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L’Europe de la défense en ordre de marche ? : “Le diable se cache dans les détails”

L'invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a provoqué un électrochoc au sein de l’Union européenne. La guerre aux portes de l’Europe remet en premier plan le projet d’une Europe de la défense, relançant les débats sur son développement et son avenir. Une défense européenne est-elle en train de voir le jour ? 

Europe de la défenseEurope de la défense
L'Europe de la défense
Écrit par Mélanie Pierre
Publié le 13 mars 2025, mis à jour le 17 mars 2025

 

Depuis la réélection de Donald Trump, et face au nouvel axe Poutine-Trump, les Européens s’interrogent sur la manière de faire face à une éventuelle attaque russe à leurs frontières. Dans l’hypothèse où les États-Unis décideraient de ne pas apporter de soutien militaire, le projet de défense européenne refait surface. Interrogé par la rédaction, le spécialiste de la gouvernance de l'Union européenne, des transformations des politiques d'armement et du capitalisme de la défense en Europe, Samuel B.H. Faure, définit ce programme comme « l’architecture politico-institutionnelle européenne qui réunit plusieurs organisations internationales et États dans un secteur d'actions publiques, celui des questions militaires. Dépassant l’Union européenne, elle inclut également des coopérations bilatérales, comme celles entre Paris et Berlin, ou Paris et Londres »

 

L’Europe dans l’étau de Donald Trump et Vladimir Poutine 

Trois ans après le début de la guerre en Ukraine, des chefs d’États européens apportent leur soutien au peuple ukrainien et à son président, pendant que Donald Trump humilie ce dernier. Le 28 février 2025, dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche, Trump laisse entendre ne plus soutenir l’Ukraine. Il donne, à l’occasion de cette rencontre avec Volodymyr Zelensky, le feu vert à Poutine. Washington s'aligne sur Moscou pour tenter d'écarter le président ukrainien de son poste. 

 

Vladimir Poutine et Donald Trump
Vladimir Poutine et Donald Trump © Unsplash

 

La double trahison de Trump contre Kiev et les réfugiés

 

Raphaël Glucksmann, député européen, invité sur le plateau de En Société le 2 mars 2025, déclare : « Maintenant que les États-Unis ont basculé, que nous sommes seuls, pour la première fois depuis 1945, nous n’avons plus le choix ». Il n’y a plus de parapluie américain, les Européens sont en charge de leur sécurité. L’Europe perd ses alliés historiques, les garants de leur sécurité depuis 80 ans.

 

La menace d’une guerre russe sur le sol de l’Union européenne ?

À Paris, les responsables militaires de 30 pays de l'Union européenne ou de l’OTAN se réunissent pour discuter de leur soutien à Kiev. Ils se préparent à pallier l'aide américaine : les services danois anticipent un risque de conflit pour 2029, tandis que dans les pays baltes, des tranchées sont creusées. En Finlande, on devance même le risque d’une invasion.

Depuis des décennies, la paix en Europe est assurée suivant le principe de la sécurité de l’article 5 de l’OTAN. Il stipule que si un pays de cette organisation est victime d'une attaque armée, l’ensemble des pays viendront à son secours. Ce traité d’assistance mutuelle paraît caduc pour Trump.

Face à la menace russe, Emmanuel Macron adresse aux Français, le 5 mars 2025, son ambition de préparer la France et l’Europe aux conflits à venir. Lors de son allocution, il laisse entendre que « nous ne pouvons plus nous reposer uniquement sur les États-Unis. L’Europe doit cesser d’être naïve et construire sa propre autonomie stratégique ». Ses propos sont salués par Marcos Perestrello de Vasconcelos, président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, qui souligne lors de la commission des affaires étrangères et de la défense au Sénat du 12 mars 2025 : « La France joue pleinement son rôle sur tous les théâtres et particulièrement sur le flanc est. Les armées françaises sont respectées et reconnues partout. Elle est aussi force de proposition politique et leader industriel »

 

Emmanuel Macron face à la menace russe : « L’Histoire ne nous attendra pas »

 

Le 6 mars 2025, les dirigeants des Vingt-Sept, à l'exception de Viktor Orbán, valident le plan de réarmement proposé par Ursula von der Leyen à l’occasion de la conférence de presse sur le paquet défense au siège de l’Union européenne à Bruxelles. Elle dévoile un plan baptisé « réarmer l’Europe » avec l’aspiration de mobiliser près de 800 milliards d’euros pour sa défense et fournir une aide immédiate à l’Ukraine.

 

Antonio Costa, président du Conseil européen, Volodymyr Zelensky, président ukrainien et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à Bruxelles, le 6 mars 2025
Antonio Costa, Volodymyr Zelensky et Ursula Von der Leyen à Bruxelles le 6 mars 2025

 

Pourquoi ce montant ? Samuel B.H. Faure apporte une explication : « Ce chiffre correspond approximativement au budget militaire américain annuel. La Commission européenne semble ainsi vouloir envoyer un signal fort aux États-Unis, affirmant sa détermination à être à la hauteur des enjeux et à engager des ressources considérables »

Il précise ensuite que « si l’on examine dans les détails de cette enveloppe, environ 650 milliards proviendraient d’un assouplissement des contraintes budgétaires imposées par le Pacte de stabilité et de croissance, qui limitent actuellement le déficit des États »

Un chiffre clé : 350 milliards d’euros. Cette somme s'inscrit dans une temporalité pluriannuelle répartie sur quatre ans. Le spécialiste en gouvernance de l'Union européenne voit ici une manœuvre habile de communication politique vis-à-vis de Washington : « L’entourage de Trump et J. D. Vance a probablement retenu en premier lieu le chiffre impressionnant de 800 milliards, sans nécessairement noter qu’il s’étalait sur plusieurs années. De plus, c’est un pari sur l’avenir : la Commission européenne annonce un changement des règles, mais les véritables acteurs restent les États membres. Or, comme dans tout jeu politique, ces derniers peuvent interpréter et utiliser une même règle de manière différenciée ».

