Paris – Dans la perspective de plus en plus souvent évoquée d’un Brexit sans accord, qui pourrait intervenir dès le 31 octobre, les principaux pays de l’UE et le Royaume-Uni ont mis en place des mesures destinées à en atténuer l’impact sur les populations.
Plus de trois ans après le référendum qui a vu les Britanniques voter à 52% pour une sortie de l’Union européenne, le Brexit – prévu initialement pour le 29 mars 2019 et sans cesse repoussé depuis – est toujours un casse-tête.
Quelque 3,6 millions de citoyens européens vivent actuellement au Royaume-Uni, et 1,2 million de Britanniques sur le continent.
ROYAUME-UNI : risque de pénuries
Le Premier ministre Boris Johnson envisage un divorce sans accord, malgré des prévisions alarmantes, de son propre gouvernement, de pénuries alimentaires, de médicaments et de risques de troubles à l’ordre public.
L’Union européenne a prévu qu’en cas de Brexit dur, elle mettrait immédiatement en place des contrôles douaniers, des inspections de sécurité alimentaire et de vérification des normes européennes aux frontières avec le Royaume-Uni. Le Parlement européen a approuvé en avril l’exemption de visas pour les Britanniques effectuant de courts séjours dans l’Union européenne après le Brexit, sous réserve de réciprocité.
Plus d’un million d’Européens ont déjà obtenu le statut de « résident permanent » (« settled status »), pour continuer à travailler ou toucher des prestations sociales lorsque le Royaume-Uni aura rompu ses liens avec l’UE.
Le gouvernement britannique a annoncé début septembre qu’il allait proposer un permis de séjour de trois ans aux ressortissants européens qui souhaiteraient s’y installer après un Brexit sans accord.
Londres travaille aussi à ouvrir de nouvelles voies de passage via d’autres ports que celui de Douvres (sud).
IRLANDE : l’épine du backstop
Dans son budget pour 2019, l’Irlande a mis 1,5 milliard d’euros de côté, pour amortir toute onde de choc liée au divorce avec le Royaume-Uni. 1.000 personnes ont notamment été embauchées pour les contrôles douaniers et sanitaires.
Les regards sont braqués sur un dispositif qui cristallise les passions : le « filet de sécurité », ou « backstop », qui est censé éviter le retour à une frontière physique entre la République d’Irlande et la province britannique voisine d’Irlande du Nord.
Il stipule que le Royaume-Uni demeure sur un « territoire douanier unique » avec l’Union européenne, ce qui limiterait la capacité de Londres à négocier des traités commerciaux avec des Etats tiers. Inimaginable pour les partisans d’un divorce net avec Bruxelles qui estiment que cela arrimerait leur pays indéfiniment à l’Union européenne.
ALLEMAGNE : « prête à tout »
Le gouvernement allemand, qui assure être « préparé à toutes les possibilités imaginables de sortie », prévoit en particulier une période de transition de neuf mois pour permettre aux Britanniques de faire les démarches administratives nécessaires afin de rester en Allemagne après le Brexit. Ils devront ensuite faire une demande de titre de séjour pour rester en Allemagne.
Les douanes allemandes ont prévu 900 postes supplémentaires.
FRANCE : aménagement des ports
Il est prévu que les Britanniques qui habitent sur le territoire français, où ils sont au moins 150.000, « pourront continuer de résider en France sans titre de séjour » pendant un an, le temps de régulariser leur situation, à condition que la réciprocité soit accordée aux 300.000 Français vivant au Royaume-Uni.
Des travaux d’aménagement, d’un montant de 50 millions d’euros, ont été engagés dans les ports (Dunkerque, Calais, Le Havre), le tunnel sous la Manche et les aéroports, avec notamment des parkings géants pour éviter les embouteillages. Près de 600 nouveaux douaniers ont été recrutés et formés.
ITALIE : inquiétude pour le prosecco
L’obtention du statut de résident permanent sera liée à une présence d’au moins six mois sur douze en Italie, au cours des cinq années ayant précédé le Brexit.
Les vignerons italiens, qui exportent chaque année au Royaume-Uni le chiffre colossal de 120 millions de bouteilles de prosecco, craignent les conséquences d’une hausse des prix du fait des droits de douane.
« L’incertitude de la situation nous inquiète, mais nous avons confiance dans le fait que les citoyens britanniques n’abandonneront pas leur péché mignon », dit Innocente Nardi, le président du consortium du prosecco supérieur Conegliano Valdobbiadene (DOCG).
ESPAGNE : assurer la continuité à Gibraltar
Le Premier ministre Pedro Sanchez a assuré en septembre que l’Espagne, qui compte la plus importante communauté britannique d’Europe, était « préparée à tous les scénarios ».
Le gouvernement veut fournir des permis de résidence à « environ 400.000 personnes » et préserver le flux des déplacements vers Gibraltar, un petit territoire britannique situé à l’extrême sud de l’Espagne, où 9.000 Espagnols se rendent chaque jour pour travailler, a précisé Pedro Sanchez.
POLOGNE : focus sur le transport routier
Une proposition de loi doit permettre aux Britanniques de séjourner en Pologne sans changement de statut jusqu’à la fin de 2020.
Varsovie compte sur l’Union européenne pour régler le statut du transport routier car environ 25% du fret entre l’UE et la Grande-Bretagne est assuré par quelque 2.500 sociétés polonaises de ce secteur d’activité.
L’ambassadeur polonais à Londres a adressé mi-septembre une lettre aux Polonais vivant en Grande-Bretagne, dans laquelle il leur demande en particulier d’envisager un retour au pays, vantant la bonne santé de l’économie polonaise.
GRECE : quel impact sur le tourisme ?
Les inquiétudes du gouvernement grec se focalisent sur le secteur stratégique du tourisme : avec près de trois millions de visiteurs l’an passé, les Britanniques sont dans ce domaine le deuxième contingent après les Allemands.
« Vous imaginez les retards si tous ces gens doivent désormais passer au contrôle des passeports ? », a commenté cette semaine un responsable du secteur du tourisme.
Les Britanniques pourront rester étudier et travailler en Grèce jusqu’au 31 décembre 2020, en cas de Brexit. Quelque 110.000 Grecs travaillent ou étudient au Royaume-Uni.
Par Thibauld Malterre avec les bureaux européens de l’AFP