"Faut-il attendre qu'il y ait un énième mort ?" Pascal Chanteur, président du syndicat français des coureurs réclame des "Etats généraux sur la sécurité" des cyclistes dans un entretien à l'AFP où il dénonce l'utilisation des freins à disque et le lobby des fabricants de cycles.
Q: Comment réagissez-vous aux nombreuses chutes et particulièrement celle jeudi au Tour du Pays basque?
R: "Ce n'est plus possible. Faut-il attendre qu'il y ait un énième mort ? Qu'un coureur ait les deux jambes tranchées et perde la vie pour que les gens prennent conscience ? Si c'est ça l'idée, on n'en est pas très loin. Je demande des Etats généraux sur la sécurité et je vais y associer les équipes qui sont les employeurs et qui ont la responsabilité de leur salariés."
Q: Pourquoi y a-t-il autant de chutes ?
R: "Le mobilier urbain augmente d'année en année. Surtout, le matériel utilisé est de plus en plus avant-gardiste. Le carbone est léger et très rigide et ne donne pas le droit à l'erreur. Les roues, les pneumatiques n'ont plus rien à voir avec ceux qu'on utilisait auparavant. Il peut se passer un drame à tout moment."
Q: Les freins à disques sont particulièrement dans le viseur ?
R: "Je le dis depuis des années: le frein à disque n'est pas un matériel adéquat pour la course sur route. Les freins à patin, par temps de pluie, faisaient pratiquement office d'ABS. Le temps que la jante sèche, ils vous permettaient d'avoir cette latence entre le moment où vous devez freiner et le danger. Avec le frein à disque, on vient immédiatement à du freinage d'urgence, brutal, et à partir de là on part à la faute immédiatement. Et derrière c'est le château de cartes."
Q: Faudrait-il interdire ?
R: "Tout est envisageable. Qu'est-ce qui s'est passé en Formule 1 ? On avait des moteurs turbo et on est revenu à du moteur atmosphérique. Le frein à disque en compétition est trop dangereux. Pareil pour les braquets utilisés. Aujourd'hui, on met du 56x10. Ils roulent à 80 km/h dans les faux-plat descendants, alors qu'ils sont presque à poil. Quand ça tombe, vous n'avez aucun moyen de vous en sortir."
Q: Vous en appelez à l'Union cycliste internationale à légiférer ?
R: "Je ne dis pas que l'UCI est responsable. Mais ils ont la responsabilité de prendre toute la mesure de nos recommandations pour avancer sur la sécurité. On est par exemple tout à fait capables de diminuer les vitesses en changeant de pneumatiques. Pourquoi la Formule 1 y arrive et pas nous ? On est le seul sport à ne pas savoir s'adapter et à continuer l'hécatombe."
Q: Quelle est la responsabilité des fabricants de cycle ?
R: "Je pointe du doigt ces gens-là. Quand on a mis en place les freins à disque, on leur a demandé d'arrondir les arêtes tranchantes du disque car ils sont aussi très coupants. Ca a été une guerre. On nous a opposé que ça coûtait un dollar du disque et qu'ils en vendaient dix millions. Mais ce n'est pas mon problème. Mon problème c'est qu'une jambe, qu'un doigt, qu'une main ne soit pas tranchée. C'est à nous de savoir si on veut rester immobile et à la merci des industriels. Et c'est à eux de savoir s'ils veulent continuer à avoir des accidents sur la conscience, voire des morts, ou s'ils veulent se mettre au boulot. Plutôt que de nous opposer des pseudo-études pour démontrer qu'on est dans le faux, alors qu'on sait pertinemment qu'on est dans le vrai."
Q: Vous êtes en colère ?
R "Il n'y a pas que moi. Mais ce n'est pas évident pour un coureur de tenir le discours que je tiens. Ce sont des salariés et les principaux financiers du cyclisme restent aussi les marques de cycle."
Q: Vous sentez un peloton traumatisé ?
R: "Il l'est depuis l'accident de Fabio Jakobsen (sur le Tour de Pologne en 2020). Aujourd'hui, on en parle parce que ça touche trois coureurs du Top 10 mondial. Mais des chutes il y en a tout le temps. J'ai un coureur sur le GP de la Marseillaise qui aurait pu être paraplégique. Le gamin est en train de courir des spécialistes de chirurgie maxillo-faciale, de la moelle épinière et des vertèbres. On va certainement être obligé de lui casser des côtes et de sortir les entrailles pour pouvoir l'opérer par l'avant du ventre. Vous imaginez ? Alors quand je vois les gens sur les réseaux sociaux qui se permettent de critiquer l'installation d'une chicane à Arenberg (pour Paris-Roubaix)... je les hais."
PROPOS recueillis par Jacques KLOPP