Depuis plusieurs années, le Cambodge est considéré comme l'une des destinations des investissements étrangers, offrant de plusieurs avantages et incitations fiscales. L'adoption de la loi sur l'arbitrage commercial en mai 2006 comportant 47 articles, inspirée de la loi type de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (CNUDCI), vient davantage augmenter le degré de confort et de protection des entreprises dans leurs relations économiques.
Le mécanisme de règlement des conflits est un des éléments pris en considération par un investisseur étranger lors de la prise de décision. Un tel système sera également profitable aux entreprises et aux commerçants locaux. Concrètement, l'objectif de ladite loi est d'offrir aux parties en litige la possibilité de résoudre leurs conflits commerciaux selon un mécanisme impartial, rapide et contrôlé par leur consentement mutuel. L'arbitrage commercial est une alternative à la justice étatique.
Quel est l'organisme compétent en matière de l'arbitrage commercial ?
Au Cambodge, l'organisme compétent en matière de l'arbitrage commercial est le Centre National d'Arbitrage (CNA). Il s'agit d'un organisme indépendant qui a été prévu par la loi de 2006 sur l'arbitrage commercial, mais il n'a été véritablement créé que le 4 mars 2013, après de nombreuses années d'effort. Son règlement intérieur et les règles d'arbitrage ont été adoptés en juillet 2014. Ce qui a marqué un pas important pour le développement du CNA. Un code de bonne conduite a également été adopté en avril 2015. Composé actuellement de 42 arbitres dont 1 étranger, le CNA est aujourd'hui opérationnel.
Quel est le développement de l'arbitrage commercial au Cambodge ?
Si les intérêts de l'arbitrage commercial sont bien compris et connus par les investisseurs étrangers, ils restent encore peu connus par la communauté d'affaires cambodgienne. Il est encore trop tôt pour mesurer l'efficacité du CNA. Nonobstant, nous pouvons réellement constater la volonté du Cambodge à développer l'arbitrage commercial. La capacité et la façon dont le CNA réglera les premières affaires sont déterminantes pour l'avenir pérenne de l'arbitrage cambodgien. Les rédacteurs de contrats, les juristes d'entreprise et les avocats-conseils peuvent aussi jouer un rôle primordial dans la promotion de l'arbitrage lors de la négociation et de la rédaction des contrats commerciaux, mais aussi pour la phase contentieuse. Le challenge du CNA est d'autant plus important dans la mesure où il se trouve également en occurrence avec d'autres centres d'arbitrage régionaux tels que celui de Singapour ou de Malaisie. À cet égard, il faut noter que les parties en litige sont libres de recourir à un centre arbitral situé en dehors du Cambodge. Les sentences arbitrales étrangères ont un effet exécutoire sur le territoire cambodgien, car le Cambodge a ratifié la Convention de New York de 1958 sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères.
Quels sont les différends qui peuvent être soumis au CNA ?
Il est important de rappeler que seuls les litiges de nature commerciale peuvent faire l'objet d'un arbitrage commercial visé par la loi de 2006. Sans avoir limité le montant des litiges, l'article 2 de ladite loi définit les litiges commerciaux comme étant ceux qui sont nés des relations commerciales, qu'elles soient contractuelles ou pas, dans les domaines notamment : transactions commerciales pour l'approvisionnement ou l'échange des produits ou services ; distribution ; représentation ou agence commerciale ; manufacture ; crédit-bail ; construction ; conseil ; ingénierie ; franchise ; finance ; banque ; assurance ; concession ; investissement ; joint venture, etc.
Concrètement, comment peut-on recourir au CNA ?
Une instance arbitrale peut être ouverte sur la demande d'une des parties en litige. Cette demande doit être fondée sur une convention d'arbitrage. C'est-à-dire que les parties en litige ne peuvent recourir au CNA que s'il existe un consentement mutuel, de soumettre d'éventuel conflit à un arbitrage exprimé dans une convention d'arbitrage sous forme, soit d'une clause compromissoire généralement stipulée dans le contrat (avant la naissance du litige), soit d'un compromis (après la naissance du litige).
La convention d'arbitrage doit être faite par écrit. Selon l'article 7 de la loi sur l'arbitrage commercial de 2006, cette condition est remplie si la convention d'arbitrage est intégrée dans un document signé par les parties ou dans des courriers échangés entre les parties ou dans les moyens de télécommunication électronique ou encore dans un document de réclamation et de défense par lequel un consentement est donné par une partie et n'est pas refusé par l'autre. La convention d'arbitrage peut aussi se former lorsqu'un contrat est fait par écrit faisant référence à l'arbitrage.
