Édition internationale

Le 92e Congrès de l’Acfas : défendre la science en français dans un monde globalisé

Du 6 au 10 mai 2025, le 92e Congrès de l’Acfas a transformé Montréal en carrefour international de la recherche francophone. En mettant à l’honneur la découvrabilité du savoir, l’événement a souligné les défis croissants d’une science produite en français mais souvent marginalisée dans les circuits mondiaux. À travers des échanges nourris, des solutions concrètes et des gestes symboliques, ce rendez-vous a posé les bases d’un projet collectif : redonner toute sa place à la science en français. Un compte-rendu non exhaustif tellement le programme était riche !

92e Congrès de l'Acfas92e Congrès de l'Acfas
Le 92e Congrès de l'Acfas se tenait à Montréal sur le campus de l'ÉTS - Photos Acfas
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 11 mai 2025, mis à jour le 12 mai 2025

 

 

Une affluence record pour un congrès d’envergure

Avec plus de 6000 participants — dont 4000 en présence et 2000 en ligne — et 247 colloques, l’édition 2025 du congrès de l’Acfas confirme son rôle de rendez-vous majeur pour les chercheurs francophones du monde entier. Organisé en partenariat avec l'École de Technologie Supérieure de Montréal (ÉTS) et l'Université Concordia, ce congrès s’est voulu à la fois un laboratoire d’idées et une tribune pour rappeler, entre autre, que « la production scientifique en français est un enjeu de souveraineté, pas seulement linguistique, mais aussi économique et sociale », comme l’a affirmé Martin Maltais, président de l'Acfas.

 

 

Des bénévoles efficaces
De nombreux bénévoles et une panoplie d'outils déployés pour informer les congressistes.

 

 

Une organisation solide au service d’une « ruche savante »

Installé au cœur de Montréal, principalement sur le campus de l'ÉTS (École de technologie supérieure) à Montréal, le congrès a impressionné par son organisation fluide et son ampleur. Des bénévoles nombreux et facilement identifiables guidaient les participants à travers les couloirs, tandis qu’une signalisation claire facilitait les déplacements.

Mais dans cette immense « ruche savante », la profusion des événements donnait parfois le tournis : « Avec plus de 240 colloques, il était quasiment impossible de s’y retrouver sans avoir préparé son parcours à l’avance », confie un participant. Même les bénévoles, équipés de classeurs thématiques, ne pouvaient classer les sessions par heure. Il fallait donc arriver équipé, programme en main, et ses choix déjà faits.

Malgré cela, les sessions se déroulaient à l’heure, les connexions en ligne étaient simples, et l’expérience sur place s’est révélée fluide, énergisante et foisonnante. « Une machine bien huilée, avec des thèmes fantastiques », résume-t-on dans les couloirs. L’intensité du programme, elle, ne laissait pas une minute de répit — au point de rappeler que la science, ici, se vit aussi comme une aventure humaine et logistique.

 

Pianiste dans l'un des espaces
@adams.dm au piano, une belle manière de prendre une pause


 

Faire exister la recherche francophone dans l’espace numérique

Au cœur des débats : la découvrabilité des travaux scientifiques en français. Le constat est sans appel : malgré une communauté de chercheurs en expansion, les publications francophones sont en déclin. Un paradoxe que dénoncent de nombreux intervenants, comme Christian Blanchette, recteur de l’Université du Québec à Trois-Rivières : « Ce n’est pas parce que la science se fait en français qu’elle doit être invisible. »

 

Christian Blanchette (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières), Stéphane Braconnier (Université Paris-Panthéon-Assas), Nicolas Douay (Consulat général de France à Québec), Mathieu Rocheleau (MCCCF - Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine)
Panel Découvrabilité des savoirs en français - 
Christian Blanchette (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières), Stéphane Braconnier (Université Paris-Panthéon-Assas), Nicolas Douay (Consulat général de France à Québec), Mathieu Rocheleau (MCCCF - Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine)
Animatrice : Caroline Mailloux (Délégation générale du Québec )

 

Une solution concrète a été dévoilée : une nouvelle plateforme de contenus scientifiques en français. Depuis le premier congrès, en 1933, l'Acfas a conservé les programmes et les documents sur les présentations scientifiques faites lors de ses événements. Ces archives seront désormais accessibles en ligne. Au total, 80 000 personnes ont soumis des communications scientifiques pendant cette période.

