Entre Beijing en 1995, où les ONG féminines ont bousculé l’ordre diplomatique mondial, et Kigali en 2025, où la Francophonie interroge l’héritage de ces combats, un moment charnière s’impose. Le 20 mars 2013, à Paris, les femmes francophones se réunissent pour la première fois à l’échelle institutionnelle, donnant naissance à une parole collective structurée.


Paris, 20 mars 2013 : un rendez-vous inédit
Ce jour-là, la Journée internationale de la Francophonie prend une dimension nouvelle. À Paris, entre 400 et 700 femmes venues des cinq continents se retrouvent pour le premier Forum mondial des femmes francophones. Issues majoritairement de la société civile, elles représentent 77 pays et portent, ensemble, une ambition commune : inscrire les droits des femmes au cœur du projet francophone.
L’événement est présidé par Yamina Benguigui, alors ministre déléguée à la Francophonie, entourée de figures politiques et institutionnelles de premier plan. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, et Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, donnent à cette rencontre une portée clairement politique, tandis que l’AUF figure parmi les partenaires mobilisés.
Un forum pensé comme un acte politique
Dès l’origine, le Forum mondial des femmes francophones porte l’empreinte de Yamina Benguigui. En poste depuis moins d’un an, elle fait du droit des femmes un axe politique assumé de son mandat et impulse ce rendez-vous inédit dans le cadre de la Journée internationale de la Francophonie. L’objectif est clair : offrir à la société civile francophone un espace de parole, mais aussi un débouché politique.
Conçu sous son impulsion comme autre chose qu’un événement symbolique, le Forum débouche sur un appel des femmes francophones, remis à l’issue des travaux au président de la République, François Hollande, ainsi qu’au secrétaire général de la Francophonie. Cette démarche marque un tournant : la parole exprimée à Paris ne se contente plus d’être entendue, elle est formalisée, transmise et appelée à produire des effets institutionnels. Quelques mois plus tard, l’Organisation internationale de la Francophonie lancera le Réseau francophone pour l’égalité femmes-hommes, prolongeant politiquement l’élan de 2013.
Le Forum de Paris ouvre ainsi une séquence appelée à se prolonger. Quelques mois plus tard, l’Organisation internationale de la Francophonie crée le Réseau francophone pour l’égalité femmes-hommes, chargé d’assurer la continuité et la structuration de cette mobilisation. En mars 2014, une seconde édition du Forum se tient à Kinshasa, autour du thème « Femmes, actrices du développement ». Pensée comme un prolongement du rendez-vous parisien, elle ancre cette dynamique au cœur de l’espace francophone africain, sans remettre en cause le rôle central du Réseau comme outil permanent.
Une Francophonie confrontée à la réalité des violences
La première table ronde frappe par sa gravité. Les violences faites aux femmes dans les conflits armés y sont abordées sans détour. Viol, mutilations, armes de guerre dirigées contre les corps féminins : les témoignages rappellent l’ampleur d’un fléau encore trop souvent relégué à la marge des négociations internationales.
Julienne Lusenge, militante congolaise de la SOFEPADI, et le docteur Denis Mukwege, fondateur de l’hôpital de Panzi, dénoncent ces crimes avec force. Leurs paroles résonnent comme un rappel brutal : sans protection des femmes, il ne peut y avoir ni paix durable ni reconstruction des sociétés.
L’éducation des filles, levier décisif de l’égalité
La deuxième table ronde change de registre sans perdre en intensité. Elle se concentre sur l’éducation des filles, de l’alphabétisation à l’enseignement supérieur. Aicha Bah Diallo, ancienne ministre et présidente de la FAWE, souligne les progrès réalisés, mais aussi les obstacles persistants : abandons scolaires, violences, barrières culturelles, faible accès aux filières scientifiques.
Hadizatou Hamzata Maïga, venue du Mali, rappelle que l’éducation reste le socle de toute émancipation. « Sans accès au savoir, les droits restent théoriques », martèle-t-elle, appelant à des politiques volontaristes et durables dans l’ensemble de l’espace francophone.
Entrepreneuriat féminin : du constat à l’action
La troisième table ronde aborde un paradoxe mondial : les femmes réalisent une majorité du travail, mais ne perçoivent qu’une fraction des revenus et occupent peu de postes décisionnels. L’entrepreneuriat féminin est présenté comme un levier essentiel de croissance et d’autonomie.
Les intervenantes plaident pour un accès renforcé aux financements, aux crédits et aux responsabilités économiques. « Donner aux femmes les moyens d’entreprendre, c’est investir dans la stabilité et le développement », résume l’une d’entre elles, appelant à des engagements budgétaires concrets.
Un forum fondateur pour la Francophonie
Au-delà des débats, le Forum laisse une trace durable. Un appel final est adressé au président François Hollande, tandis que l’Organisation internationale de la Francophonie s’empare de l’élan créé. Sous l’impulsion d’Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, un réseau des femmes de la Francophonie voit le jour, prolongeant politiquement les échanges de Paris.
Pour Yamina Benguigui, ce forum n’est pas un événement isolé mais « une étape structurante ». Forte de ses engagements de terrain, notamment en République démocratique du Congo, elle entend inscrire durablement la cause des femmes dans l’agenda francophone.
Femmes et Francophonie : une histoire en construction
De Beijing en 1995, où la société civile féminine s’impose face aux États, à Paris en 2013, où la Francophonie se dote pour la première fois d’un espace mondial dédié aux femmes, jusqu’à Kigali en 2025, où l’heure est au bilan, une même ligne se dessine.
Celle d’un combat jamais linéaire, fait de prises de parole, de structuration progressive et de vigilance constante. Le Forum mondial des femmes francophones s’inscrit dans cette trajectoire : un moment charnière où la parole devient réseau, et le réseau, outil politique.
Quand la parole devient réseau
Le Forum mondial des femmes francophones de 2013 marque un moment précis dans cette histoire en construction : celui où la parole ne se contente plus d’exister, mais cherche à s’organiser durablement.
À l’heure où les droits des femmes sont à nouveau fragilisés, la question demeure entière : cette structuration saura-t-elle produire, demain, des actions à la hauteur des combats qu’elle porte ?
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