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La nationalité américaine, un cadeau fiscal empoisonné ?

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© lepetitjournal.com
Écrit par Justine Hugues
Publié le 1 mars 2018, mis à jour le 3 décembre 2020

Depuis la signature d’un accord fiscal franco-américain en 2013, des contribuables français n’ayant jamais résidé outre Atlantique se retrouvent poursuivis par le fisc américain. Ces « Américains accidentels » sortent progressivement de l’ombre pour dénoncer leur situation. 

 

Lorsque Diego Cesari, Toulonnais de 45 ans né par hasard à San Diego de parents français expatriés, se lance dans l’achat d’une maison dans le Var, il est loin d’imaginer ce qui l’attend. Malgré une bonne situation financière, toutes les banques lui ferment la porte au nez. En cause ? Le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA),  qui exige que tous les ressortissants américains, même binationaux et quel que soit leur lieu de résidence, déclarent chaque année leurs revenus. « J’ai l’impression d’être un paria, un fugitif alors que j’ai toujours vécu en France et payé mes impôts. Je ne veux que m’installer », déplore Diego devant les caméras de TV5 Monde

 

Des milliers d’Américains « accidentels »

N’ayant pas fait les démarches pour l’abandonner, Diego a donc toujours la nationalité de ce pays qu’il n’a connu que quelques mois, lorsqu’il était nourrisson.  Aujourd’hui, il doit pourtant acquérir un numéro fiscal américain, sésame couteux mais indispensable pour pouvoir acheter la maison de ses rêves. 

Depuis la transposition du FATCA dans le droit français en 2014, les banques sont, sous peine de sanctions, dans l’obligation de communiquer les informations (revenus, détails des comptes et ceux des enfants dès lors qu’il y a procuration) sur leurs clients présentant un « indice d’américanité » et plus de 50.000 dollars. 

Pour Fabien Lehagre, qui a créé l’an dernier l’Association des Américains Accidentels (AAA), afin de faciliter l’entraide entre ces binationaux malgré eux, « lorsque la loi a été votée, seules trois lignes de l’étude d’impact concernaient la problématique des binationaux ».

Cela a été littéralement imposé par les Etats-Unis sous la menace de pénalités

Un vote contraint qui a, quatre ans plus tard, des répercussions chez des milliers de Français. « Je suis en contact avec 700 personnes et on a 40 nouveaux membres par semaine », explique M. Lehagre, que nous avons interrogé. Nés sur le sol américain ou d’un parent américain, ces Français ont reçu de leur banque, dès septembre 2014, un formulaire de déclaration au fisc américain, sans autre forme de procès. « La plupart n’ont pas compris ce qui leur arrivait », confesse le responsable de l’AAA.

 

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Fabien Lehagre. Capture d'écran de l'émission Grand Angle de TV5 Monde

 

Faire l’autruche ou renoncer à sa nationalité : un dilemme perdant à tous les coups

Héritage bloqué, taxation sur l’achat d’actions, les assurances vie ou les plus values immobilières, refus de prêts… Un florilège de surprises attend les Américains accidentels ayant fait fi de l’injonction de régulariser leur situation. Pour ceux qui décident de s’y plier ou de renoncer à leur nationalité, commence un long et onéreux parcours du combattant. 

Si les montants payés sur le revenu en France sont exclus de ceux réclamés par le fisc américain, de nombreux placements sont imposables outre-Atlantique, comme les cotisations privées pour la retraite. « Un de nos membres a du payer  26.079 € de frais d’avocat, 21.209 € d’arriérés d’impôts et 2.350 $ pour se défaire de sa nationalité », raconte Fabien Lehagre.

97% gardent la nationalité car ils n’ont pas les moyens de renoncer  

A ces frais s’ajoute, chez les Américains accidentels souhaitant se mettre en règle, un dossier susceptible de provoquer une épidémie de phobies administratives. Diego Cesari a du prouver, à coups de centaines de photocopies de carnets de santé, diplômes, bulletins de salaires, qu’il a toujours vécu en France.   

 

Quand l’AAA part au combat

Pour dénoncer l’application du FATCA chez les binationaux ne résidant pas aux Etats-Unis, l’AAA mène une intense activité de plaidoyer auprès des pouvoirs publics. Les arguments sont d’autant plus probants que la réciprocité de l’application de l’accord fiscal est contestée. «  Le Congrès américain n’a jamais voté de loi similaire à la nôtre. Il est prouvé que les informations sur les ressortissants français sont bien récupérées mais pas transmises au fisc français. Dans le Delaware, le Nevada, le Wyoming, il y a une opacité totale qui a fait dire à certains que les Etats-Unis sont devenus le second paradis fiscal dans le monde » affirme M. Lehagre. 

L’AAA a fait un recours devant le Conseil d’Etat, lequel devrait statuer d’ici la fin de l’année. « Si on est débouté, on ira devant la Cour européenne des droits de l’Homme : on ne compte pas en rester là », prévient son président. Parallèlement, grâce aux soutiens du député Marc Le Fur, de la sénatrice des Français de l’étranger Jacky Deromedi et du groupe LREM à l’Assemblée, des propositions de résolution ont atterri dans l’Hémicycle et une lettre à Matignon. 

« On réclame l’abrogation de FATCA, et des pouvoirs publics qu’ils négocient auprès des Etats-Unis, soit un passage à la fiscalité basée sur la résidence, soit une exonération de nos obligations déclaratives et fiscales en général. Nous souhaitons un dispositif permettant de renoncer à la nationalité américaine sans avoir à payer ni se mettre en conformité », explique l’AAA.

Affaire à suivre des deux côtés de l’Atlantique. 

Justine Hugues
Publié le 1 mars 2018, mis à jour le 3 décembre 2020