 

En savoir plus sur l'initiateur de l'Acfas

 

Une deuxième phase de ce projet devrait permettre de lier cette plateforme à d’autres, notamment celle d’Érudit. « C’est majeur comme développement de capacité, assure Martin Maltais. Ça touche toute la production scientifique évaluée par les pairs qui a été réalisée en français chez nous depuis 92 ans, dans tous les domaines du savoir. »

Fruit d’une collaboration entre l’Acfas, le ministère de la Langue française et plusieurs universités, cette avancée technologique est perçue comme un levier stratégique pour contrer la domination algorithmique de l’anglais sur les moteurs de recherche et bases de données scientifiques.

 

Dans l'auditoire, des personnalités discrètes, ici Benoît Dubreuil, Commissaire à la langue française
Dans l'auditoire, des personnalités discrètes, ici Benoît Dubreuil, Commissaire à la langue française

 

 

Souveraineté et découvrabilité : un appel à la responsabilité collective

En clôture de ce colloque sur la découvrabilité, Martin Maltais, président de l'Acfas, a pris la parole pour dresser un bilan sans détour. « Nous avons aujourd’hui posé collectivement les bases d’un dialogue structuré sur un enjeu central : notre souveraineté numérique, linguistique, scientifique et même économique », a-t-il résumé.

 

Le colloque sur la découvrabilité des savoirs en français, l'assistance.
Partenaires de ce colloque sur la découvrabilité des savoirs en français, le Conseil franco-québécois de coopération universitaire et l’Université du Québec. Responsables Christian Agbobli (UQAM) et  Sophie Montreuil (Acfas)

 

Selon lui, trois constats se dégagent. D’abord, la découvrabilité du savoir francophone est une responsabilité partagée : chercheurs, établissements, gouvernements, éditeurs, plateformes et algorithmes doivent œuvrer ensemble. Ensuite, des solutions existent déjà, notamment cette nouvelle plateforme dévoilée lors du congrès, qui constitue une « avancée structurante majeure ». Enfin, la science en français est un impératif stratégique, car elle garantit l’accès aux savoirs dans la langue des citoyens et permet aux sociétés de penser par elles-mêmes.

Durant cette intervention, Martin Maltais a souligné le coût invisible que représente la production scientifique francophone : « Une chercheuse francophone doit fournir 30 à 50 % d’effort supplémentaire pour arriver à un résultat équivalent à celui d’un chercheur anglophone », a-t'il rappelé. Ce surcroît d’effort a des effets sur l’efficience, l’équité et la qualité même de la recherche, et cela se répercute aussi sur la formation des étudiants et la diffusion des connaissances auprès du grand public.

L’exemple de la Chine, évoqué comme un tournant politique lors de la pandémie, a marqué les esprits : alors que les scientifiques chinois publiaient en anglais dans des revues internationales, leurs résultats étaient peu utilisés localement par les hôpitaux, faute de traductions accessibles. « Ce que cela montre, c’est que la découvrabilité n’est pas une affaire de diffusion, mais une affaire d’usage, d’équité et d’autonomie. »

Enfin, le rôle des universités est apparu comme crucial. Elles ne doivent plus se limiter à inciter à publier, mais doivent intégrer la découvrabilité dans leurs politiques internes, dans leurs critères d’évaluation, et dans la formation de la relève. « Il faut que Monsieur et Madame Tout-le-monde, dans l’espace public, soient eux aussi exposés à la science produite chez eux, dans leur langue. »

 

La langue de publication : obstacle ou levier ?

L’un des débats les plus vifs a porté sur les contraintes liées à la langue de publication. Plusieurs chercheurs ont souligné que publier en français peut nuire à leur carrière académique. « Si mon collaborateur japonais ne lit pas le français, mon article reste invisible », a regretté un participant. La pression de publier en anglais, renforcée par les critères des organismes subventionnaires, demeure un frein majeur à la reconnaissance des travaux en français.

Des voix ont cependant plaidé pour une révision des critères d’évaluation et une meilleure reconnaissance des revues scientifiques francophones. « Il faut sortir de la logique punitive : publier en français doit être valorisé, pas sanctionné », a souligné une intervenante.

 

Les pauses étaient l'occasion de réseauter
Les pauses étaient autant de bonnes raisons de développer les réflexions en petits groupes.

