Entre contraintes budgétaires et volonté présidentielle d’en faire un instrument du rayonnement de la France dans le monde, l’enseignement français à l’étranger est à la croisée des chemins.
Xavier Gonon, président de la FAPÉE, nous apporte son éclairage sur ces enjeux complexes et réaffirme la volonté des parents d’élèves d’être mieux associés à la gestion du réseau.
La FAPÉE (Fédération des associations de parents d’élèves des établissements d’enseignement français à l’étranger) siège au conseil d’administration de l’AEFE (agence pour l’enseignement français a l’étranger), elle représente 180 APE du monde entier et de tout type d'établissements, EGD, conventionnés à gestion parentale ou partenaires.
Lepetitjournal.com : Les parents d’élèves et les personnels se mobilisent pour réclamer plus de budget pour l’AEFE. C’est une demande que vous avez exprimée depuis longtemps ?
Xavier Gonon : Cela fait plusieurs années que nous alertons sur la question du budget de l’AEFE, et plus spécifiquement depuis 2013-2014. En 2010, l'AEFE recevait une subvention de 566 M€, elle est en 2018 de 380 M€ dans un contexte de croissance du réseau des lycées français à l’étranger. Les parents se mobilisent, mais il y a eu un peu de confusion sur les revendications. En 2017, 33 millions n’ont pas été versés au budget 2017, voté par le gouvernement précédent, et qui était en diminution par rapport à 2016. En août 2017, cette retenue a été décidée par le gouvernement Macron qui n’a pas versé 33 millions sur l’enveloppe prévue pour que tout le monde participe à l’effort financier dans le cadre de mesures rectificatives. L’impact a porté sur certains projets immobiliers qui ont été reportés. Au mois de novembre, pour le budget 2018, les montants initialement prévus pour 2017 ont été confirmés et sanctuarisé pour les 2 ans à venir. Les 33 millions sont donc revenus au budget et nous disposons au moins d'une certaine visibilité à court terme. Il faut tout de fois relativiser car dans le même temps le coût des cotisations employeurs sur les fonctionnaires détachés (enseignants, personnel de direction) qui est mis à la charge de l'AEFE augmente. La subvention "nette" est donc toujours en baisse.
Beaucoup plus grave pour l’Agence, est l'obligation imposée par Bercy dans le même temps que le budget des services centraux soit à l’équilibre. En quelques mois, sans période de transition, il a fallu agir. L’Agence a donc décidé de supprimer 500 postes sur 3 ans. C’est la mesure la plus dangereuse et la plus contestée parce qu’elle engage l’avenir. Il y aura 180 postes de moins à la rentrée 2018. C’est très inquiétant.
Certes il faut rechercher l'équilibre financier, mais alors que la demande de scolarisation d’enfants est croissante, et qu'il faudrait investir, l'Etat se désengage financièrement et on met moins de profs devant les élèves.
Dans de nombreux pays, les établissements n’ont pas la capacité de les remplacer par des recrutés locaux de même niveau, par manque de formation, et qui plus est, ces recrutés locaux sont à la charge des parents, alors que le coût des titulaires est partagé.
Face à la gravité de la situation, la FAPÉE a adressé au gouvernement 50 propositions précises, techniques, pour peser en amont sur la réflexion concernant l’avenir des lycées français du monde.
Un audit de l’inspection générale du ministère des Affaires étrangères, auquel est associé l’éducation nationale et une mission parlementaire sont en cours. On devrait avoir les premiers axes de réflexion à la rentrée sur ce que le gouvernement compte faire dans ce domaine.
Le président a déclaré vouloir doubler d’ici 2030 le nombre d’élèves dans l’enseignement. Est-ce vraiment envisageable alors ?
C’est très ambitieux. Ce n’est pas infaisable, mais alors il faudra se donner les moyens. Si le budget alloué à l’AEFE n’augmente pas, ce ne sera pas possible. Le problème est assez simple. Comment accueillir de nouveaux élèves ? Comment assurer une qualité de l'enseignement homogène partout dans le monde ?