 

L’OTAN et la part du budget militaire dans le PIB

Depuis 2014, les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’OTAN sont convenus que chaque Allié consacrerait 2 % de son produit intérieur brut (PIB) à la défense. D’après le dernier rapport de l’OTAN sur ​​les dépenses de défense des pays de l'OTAN entre 2014 et 2024, la Pologne est en tête, avec 4,1% de son PIB consacré aux dépenses militaires. Elle est suivie de l’Estonie avec 3,4%, puis de la Lettonie et de la Grèce avec 3,1%. Les dépenses militaires de la France représentent 2,1% du PIB en 2024. Un palier que plusieurs pays n’ont pas réussi à franchir cette année (Belgique, Espagne, Canada, Portugal, Luxembourg, Italie, Portugal, Croatie…), alors que les États-Unis sont autour de 4%.

Un an plus tôt, le 10 février 2024, lors d’un meeting en Caroline du Sud, Donald Trump menaçait déjà de ne plus garantir la protection des pays de l’OTAN face à la Russie. En réponse aux inquiétudes d’un président européen sur l’engagement des États-Unis à défendre l’Europe, il déclarait : « Je ne vous protègerai pas. En fait, je les encouragerai même à faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer ».

 

 


 

Samuel B. H. Faure met en garde contre un déséquilibre stratégique : « En 2025, l’Europe se retrouve sans le soutien des États-Unis face à une puissance nucléaire disposant d’une population relativement importante. Pour rappel, la Russie consacre actuellement 40% de son PIB aux dépenses militaires, illustrant une véritable économie de guerre ». Une telle situation soulève des interrogations sur la capacité de l’Europe à assurer sa propre défense. « Nous sommes loin des 2% alloués par la France et d’autres pays de l’Union européenne. Il convient également de rappeler que le PIB de la Russie est comparable à celui de l’Espagne », conclut-il.

Le Président de l'Assemblée parlementaire de l’OTAN souligne la nécessité d’augmenter considérablement les objectifs de dépenses en matière de défense. Selon lui, consacrer 2% du PIB à ce secteur est désormais largement insuffisant. Il affirme que « investir dans la défense, c'est investir dans la paix ». Par ailleurs, il se positionne contre la tentation de la division, rappelant la préciosité de la relation transatlantique « L’OTAN est et restera la pierre angulaire de notre sécurité : celle de l’Europe, mais aussi celle de l’Amérique du Nord ».

 

Kiev accepte un cessez-le-feu immédiat “de trente jours”

Le 11 mars 2025, des négociations entre délégations américaine et ukrainienne se tiennent en Arabie saoudite, marquant la reprise du dialogue entre les deux pays sur un territoire neutre. Une dizaine de jours après leur altercation, Washington annonce la levée des restrictions sur l’aide américaine en matière de sécurité et de renseignements à Kiev. Lors de ces discussions, Zelensky déclare que l’Ukraine est « prête pour la paix » et accepte la proposition américaine d’un cessez-le-feu immédiat de trente jours. 

Le lendemain, lors de la commission des affaires étrangères et de la défense au Sénat, Marcos Perestrello de Vasconcelos déclare : « Nous devons poursuivre notre soutien afin de répondre aux besoins et de renforcer la position de l’Ukraine à la table des négociations. Je salue l’accord conclu entre les États-Unis et l’Ukraine, ainsi que l’engagement que leur engagement réaffirmé en faveur d’une paix juste et durable, assurant la sécurité de l’Ukraine et de l’Europe à long terme. Il revient à la Russie de démontrer qu'elle est prête à faire ses premiers pas vers la fin de son agression contre l’Ukraine ».

 

Avion Ukraine
© Unsplash

 

Vers une autonomie nucléaire européenne ?

En 2025, les États-Unis jouent un rôle crucial dans la protection nucléaire de l’Europe, ce qui pose la question de la dépendance stratégique. Cette situation est parfois perçue comme un inconvénient pour l’autonomie européenne, notamment au regard de l’évolution des politiques américaines. L’arme nucléaire détenue par la France sert-elle de parapluie ? 

En Europe, deux pays disposent de l'arme atomique : la France et le Royaume-Uni. Mais la France est le seul pays européen qui a une politique de dissuasion nucléaire indépendante. Elle dispose d’un arsenal nucléaire stratégique et le nucléaire fait partie intégrante de sa doctrine de défense.

Emmanuel Macron ouvre le débat sur une extension du parapluie nucléaire franco-britannique aux partenaires de l’Union européenne. Se pose alors la question de déterminer à qui reviendrait la décision de recourir à l'arme atomique. « Sur l'avenir de l'Europe de la défense, le diable se cache, comme toujours, dans les détails. Les acteurs européens n'ont pas le même agenda : Viktor Orbán n'est pas Emmanuel Macron, tout comme Pedro Sánchez et Giorgia Meloni », conclut Samuel B.H. Faure.