Les parties en litige peuvent-elles choisir les arbitres ?
À la différence de la justice étatique, l'arbitrage offre aux parties la liberté de choisir les arbitres qui vont résoudre leur différend. Néanmoins, le nombre des arbitres désignés doit être impair. À défaut du choix, le tribunal arbitral doit se composer de 3 arbitres (art.18 de la loi de 2006). Les parties doivent être vigilantes à l'égard du nombre des arbitres, car cela a un impact direct sur le coût de la procédure.
Sauf accord contraire des parties, dans une composition à 3 arbitres, chacune des parties a le droit de désigner un arbitre de son choix, et ces deux arbitres désigneront le troisième. Si les parties ou les deux arbitres nommés ne parviennent pas à désigner le troisième dans les 30 jours à partir de la date de la demande de l'une des parties ou de la date leur désignation, le tribunal étatique ou le CNA peuvent y intervenir sur la demande de la partie la plus diligente (art.19-3-a). À cet égard, la décision du tribunal ou du CNA est définitive, car elle ne peut être soumise à aucun appel (art.19-5). Il en est de même lorsque l'instance arbitrale est composée d'un arbitre unique.
Dans le cas de nomination des arbitres par les parties ou par leur implication, ces arbitres peuvent faire l'objet d'une demande de récusation par l'une des parties si elle estime qu'un ou des arbitres ne sont pas indépendants ou qu'ils n'ont pas les qualités convenues par les parties (art.20). À défaut d'accord contraire des parties, cette demande dûment motivée doit être envoyée, dans les 15 jours suivant la connaissance de la constitution du tribunal arbitral ou suivant la découverte des causes de récusation, au tribunal arbitral et à l'autre partie (art.21-2). Néanmoins, il n'est pas précisé que dans quel délai, le tribunal arbitral doit rendre sa décision sur la récusation. Il est donc utile de prévoir cet aspect dans le règlement d'arbitrage, afin d'éviter tout excès.
Si la demande de récusation n'est pas aboutie, la partie demanderesse a 30 jours après la réception de la notification de la décision rejetant sa demande, pour demander au tribunal étatique ou au CNA d'en décider, une telle décision étant définitive (art.21-3).
Il est important de noter que la demande de récusation n'a pas pour effet de suspendre l'instance arbitrale. En effet, le tribunal arbitral, y compris un ou des arbitres qui font l'objet de récusation, continuent à statuer (art.27). À cet égard, dans l'hypothèse où la décision de récusation est confirmée après que la sentence soit rendue, la question se pose de savoir quel serait l'effet de cette décision. Si elle était rétroactive, la sentence sera-t-elle annulée ? Ces questions ne sont pas abordées par la loi de 2006.
Quelles sont les règles applicables en matière d'arbitrage commercial au Cambodge ?
Il faut distinguer les règles applicables aux procédures arbitrales et celles qui sont applicables au fond du litige.
Les premières ont pour but de régir le bon déroulement de l'instance arbitrale (la constitution du tribunal arbitral, la langue, le lieu, etc.). Les parties sont entièrement libres de déterminer les règles de procédure à suivre. À défaut d'accord des parties, l'instance arbitrale est conduite selon les procédures que le tribunal juge appropriées, conformément à l'article 36-1 de la loi de 2006.
Les secondes ont vocation à s'appliquer au fond du différend au moment où le tribunal arbitral cherche les solutions aux problèmes juridiques posés. Le tribunal doit appliquer les règles du droit choisies par les parties, et ces règles doivent, sauf l'accord contraire des parties, être les règles substantielles ou matérielles et non les règles du conflit de lois (art.36-2). À défaut d'accord des parties, les arbitres appliquent le droit qu'ils estiment approprié (art.38). Par ailleurs, l'article 36-3 de la loi de 2006 précise également que les parties peuvent, par commun accord, autoriser les arbitres à décider ex aequo et bono (en équité) ou en tant qu'amiable compositeur.
Par Monsieur Pikol SIENG,
Docteur en droit (Université Jean Moulin Lyon 3) Consultant (France-Cambodge Business Consulting et Salina Consultants-Bureau de Lyon), http://investiraucambodge.jimdo.com
http://www.salinaconsultant.com
(www.lepetitjournal.com/cambodge) jeudi 10 mars 2016.