Il faut réfléchir bien sûr aux moyens qu'on se donne, en termes de capacité d'accueil, d'investissements en immobilier, en équipement, mais surtout en au niveau des enseignants et de leur formation.
C'est nécessaire, essentiel évidemment mais ce n'est pas suffisant. Il faut répondre à l'attente des parents et des élèves et leur redonner confiance dans la pérennité du réseau.
La confiance passe par l'assurance de qualité de l'enseignement et une visibilité sur le coût de la scolarité. Quand on met son enfant dans une école française, c'est un investissement pour 15 ans.
Mais il y a aussi une attente des parents pour des innovations pédagogiques par rapport à l'existant. Et si on veut attirer de nouvelles familles dans le réseau, qui seront majoritairement de nationalité étrangère, il faut proposer de nouvelles offres, bilingue par exemple. S’il n’y a pas d’école dans un pays aujourd’hui, c’est surement qu’il n’y a pas beaucoup de demande par rapport à ce que l'on peut proposer. Les gisements de croissance importants sont là où on améliorera l’offre de scolarité.
L’exemple du Lycée Français de Singapour est sur ce point symptomatique. C'est un établissement à gestion parentale qui accueille presque 3.000 élèves. A Singapour, il y a une forte concurrence d’écoles internationales. Le LFS est contraint par l’éducation nationale, par l’homologation, en termes d’offres de Bac international, de scolarité bilingue. Les écoles internationales concurrentes ont fait une étude de marché et ont compris qu’en développant des sections francophones, elles devenaient compétitives et attractives, car de nombreuses familles françaises veulent une plus grande internationalisation des cours. On a souvent pensé que les Français étaient un marché captif or c’est faux. L’évolution de l’offre est nécessaire aussi pour garder les élèves dans nos établissements.
Bien sûr, les attentes et les besoins ne sont pas les mêmes selon les pays.
Les établissements existants peuvent-ils vraiment augmenter leur capacité d’accueil ? Certains sont saturés comme à Londres ou Madrid.
Il faut savoir si l’on veut augmenter la capacité des établissements existants qui sont dans le périmètre de l’AEFE.
Pour les Etablissements en gestion directe (EGD), se pose le problème de la capacité de financement des programmes immobiliers. Puisque l'AEFE n'a pas le droit d'emprunter à cause de son statut d'établissement public administratif, avant de pouvoir poser la première pierre, il faut avoir mis de coté l’argent nécessaire. Or la subvention de l’Etat aujourd’hui est figée. Cela signifie qu’on ne peut donc pas améliorer l’exploitation de ces 74 établissements. Il y a là un non sens économique que nous dénonçons depuis longtemps. Dans le secteur de l'éducation, qui est par essence une activité économique d'investissement, ne pas pouvoir recourir à l'emprunt pour construire des établissements est incompréhensible. La logique des comptables budgétaires de Bercy est malheureusement très éloignée des réalités économiques.
Il y a ensuite les établissements conventionnés à gestion parentale. Ils sont en co-gestion avec l’AEFE qui s’occupe de la pédagogie, les parents ayant la responsabilité administrative, financière et juridique de l'établissement. A la FAPÉE, nous estimons que c’est le modèle le plus vertueux dans le réseau. C’est un vrai partenariat entre l’agence (travail d’homologation) et les parents d’élèves. Ce n'est pas le modèle le plus simple à mettre en œuvre, très certainement, mais l’engagement des parents est bénévole. Leur statut à but non-lucratif et la connaissance de l'environnement économique du pays permet d'assurer une meilleure maîtrise des frais de scolarité. Ils représentent environ 140 établissements dans le monde.
