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TRIBUNE - Le Covid est un catalyseur et un révélateur d’inégalités

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Écrit par Lepetitjournal.com International
Publié le 15 juin 2020, mis à jour le 16 juin 2020

Cette tribune a été proposée par Cyril CHAPELLE, Charles-Henry CHOËL et Charles PETRIE.

 

Nous le savons désormais, il y aura un après Covid. Le choc économique de la réponse à la pandémie sera sévère, et tant mieux : pourquoi retourner à une situation antérieure qui menait la planète au gouffre et faisait une croix sur l’équité sociale ? Ne pouvons-nous pas capitaliser sur la transformation profonde que notre société est en train de vivre pour tenter de créer un monde nouveau avec une approche plus durable et plus éthique ?

Nous, auteurs de cette tribune, venons de trois univers différents. La finance et l’action caritative, le conseil en stratégie, la haute fonction publique internationale. Notre point commun : nous sommes tous des anciens de l’INSEAD et voulons contribuer à l’émergence d’un monde meilleur. Ce qui suppose de tirer les premières leçons de cette crise et d’en esquisser les opportunités :

Le Covid est un catalyseur et un révélateur d’inégalités. En France, le constat est sans appel :

Nous ne sommes pas égaux face au virus : les taux de mortalité sont plus importants pour les personnes exposées au virus en contact avec le public, les personnes âgées ou fragiles (hypertension, diabète, surpoids, ...). Or, ces “comorbidités” touchent plus particulièrement les personnes avec les revenus les plus faibles, habitant dans les zones les plus peuplées et dépendantes de moyens de transport collectifs plutôt qu’individuels, n’ayant pas accès au télétravail ou en situation d’illectronisme.

Nous n’étions pas égaux dans le vécu du confinement : aujourd’hui en France, on dénombre 1/3 des actifs qui continuent à travailler sur site (« premières lignes »), 1/3 de « secondes lignes » qui travaillent à domicile ou dans leur maison de campagne, et 1/3 de chômeurs, chômeurs partiels ou malades, considérés comme « inutiles ». Les migrants et les personnes sans abri sont plus isolées que jamais, tout comme les personnes dépendantes des EPHADs.  Au sein même des familles, on assiste à une recrudescence des violences familiales et conjugales.

Malgré tout, nous restons un pays privilégié : sans occulter les inégalités sociales en France, qu’en est-t-il des fossés entre pays ? Faut-il se recentrer sur un nationalisme de conjoncture et privilégier la France ? Certes, de nombreux français sont fortement impactés par le virus mais les pays émergents vont souffrir de façon disproportionnée de cette crise et l'écart déjà colossal va encore s’accentuer.

Pour prendre un exemple concret, aux Philippines : à Tondo, un quartier pauvre de Manille, la densité de la population est huit fois supérieure à celle de Paris : comment réussir la distanciation sociale dans de telles conditions ? La survie de ses habitants se fait clairement au prix de leur santé. Il ne s’agit pas de trilemme à la française (entre santé, travail et économie) où, in fine, la santé prime. Le travail est une nécessité vitale, le confinement devient secondaire. Sans couverture sociale, la santé est la grande oubliée.

Cette crise nous projette brutalement dans un monde d’après aux contours mouvants, truffé d’inconnues, mais aussi d’opportunités :

Sommes-nous vraiment en guerre, comme l’a martelé le Président de la République ? L’expression « nous sommes en guerre » est celui utilisé pour mobiliser la population.  Outre le risque de pérennisation d’un pouvoir exécutif trop fort, le récit est-il approprié ? La dévastation d'une guerre est immédiate.  La destruction peut être totale, la peur paralysante. Il est indéniable que nous vivons une époque de désorientation, mais la situation que nous vivons n’est pas encore profondément traumatisante. Le risque est qu’un tel récit nous pousse à utiliser le prisme anti-terroriste pour définir une réponse à un défi de nature beaucoup plus sociale et collective.

Que va devenir le multilatéralisme ? La crise a mis à mal l'acceptation de la pensée et de l'action collectives au profit d’un ordre mondial darwinien. Un ordre mondial caractérisé par la perversion ou le rejet d'un système international fondé sur des règles, ainsi que par la réémergence d'une forme de bilatéralisme particulièrement cynique et opportuniste.

Va-t-on vers une régression sociale majeure ? La période est à haut risque, du fait de l’augmentation du chômage de masse liée à l’implosion d’un certain nombre de secteurs économiques, l’incapacité de beaucoup de foyers à rembourser les dettes accumulées, et les frustrations d’un confinement perçu comme inégalitaire. Il faut rappeler que selon une récente étude de l’OCDE, un tiers des ménages pourraient tomber sous le seuil de pauvreté s’ils devaient renoncer à trois mois de revenus. Après les gilets jaunes et les grèves de l’hiver dernier, le risque de troubles sociaux et d’un regain de tension est bien réel.

