Lorsqu’on arrive aux HQ de Cartier Moyen Orient à Dubai, l’accueil est chaleureux, enjoué, féminin. Et cela tombe bien, nous sommes là pour parler du Pavillon de la Femme (Women’s Pavilion), une initiative de l’Expo 2020 Dubai en collaboration avec Cartier , avec Sophie Doireau, récemment nommée CEO pour le Moyen-Orient, l’Inde et l’Afrique de la grande maison de joaillerie française. Cette dernière travaille dans la région depuis 7 ans, et pour Cartier depuis 13. Avec au fond des yeux une lumière qu’on ne peut feindre, elle raconte un projet multidimensionnel qui s’inscrit dans une démarche plus globale encore.
Les grands esprits se rencontrent, dit-on. C’est sans doute pour cela que la trajectoire de Sophie Doireau a croisé celle de Hind Alowais, Vice-présidente senior pour les Participants internationaux à l’Expo 2020 Dubai. Durant trois ans, elles ont œuvré ensemble à la conception de ce Pavillon singulier, véritable manifeste pour la femme, sa réalisation et celle du monde dans son sillage.
Lepetitjournal.com/dubai : Quelle a été la genèse du Pavillon de la Femme à l’Expo 2020 ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler sur un tel projet ?
Hind Alowais : J'ai travaillé près de 15 ans pour le Ministère des Affaires étrangères des Émirats Arabes Unis et j'ai pu conseiller la direction des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes. Lorsque j’ai reçu la proposition de travailler sur le Women’s Pavilion en collaboration avec Cartier, j’en fus particulièrement honorée, car il reste encore beaucoup à mettre en œuvre pour la cause des femmes à l’échelle globale. En effet, une proportion importante de femmes reste confrontée à un certain nombre de défis, dont certains ont malheureusement été exacerbés par la pandémie de Covid-19.
À Expo, nous pensons que les femmes et les filles sont essentielles à l’accomplissement de nos plus importants challenges, et c'est pourquoi nous leur avons consacré un espace où nous les mettons en lumière, elles, leurs succès et leurs réalisations, mais aussi les défis auxquels elles sont encore confrontées.
Sophie Doireau : Depuis longtemps déjà, Cartier soutient les femmes à travers deux plateformes : Cartier Women’s Initiative Awards pour l’entreprenariat et Cartier Philanthropie.
Nous voulions aller plus loin, parler des femmes au sens large, les célébrer. L’Expo 2020 s’annonçait comme une plateforme extraordinaire en termes d’universalité et d’inclusivité. Lorsque nous sommes allés présenter l’idée du Women’s Pavilion au comité de l’Expo il y a plus de trois ans, nous avons réalisés qu’ils avaient la même idée en tête. Alors pourquoi ne pas le faire ensemble ? Si nous collaborions, il n’en serait que plus riche. S’en sont suivies trois années de co-création et de co-curation, avec une équipe dédiée au projet composée de membres de l’Expo et de personnes de chez nous. Il y eut aussi les experts du monde entier qui nous ont aidé à rassembler les informations et les chiffres à l’échelle mondiale pour que la narration soit fidèle au passé, au présent et au futur.
Nous avons combiné nos différentes approches et idées. Sans cette collaboration, le projet n’aurait pas eu la même couleur. C’est un beau projet de vie, prenant, complexe et sensible mais qui donne du sens à ce que l’on fait.
Que représente le Pavillon de la Femme à vos yeux ?
Sophie Doireau : C’est une nouvelle perspective sur le sujet de la Femme. En effet, ce sujet de l’émancipation féminine peut parfois faire fuir la moitié de la planète ! Alors notre démarche a été inclusive : parler aux petits et aux grands, faire s’exprimer des artistes hommes ou femmes… Faire prendre conscience qu’il y a énormément de femmes qui ont œuvré pour le monde, dont beaucoup qu’on ne connait pas, faire figurer aussi les hommes qui ont compté dans cette émancipation.
L’idée est que les visiteurs ressortent avec quelque chose, cela ne marche que si l’expérience est positive. Nous sommes venus sans rien à vendre, mais tout à partager. Nous avons utilisé notre force artistique et celle des artistes invités à participer pour faire vibrer le contenu : les constellations d’étoiles – ces femmes qui ont brillé très fort, ou celles, filantes, qui n’ont pas eu le temps de tout exprimer.