 

Vulgariser pour relier la science à la société

Autre sujet d’importance : la nécessité de renforcer les ponts entre la science et le grand public. La vulgarisation scientifique, encore trop souvent perçue comme secondaire, est revenue comme une priorité. Plusieurs propositions ont émergé : intégrer la vulgarisation dans les critères de financement, soutenir les revues en français, et encourager les étudiants à aller à la rencontre des citoyens, dans les régions comme dans les grandes villes.

Comme l’a rappelé une intervenante : « Ce qu’on ne connaît pas, on ne peut pas le défendre. Et ce qu’on ne comprend pas, on ne peut pas l’utiliser. » Dans un monde saturé d’informations et traversé par la désinformation, la diffusion de savoirs rigoureux en langue accessible est un rempart essentiel pour la démocratie.

 

Le troisième prix du jury remis à Laura Chrétien
Le 3e Prix du jury remis à Laura Chrétien par le Vice-recteur, direction générale de l'AUF, M Abderrahmane Rida

 

MT180 : l’éloquence des jeunes chercheurs au service du savoir

Point d’orgue du 92e Congrès de l’Acfas, la finale nationale du concours Ma thèse en 180 secondes (MT180) s’est tenue le 7 mai 2025 à l’Auditorium de la Grande Bibliothèque de Montréal. Organisé chaque année dans le cadre du congrès, cet événement unique conjugue exigence scientifique et performance scénique : en trois minutes, chaque doctorant·e doit expliquer son sujet de recherche au grand public avec clarté, précision et passion.

Véritable vitrine de la relève francophone, MT180 illustre à merveille les valeurs du congrès : l’accessibilité du savoir, la formation à la communication scientifique, et la mise en lumière de recherches innovantes menées en français. Le concours agit comme un révélateur de talents, mais aussi comme un plaidoyer vivant pour la science francophone.

Parmi les 22 finalistes de cette édition, Margot Dessartine, doctorante à l’Université de Sherbrooke, a remporté le premier prix du jury, séduisant la salle avec une présentation aussi rigoureuse qu’imaginative sur le comportement des bactéries. Elle représentera le Canada lors de la finale internationale à Bucarest à l’automne 2025.

 

Revivez la soirée complète et découvrez les 22 finalistes

 

Le prix du public a été décerné à Cristina Uribe de l’UQAM, confirmant que la recherche, bien racontée, sait toucher bien au-delà des cercles académiques.

En valorisant la vulgarisation scientifique, le concours MT180 rappelle qu’un congrès ne vit pas seulement de publications et de colloques spécialisés : il vit aussi de voix nouvelles, d’énergies montantes, et d’un désir profond de partager la science avec la société.

 

Quelle suite pour la science en français ?

Le 92e Congrès de l’Acfas aura mis en lumière les tensions, les leviers et les espoirs qui traversent la recherche francophone. En un mot, il a rappelé que la science, pour être utile et démocratique, doit être accessible, visible et compréhensible dans la langue de celles et ceux qui la font vivre.

Des initiatives concrètes ont été saluées —  soutien accru à la vulgarisation, révision des critères d’évaluation — mais elles ne sauraient suffire sans une mobilisation collective des universités, des gouvernements et des instances internationales. La souveraineté scientifique en français ne se décrète pas : elle se construit, patiemment, dans les pratiques, les institutions et les choix politiques.

En valorisant la relève, en repensant l’évaluation, et en investissant dans des infrastructures technologiques adaptées, la Francophonie scientifique peut non seulement résister à l’uniformisation linguistique, mais aussi offrir une pluralité de regards sur les défis de notre temps — de l’intelligence artificielle à la transition écologique.

Alors que Montréal accueillait ce congrès presque centenaire, une question reste en suspens : le prochain grand rendez-vous sera-t-il celui d’une refondation durable des politiques de recherche en français ?

 

Martin Maltais et Sophie Montreuil
Les infatigables Martin Maltais, président, et Sophie Montreuil, directrice générale de l'Acfas

 

Hommage à une équipe engagée

Impossible de conclure sans saluer l'engagement remarquable de l'équipe de l’Acfas, qui a porté ce 92e congrès avec énergie et professionnalisme. Un merci tout particulier à Sophie Montreuil, directrice générale, et à Martin Maltais, président de l’Acfas, dont la présence constante et le soutien visible, du lever du jour jusqu’aux dernières conférences du soir, ont marqué les esprits. Leur implication personnelle, à la fois discrète et décisive, a donné à cet événement une cohérence, une chaleur humaine et une intensité qui resteront dans les mémoires.