la vraie vie. Parce qu’on ne peut pas, en tant qu’adulte, être disponible émotionnellement du matin au soir. On a une charge mentale énorme : le travail, les obligations, les factures, les plannings, les trajets, les devoirs, les activités sportives...
C’est ça, le quotidien de nombreux parents.
[...]
Alors l’enjeu, c’est de recréer ces espaces de connexion, même courts, mais sincères. Et dans le même temps, de transmettre des outils à la fois aux enfants et aux parents.
Je ne cherche pas à dire que, parce que je suis formée en psychologie de l’enfant, j’ai une vérité absolue. Ce n’est pas ça. Ce que je souhaite, c’est transmettre ce que je sais, ce que j’ai appris, et ensuite laisser chaque parent s’approprier ces ressources, pour créer leur propre manière de faire, leur propre façon d’être en lien avec leur enfant.
C’est ça, le but. Créer, transmettre, et laisser chaque famille construire son propre chemin émotionnel. Voilà ce que je souhaite à travers tout ce travail sur l’éveil émotionnel et la gestion des émotions.
LPJ : Quels retours avez-vous des familles qui utilisent les outils que vous créez, et à qui vos livres et vos jeux sont-ils destinés ?
LP : Oui, il y a des retours. Et ce sont des retours très positifs.
C’est pour ça que je dis souvent que je ne pensais pas que ce que je créais aurait un impact aussi important. À la base, j’ai commencé simplement pour mes enfants. Et puis, en observant les réactions, je me suis rendu compte que ce que je traversais, ce que je racontais, ce que je proposais, ça résonnait chez beaucoup d’autres familles.
Certes, j’ai vécu une séparation d’une certaine manière, que j’ai racontée. Mais en réalité, la séparation, elle peut prendre plein de formes différentes.
Pour un enfant, aller à l’école pour la première fois, c’est déjà une séparation. Même si elle ne dure qu’une journée, c’est une forme de rupture, un moment difficile à vivre.
Un parent qui part pour une conférence ou un déplacement professionnel, c’est aussi une séparation. Et pour l’enfant, c’est la même émotion, c’est le même vide.
Mon objectif, à travers tout ça, c’est vraiment de recréer du lien. Mais pas juste un lien pour dire qu’on est connectés. Un lien qui a du sens.
Des outils pour accompagner enfants, parents et enseignants
Ce que je veux, c’est donner aux parents des clés simples, concrètes, des mots justes… Mais aussi montrer que parfois, il ne s’agit pas de parler. Parfois, un silence, une écoute sincère, une présence, suffisent à réconforter un enfant et à lui faire ressentir qu’il est en sécurité.
Aujourd’hui, mes livres sont disponibles ici en vente directe et également disponibles dans les hôpitaux.
Tous mes livres, ainsi que mon jeu de cartes, sont déjà traduits en trois langues : français, anglais et japonais. Ils sont également accessibles en ligne pour le Vietnam et d’autres pays d’Asie du Sud-Est. Je commence à recevoir des propositions pour exporter et développer la diffusion en France.
Mais pour le moment, je choisis de me concentrer sur le Vietnam et l’Asie, que je connais bien. C’est important pour moi de bien maîtriser cette première phase avant d’élargir la diffusion à de plus grands réseaux ou à de plus grandes enseignes.
Ce qui m’a marquée, c’est que dès que le jeu de cartes est arrivé dans ses premières phases de test, tout s’est fait naturellement.
Les parents s’en sont saisis avec une grande aisance. Les enfants, eux aussi, ont tout de suite accroché. Même des adolescents m’en ont commandé.
Et aujourd’hui, des enseignants me disent qu’ils utilisent le jeu en classe. Ils tirent une carte du jour ou une carte de la semaine, et travaillent dessus avec les élèves. Puis, ils font un bilan en fin de semaine.
Chaque carte est illustrée au recto. Et au verso, il y a une explication. J’y décris l’émotion, comment elle se crée, ce qu’elle provoque dans le corps de l’enfant, et ce qui se passe autour de lui à ce moment-là.
Et surtout, je vais jusqu’au bout : j’ajoute un petit paragraphe concret sur ce que l’enfant peut faire pour gérer cette émotion.
Par exemple :"Je ressens de la colère. Qu’est-ce que la colère ? Que se passe-t-il en moi ?" Et ensuite : "Qu’est-ce que je peux faire concrètement avec cette colère ?"
Parce que valider une émotion, ce n’est pas dire à l’enfant : « Oui, tu peux taper sur tout ce que tu veux, vas-y, défoule-toi. » Non. Ce n’est pas ça.
Il y a des moyens sains de canaliser une émotion. Et je propose des visualisations, des pratiques simples pour accompagner cette gestion.
Retrouvez cet entretien en intégralité sur la chaîne Youtube du Petit Journal Vietnam !
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