Restent les établissements partenaires. Certains sont purement privés à but lucratif, d’autres sont à but non-lucratif, gérés par des organismes de type fondation. Ce que l’on comprend, c’est que le développement attendu par le président Macron va se faire à travers les établissements partenaires, ce qui répond à une certaine logique vu que cela ne coûte rien à l’Etat français, sauf éventuellement le détachement de certains professeurs. Notre crainte est qu’il y ait un effet d’aubaine pour des entrepreneurs à la recherche d'une rentabilité de marché.. Il faut donc que ces établissements soient correctement encadrés. Ce modèle, aujourd’hui très minoritaire, ne doit pas devenir la norme. Que se passera-t-il si un établissement est soudain moins rentable ? Les élèves seront laissés au bord de la route ?
Nous avons la parole mais elle est rarement prise en compte.
Vous souhaitez que les parents soient plus associés aux décisions ?
Bien sûr, d’abord parce que c’est nous qui finançons 63% du budget de l'AEFE ! et de nombreux parents ont une vraie expertise dans ce domaine qui ne demandent qu'à être mis à contribution.
Nous devons être mieux associés aux décisions au niveau de l'agence elle même et dans les conseils d'établissement des EGD. Dans le CA de l'AEFE qui compte 28 membres, il n'y a que 2 représentants des parents d'élèves. Comment pouvons croire que notre avis est réellement pris en compte ? Nous avons la parole mais elle est rarement prise en compte.
L’engagement bénévole des parents est une chance pour le réseau et l'Etat français ne doit pas se couper de la richesse de ce partenariat. Mais la disponibilité de parents compétents ne pourra être pérennisée que s'ils reconnaissent être vraiment associés aux décisions. Je pense par exemple aux choix budgétaires dans les établissements gérés par l'AEFE, au recueil de l'avis des parents sur la qualité de l'enseignement, à la possibilité pour les comités de gestion de faire évoluer le modèle de partenariat avec l'AEFE .
La FAPÉE non seulement défend ces positions, mais elle accompagne au quotidien ses adhérents, qu'ils soient APE dans un EGD ou responsables de la gestion d'un conventionné.
Et c'est bien entendu sur l'avenir du réseau que les parents d'élèves doivent être consultés.
Prenons l’exemple de l'école Alexandre Dumas de St Petersbourg. C’est une école primaire, antenne de l’EGD de Moscou qui accueille moins de 60 élèves. Il y a quelques semaines, l’ambassade de France et l’AEFE ont annoncé qu’ils avaient décidé de céder l’école à un partenaire privé, un entrepreneur. Celui-ci gère d’autres écoles en Europe de l'Est, et de façon tout à fait correcte pour ce que nous en savons. Il a donc été décidé de céder un établissement qui fait partie du patrimoine de l'AEFE à une structure à but lucratif. Sur le principe, cela peut se concevoir et s'étudier, mais ce qui nous alarme, c’est que les parents de l'école n'aient pas été associés à la réflexion préalable et que cette décision ne soit pas soumise au vote du Conseil d’Administration de l’AEFE.
Les parents de St Petersbourg n’ont pas l’assurance que l’établissement pourra ouvrir au mois de septembre. Techniquement, il faut en effet que l’AEFE ferme cette école, le partenaire doit ensuite créer une nouvelle entité qui doit obtenir des autorisations de la part du gouvernement russe. Pas sûr que cela soit possible pour la rentrée.
L’école de St-Petersbourg était auparavant à gestion parentale. Pourquoi ne pas avoir d'abord proposé de revenir à ce statut si l'AEFE estime ne pas savoir gérer de si petits établissements ? Et surtout, pourquoi ne parvient-on pas à scolariser plus de 60 élèves dans la deuxième ville de Russie ?
Quand on a l'ambition de doubler la taille du réseau en 10 ans, c'est d'abord à cette question qu'il faut répondre.
C’est un exemple flagrant de ce besoin de transparence et de prise en compte de l’avis des parents que nous demandons dans la gestion de l’agence.