Hind Alowais : C'est la première fois, depuis plus de cinquante ans d'histoire des Expositions universelles qu'un pavillon est entièrement consacré aux femmes, et le fait que cela se passe dans un pays arabe et musulman est très important. En tant que première Expo organisée dans le monde arabe, c'est aussi l’opportunité de corriger les fausses idées reçues - malheureusement persistantes - sur les femmes dans la région.
Qu’est-ce que ce manifeste pour la femme signifie pour Cartier ?
Sophie Doireau : Une manière de nous positionner en tant que citoyens du monde. En tant qu’entreprise, c’est l’un des rôles primordiaux que nous devons jouer maintenant. Cette alchimie autour d’une même vision montre que l’on peut casser les codes avec un partenariat privé - public. Des thématiques comme celles-ci – les femmes, l’environnement, l’éducation- ne sont plus le seul devoir des gouvernements. Nous faisons avancer les choses à notre niveau mais avec la force de frappe qu’une maison comme Cartier peut avoir.
Comment utiliser la traction que la marque peut avoir pour le bien du monde ? C’est une question qui se trouve de plus en plus au centre de nos réflexions et qui donne du sens à ce que l’on fait. Ce projet du Pavillon a eu une résonnance majeure chez Cartier au niveau international.
Comment cette philosophie/culture s’exprime-t-elle ailleurs pour Cartier ?
Sophie Doireau : Cela fait partie intégrante de la culture de Cartier, notamment avec Cartier Women’s Initiative, mis en place il y a 15 ans. Chaque année, les lauréates de toutes les régions - des entreprises jeunes, sélectionnées entre autres pour leur impact sur le monde - se voient offrir un accompagnement et des fonds substantiels. Les femmes du Moyen Orient étaient d’ailleurs pendant de nombreuses années parmi les plus nombreuses à postuler sur la plateforme ; une donnée qui peut paraitre contre intuitive et qui parle d’elle-même ! Cartier Philanthropie, à travers des ONG partout dans le monde, vient aussi en aide aux femmes et aux enfants.
En interne, Cartier a eu comme une révolution dans la manière d’équilibrer la présence des femmes notamment au niveau de la direction. Aujourd’hui il y a 50% de femmes aux postes de direction à travers le monde et 55% des employés sont des femmes.
La diversité est importante tant au niveau du genre que des nationalités. Aux Emirats, nous assurons l’égalité des salaires et dans la même perspective, les hommes ont droit à leur congé paternité.
Une anecdote sur la collaboration entre les deux entités – Cartier et l’Expo 2020 incarné dans ce projet par vous-même et Hind Alowais, Vice-présidente senior pour les Participants internationaux à l’Expo 2020 Dubai?
Hind Alowais : En collaboration avec Cartier, nous avons élaboré le concept et le contenu qui seront présentés tout au long de l'événement, et ce fut un voyage incroyablement puissant. Je pense que la chose la plus inspirante dont j'ai été témoin est la collaboration dans son sens propre. Lorsque nous avons commencé, il y a eu des moments d'appréhension. Souvent, j'ai appelé Sophie tard dans la soirée et nous nous sommes promis de ne pas faire de compromis sur l'essence de ce que nous essayons d'accomplir. Je me souviens quand, lors d'un atelier, Sophie et moi avions commencé à débattre de ce que la féminité et l'égalité signifiaient pour nous, et de la façon dont nous étions toutes responsables, de différentes manières, de faire avancer l'agenda des droits des femmes et de l'égalité. Je me souviens très bien de cette conversation, car elle a été un véritable tournant et a montré comment nous pouvons construire des ponts vers un objectif commun.
Aujourd'hui, l’Expo et Cartier formons une seule et même équipe.
Sophie Doireau : Je me souviens de ce moment où nous avons reçu un « ok » de la part de Son Excellence Reem Al Hashimy, qui incarne elle-même magnifiquement « l’empowerment » de la femme aux Emirats. Elle avait défendu ce projet sur lequel nous travaillions depuis plus d’un an avec Hind et cela était le point de départ d’une aventure qui nous marquera toutes.
Quelle vous semble être la place des femmes ici, aux Emirats et en particulier à Dubaï ?
