Au sommet de Calton Hill, la vue sur Edimbourg est à couper le souffle, sous des nuages gris transpercés de rayons de soleil, la mer du Nord au loin. "Amazing !" (magnifique) s'exclame en anglais l'un des élèves de Sarah Lepioufle.
Le groupe d'une cinquantaine de collégiens de Colmar, en Alsace (est de la France), arrivé quelques jours plus tôt en Ecosse, est l'un des premiers à fouler le sol britannique depuis le début de la pandémie.
Mais les nouvelles formalités post-Brexit à la frontière, entrées en vigueur en octobre, ont transformé l'organisation du voyage linguistique en véritable "parcours du combattant", raconte la professeure d'anglais.
Le passeport est désormais obligatoire et, pour certains élèves de nationalités non-européennes, un visa coûtant la bagatelle de 100 livres (près de 120 euros) est devenu indispensable, même s'ils résident dans l'UE.
Le collège partait "pratiquement tous les ans avant le Brexit. Là, ça va être plus compliqué", résume Mme Lepioufle, qui s'est démenée pour que les élèves aient leurs papiers à temps. Tous les enseignants n'ont pas la même ténacité.
Et si la demande de voyages scolaires linguistiques redécolle après le coup d'arrêt du Covid, les établissements délaissent le Royaume-Uni au profit de l'Irlande, Malte, voire des séjours d'immersion linguistique en France.
La chute est "vertigineuse", selon Edward Hisbergues, l'organisateur du voyage du groupe de Colmar, qui voyait autrefois 80% des demandes des professeurs d'anglais se porter sur le Royaume-Uni. C'est moins de 10% cette année, en très grande majorité à cause des contraintes administratives.
"Déçue de tout rater"
Côté britannique, c'est tout un secteur et ses armées de guides ou familles d'accueil, déjà mis à mal par la pandémie, qui désespère de voir revenir les groupes d'élèves de France mais aussi d'Allemagne, d'Italie ou d'Espagne.
L'organisation sectorielle Beta UK craint un manque à gagner d'au moins deux à trois milliards de livres annuels et dénombre cette année 60 à 70% de voyages en moins qu'avant la pandémie.
Pour le président de l'organisation, Steve Lowy, c'est aussi une question d'image, alors que "bien plus d'un million d'élèves" visitaient le pays chaque année et développaient "une affinité à long terme" avec le Royaume-Uni, selon lui.
"Il y a la perception que nous ne sommes pas accueillants, et pas ouverts aux personnes venues d'Europe", ce qui pourrait porter préjudice à long terme au pays, déplore-t-il.
Aaron Schaetzel, 13 ans, est ravi d'avoir pu partir. "Depuis la sixième, il n'y a pas eu de voyages, tout a été annulé à cause du Covid, du confinement", souffle cet élève de quatrième.
A Colmar, certains parents d'élèves ont contacté les mairies des environs pour être certains d'avoir les passeports avant le départ.
D'autres ont renoncé devant le prix du document d'identité - 17 à 42 euros pour des adolescents - ou les complications du visa. C'est le cas d'Elisabeta Shpak, de nationalité russe, dont les parents sont en France depuis 25 ans.
Du temps de l'UE, elle aurait pu partir avec ses camarades grâce à un document de voyage collectif. "J'ai dû renoncer parce que je suis Russe", lâche-t-elle, visiblement déçue de "tout rater".
Des questions de Sécurité ?
Le secteur espère que le gouvernement britannique reviendra à plus de souplesse, arguant qu'un groupe d'élèves ne présente pas de risque élevé de sécurité.
Selon un sondage récemment publié par Beta UK, les Britanniques sont majoritairement en faveur de formalités allégées pour les voyages scolaires.
Londres rétorque qu'un autre passeport collectif existe, prévu par un traité de 1961 signé dans le cadre du Conseil de l'Europe, qui reste valable malgré le Brexit.
Mais il est loin de régler tous les problèmes: les voyagistes français ne l'ont par exemple jamais utilisé et attendent que le gouvernement français définisse la procédure pour l'obtenir.
D'autres pays, comme l'Allemagne, n'ont pas signé ce traité, qui n'autorise de toute façon que les ressortissants du pays de départ à voyager.
Du haut de Calton Hill, la guide Marilyn Hunter raconte avec passion aux élèves de Colmar les paysages d'Ecosse, son histoire, la renommée mondiale de son whisky et de son saumon.
Le Brexit gâte un peu sa joie de voir revenir les voyages scolaires après la pandémie. Un groupe venu d'Allemagne la semaine précédente avait aussi laissé derrière lui quatre élèves n'ayant pas obtenu leurs visas à temps.
Par Olivier Devos, Damien stroka et Julien Sengel à Colmar