Quand on réside à l’étranger, la facilité avec laquelle les enfants apprennent et manient différentes langues fascine. Ni inné ni éternel, le plurilinguisme doit pourtant réunir différentes conditions. Décryptage à partir des échanges sur le sujet effectués lors du colloque "Enfance et Expatriation" qui se tenait au Sénat à l'initiative de la sénatrice Claudine Lepage.
« On entend souvent dire que les enfants sont des éponges dans l’apprentissage des langues. Ce n’est pas vrai dans toutes les situations. Les conditions psychologiques doivent être favorables ; cela commence par la prise de conscience que l’expatriation est toujours en déchirement », indique Barbara Abdelilah Baver, linguiste et psychosociologue. Age de l’enfant, état émotionnel, exposition à la langue dans le milieu scolaire et social, environnement familial, représentation de la « valeur » et de l’utilité de la langue locale par les parents…Un même idiome pourra être appréhendé de mille façons différentes par les enfants expatriés.
« Les trois premiers mois suivant notre arrivée aux Etats-Unis, ma fille n’a pas dit un mot d’anglais, alors qu’elle allait dans une école locale » se souvient Florence Lacour Bourgoin, psychanalyste et expatriée multirécidiviste. « Avant 7 ans, l’acquisition de la langue se fait comme l’acquisition de la parole, de manière naturelle, sans en être vraiment conscient. Après cet âge, c’est abordé comme une déduction par rapport à la langue que l’on maitrise. Cela devient un problème à résoudre », explique Barbara Abdelilah Baver.
Choisir un système scolaire : quand les difficultés commencent
« Je dis toujours que chez les familles binationales, tout se passe toujours très bien tant qu’il n’y a pas d’enfant » ironise Anne Henry Wermer, responsable du dispositif FLAM (Français Langue Maternelle) à Francfort. « Lorsqu’on choisit un système scolaire, le rôle de transmetteur du parent est menacé, d’autant plus chez celui ou celle qui n’est pas dans son pays d’origine » poursuit-elle. « Dans un couple où la mère est française et le père est allemand, par exemple, mettre l’enfant dans une école allemande est compliqué pour la mère, qui va se sentir exclue de l’éducation de son enfant ».
Faut-il privilégier le coût de l’écolage au maintien de la langue française ? La courte distance entre l’établissement et son domicile à l’intégration dans le système local ? Le temps dédié aux activités périscolaires laissé par l’école internationale à la possibilité d’avoir un diplôme reconnu par l’Etat français ? Le choix de la scolarisation de son enfant est toujours un casse-tête… et les attentes des parents sur l’apprentissage des langues par leurs enfants en général très fortes.
Parler couramment de nouvelles langues tout en conservant sa langue maternelle : des objectifs toujours conciliables ?
« Chez les parents, la peur de la perte de la langue d’origine est constamment présente » analyse Barbara Abdelilah Baver. « Il y a souvent une angoisse des parents en expatriation : comment je vais pouvoir continuer à transmettre ma langue et ma culture ? » abonde Anne Henry Wermer.
Le souci de voir leurs enfants conserver la maitrise de leur langue maternelle, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, est d’autant plus saillant chez les parents qui entretiennent un lien fort avec l’Hexagone et projettent d’y revenir à court terme. Or, si la « scolarité complémentaire internationale » délivrée par le CNED peut permettre aux élèves français ayant étudié dans le système local de rejoindre, par la suite, les écoles françaises, elle reste un processus fastidieux (l’enseignement à distance porte sur le français, les mathématiques et l’histoire-géographie, soit 40% du programme français).
Avec le maintien de la langue locale, cohabite une autre nécessité impérieuse, celle d’apprendre la langue locale. Et que ça saute ! « Les parents veulent que l’enfant soit bilingue au plus vite. Mais cela ne se fait jamais en un mois, surtout si à la maison et à l’école, cette langue n’est que peu parlée », observe Barbara Abdelilah Baver. Cette exigence qu’ont les parents sur l’apprentissage de la langue locale est toutefois fonction de la valeur symbolique qu’ils lui prêtent. « Dans les représentations mentales, les langues sont hiérarchisées. On poussera toujours plus nos enfants à devenir bilingues en anglais ou en espagnol qu’en kiswahili », affirme la linguiste et professeure de langues.
C’est pour encourager le maintien du bilinguisme chez les enfants que Laurence Faron a imaginé les éditions bilingues « Talents Hauts ». Oops et Oh là la, les deux personnages des livres destinés aux tout petits se parlent chacun dans leur langue, anglais pour l’un, français pour l’autre. « Quand le locuteur change, la langue aussi. Les livres sont pensés par des auteurs bilingues pour des enfants bilingues, ou en devenir » explique l’éditrice.
« Les enfants ne parlent pas une langue pour le plaisir ou parce que ça va leur servir plus tard ».
Pour nos différents interlocuteurs, l’apprentissage d’une langue à marche forcée est contre-productif. Passé un certain âge, l’enfant a besoin d’identifier ses priorités, ses besoins et de choisir son rythme pour intégrer une nouvelle langue. « Cela se fait par la force des choses. Les enfants ne parlent pas une langue pour le plaisir ou parce que ça va leur servir plus tard. Ils le font avant tout pour communiquer », montre Anne Henry Wermer. « Certains parents ont des difficultés à remettre en cause les modèles d’apprentissage qu’ils ont toujours connus. Les Français, lorsqu’ils observent les écoles allemandes, ont l’impression que les élèves n’apprennent rien mais s’amusent pendant de longues années. C’est un système très progressif qui n’en est pas moins l’un des meilleurs au monde », illustre-t-elle.