Hind Alowais : En tant que femme, j'ai toujours été consciente des problèmes liés à l'inégalité, mais lorsque je compare ma situation à celle de ma mère ou de ma grand-mère, je me rends compte du chemin parcouru aux Émirats Arabes Unis pour garantir les opportunités et les droits des femmes.
D'un point de vue personnel, en tant que femme arabe originaire d'un pays du Golfe, je suis profondément reconnaissante de pouvoir compter sur nos dirigeants, qui ont inculqué à leur peuple les principes du partenariat entre hommes et femmes depuis la création du pays.
Les Émirats arabes unis incarnent le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, ce qui les distingue. Saviez-vous, par exemple, que 50 % des membres du Conseil national fédéral, l'organe parlementaire consultatif des Emirats, sont des femmes ?
Les Emirats sont également l'un des pays les plus performants de la région en ce qui concerne les efforts pour atteindre la parité hommes-femmes, ayant comblé 71,6 % de l'écart entre les sexes, selon le Gender Gap Report 2021 du Forum Economique Mondial (WEF).
C'est ce qui me motive. Je fais partie d'un pays qui soutient cette vision, qui travaille dans ce sens. Nos convictions personnelles sont pleinement soutenues et reflétées au niveau gouvernemental, et c'est, encore une fois, un privilège.
Vous-même vous êtes une femme, quels challenges avez-vous rencontrés ?
Hind Alowais : J'ai beaucoup de chance de faire partie d'un pays dont les objectifs et la vision pour l'avenir sont ceux d'un pays où les femmes jouent un rôle égal. Je dois donc dire que les défis auxquels j'ai été confrontée à ce niveau étaient inexistants, d'autant plus que notre Expo est dirigée par une femme extraordinaire - Reem Al Hashimy, ministre d'État à la coopération internationale et directrice de l'Expo 2020.
Sur le plan personnel, mon plus grand défi a été de traduire une question politique qui me tenait à cœur en une sorte d'exercice de narration qui résonnerait et toucherait le cœur du public.
Sophie Doireau : Etonnamment pas trop ! Au contraire cela a plutôt été une opportunité. Au regard des sept années passées au Moyen Orient, être une femme dans ce milieu du luxe au top management très masculin est même plutôt un avantage. J’ai toujours eu énormément de chance d’avoir été soutenue par des hommes et par des femmes, notamment chez Cartier. Ces gens ont cru en moi sans que le « genre » ne semble être un sujet. Cela m’a donné confiance en moi. M’entendre dire que je pouvais y arriver fut la meilleure motivation.
Quel message souhaiteriez-vous faire passer aux femmes en devenir ici et ailleurs ?
Sophie Doireau : Osez ! Nous sommes souvent plus naturellement en retrait. La plupart du temps nous sommes nos propres freins. Mais on peut être femme tout en sachant ce qu’on veut et en s’affirmant. Ce n’est pas incompatible. Sortons de ces stéréotypes, on a plein de belles choses à dire, ne nous restreignons pas nous-même. Je passe le même message à mes équipes, n’ayons pas peur de voir grand.
Hind Alowais : Je voudrais rappeler aux femmes - et aux hommes - que nous sommes loin de vivre dans un monde égalitaire et que nos privilèges ne doivent pas être tenus pour acquis.
Les jeunes femmes ne doivent pas oublier que notre chemin vers le leadership, vers l'égalité des chances au travail, vers la réalisation de nos rêves ne s’est pas ouvert tout seul. Nous avons accès à de nouvelles opportunités parce que des femmes et des hommes avant nous se sont engagés à respecter des valeurs telles que l'égalité. Aux Émirats Arabes Unis, par exemple, nous devons beaucoup à notre père fondateur Sheikh Zayed, qui a inculqué à tous l'idée que les femmes sont des partenaires égales, mais aussi à la Mère de la Nation, Sheikha Fatima, qui a vu le pouvoir de l'éducation et a pris le soin d’éduquer des générations de femmes dans ce pays, et aux dirigeants dans leur ensemble, qui ont poursuivi cette voie.
Cependant, une partie du reste du monde n'a pas cette chance et nous vivons toujours dans un monde où la moitié de la société - les femmes - est tenue à l'écart.