Dans ce contexte, serons-nous tentés par un repli sur soi régressif et une dérive sécuritaire ? Montée des nationalismes, peur de l’autre, ce porteur de virus, idéalisation du monde « sans contact », fin de la coopération multilatérale aux dépens de certains pays exportateurs de matières premières, idéalisation d’un monde darwinien, dominé par les esprits pratiques et “agiles”, les facteurs d’inquiétude sont nombreux. Les états continuent à surveiller leurs populations et se montrent réticents à redonner au législatif les pouvoirs d’exception qu’ils se sont octroyés comme après les attentats de 2015. Sauver des vies ne doit pas nous amener à renoncer à vivre.

Ne versons pas dans le pessimisme : Un nouveau départ reste possible, sous plusieurs conditions :

La relève du système démocratique.  Le coût de redémarrage de l'économie sera énorme. Le gouvernement devra redéfinir radicalement ses priorités. Étant donné l'urgence d'une
« renaissance économique », grande sera la tentation de se passer du processus consultatif. Il faudra y résister à tout prix car l’approche démocratique sera essentielle dans le règlement des troubles à venir.

La prise en compte des enjeux structurels et de « temps long » comme le réchauffement climatique.

Le changement du rapport au risque et de notre perception du rôle de l’Etat dans la gestion de la crise.

La correction des excès de la mondialisation, ce qui pourrait justifier la relocalisation de certaines activités pour se rendre moins dépendants de certains fournisseurs comme la Chine pour les médicaments et les masques, ou les Etats-Unis pour l’IA et les nouvelles technologies.

Un projet pour la jeune génération. Nous demandons beaucoup à nos jeunes, en particulier à celles et ceux qui entrent dans la vie active. Nous leur demandons d'investir de manière disproportionnée dans une réponse globale qui, à terme, vise à permettre à la génération la plus âgée de vivre plus longtemps. Comment pouvons-nous les aider en retour ? Comment redéfinir une forme actuelle, équitable et structurelle de nouvelle solidarité intergénérationnelle ? Au-delà, comment faire émerger des solidarités nouvelles et redéfinir un nouveau contrat social entre classes sociales et territoires ?

C’est maintenant que se construit l’après Covid. Il est urgent d’agir. Voici nos trois recommandations prioritaires, le socle de ce monde nouveau :

Effaçons la dette des pays pauvres : le coût de la dette étant si peu élevé aujourd'hui pour les pays riches (0.08%/an en Europe pour certains pays sur 30 ans) que nous avons une opportunité historique de le faire sans assumer un trop gros fardeau, ce qui permettrait à ces pays de développer des champions nationaux. Apprenons des erreurs de notre histoire, ayons le courage politique à l’échelle de l’Europe et des grandes institutions financières de faire ce qui est juste.

Capitalisons sur l’amélioration de l’environnement : l’incitation de vouloir retourner à une croissance effrénée pour redémarrer l’économie est une réalité, mais ceci doit se faire sans perdre la compréhension que notre approche du passé était intenable. Nous devons être prêts à assumer les couts d’une relance économique plus juste et plus durable sur le plan environnemental.

Lançons nouveau contrat social intergénérationnel : redonnons aux jeunes en exigeant de la part de nos gouvernements un plus grand investissement dans l'éducation et la formation technique des jeunes, et assurons un revenu universel minimum aux jeunes demandeurs d'emploi de moins de trente ans. Pourrait-on envisager l’instauration d'un service de mentorat civique d'un à deux ans pour ceux qui commencent à prendre leur retraite pour ne pas oublier les plus de 50 ans souvent mis de côté ?

Mais tous ceci commence par nous. Que ce soit dans notre famille, notre immeuble, dans notre rue, notre école ou notre entreprise, il nous incombe individuellement de donner l’exemple d’une société plus solidaire et plus responsable. C’est notre responsabilité. Si chacun de nous s’engage aujourd’hui à agir, même modestement, nous pouvons durablement créer une vraie dynamique de changement pour bâtir ensemble un futur désirable.

 

 

Cyril Chapelle : Expert en stratégie et transformation des organisations en tant que consultant, directeur de la stratégie ou Directeur Général.

Charles-Henry CHOËL : Expert Fintech avec plus de vingt ans d’expérience internationales dont 10 de direction générale et acteur engagé sur la thématique des inégalités sociales. Membre du Club XXIeme Siècle.

Charles Petrie : Ancien Secrétaire-General Adjoint des Nations Unies avec plus de vingt ans d'expérience dans des situations de famines, violence et conflits.

logofbinter
Publié le 15 juin 2020, mis à jour le 16 juin 2020