Ghislain Couston est le représentant de la société Lagazel au Sénégal. Une entreprise spécialisée dans le solaire. Avec lui, nous discutons du soleil comme source d’énergie présente et future, lampes solaires, implantation d’usines en Afrique, transfert de connaissance, fraternité en affaires, SAV en produits solaires, énergies renouvelables. Nous parlons également des produits qu’il représente et qui “ dès 2008” furent “lauréats du concours du programme “Lighting Africa de la Banque Mondiale” ” survolant l’énergie marine nous reviendrons à son sujet de prédilection: le soleil, mais qui brûle cette fois, finissant l’interview par les crêmes solaires à indice 50.
concevoir et fabriquer au Burkina Faso des lampes solaires autonomes
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Ghislain Couston, j’ai 37 ans, je suis originaire d’île-de-France où j’ai vécu principalement. J’ai effectué plusieurs séjours long terme sur le continent africain que j’apprécie particulièrement.
Pouvez-vous nous parler de la société que vous personnifiez ?
Lagazel est une société qui s’est lancée il y a 2 ans, dans la fabrication locale de lampes solaires de qualité. Elle est née de l’association de 2 frères : Arnaud et Maxence Chabanne qui travaillent chacun dans leur entreprise respective et ont décidé de se lancer sur ce projet commun innovant. Arnaud, avec 10 ans d’expériences au Burkina Faso et sa société CB Energie, fait travailler une vingtaine d’agents dans la fabrication de lampes et l’installation de pompes solaires, de kits off grid et autres installations solaires. Maxence dirige l’entreprise familiale Chabanne. C’est un fabricant français spécialisé dans la réalisation d’articles en métal, avec un véritable savoir-faire de plus de 50 ans dans la transformation des métaux. Chabanne dispose des capacités techniques, logistiques et financières pour accompagner les perspectives de développement de Lagazel.
En 2015, les deux frères s’associent pour créer Lagazel en proposant une lampe éco-conçue en métal avec des composants de qualité, origine France. La fabrication à l’échelle industrielle est locale, dans l’usine de Dédougou au Burkina, avec un SAV et une valorisation des produits en fin de vie. Aujourd’hui, Lagazel s’étend dans la sous-région avec une nouvelle entité au Sénégal, Lagazel SN, que je viens de créer avec eux.
Êtes-vous le représentant de votre société pour toute l’Afrique de l’ouest ?
Non, uniquement pour le Sénégal mais il est prévu que l’on exporte dans les pays voisins depuis Dakar.
la prise de conscience de l’efficacité du solaire comme source d’énergie s’affirme de jour en jour
Cette décision de vous installer au Sénégal est-elle motivée par la croissance et stabilité du pays ?
Pas uniquement, même si cela entre en compte, c’est aussi un choix guidé par la présence d’un marché porteur pour ce genre de produits ainsi que par la situation géographique et le rayonnement que Dakar et le Sénégal offrent sur la sous-région. Nous avons été surtout sensibles - après une étude de terrain - aux besoins des Sénégalais qui souhaitent une lampe robuste de qualité, d’où la nécessité d’avoir une production proche de l’utilisateur pour un usage intensif et prolongé du produit.
L’Afrique est le continent du soleil par excellence, selon vous, l’énergie solaire y tient-elle la place qu’elle mérite ?
Je dirais que le secteur en général est encore naissant mais de plus en plus d’installations voient le jour et la prise de conscience de l’efficacité du solaire comme source d’énergie s’affirme de jour en jour avec de nombreux projets sur tout le continent. Le secteur gagnerait à être encouragé, surtout que les besoins sont importants, en ville mais surtout dans les zones rurales où les populations n’ont parfois pas accès à l’énergie. Les lampes solaires mériteraient d’être vulgarisées à plus grande échelle, car elles permettent, avec un faible niveau d’investissement, d’obtenir un 1er niveau d’accès à l’énergie, et d’améliorer les conditions de vie des utilisateurs dans des proportions importantes.
Selon la récente sortie de Jean Michel Huet co auteur du rapport «Prêts pour l’Afrique « , rapport qui découle d’une enquête menée auprès d’une cinquantaine d’entreprises et résultant d’un Think Thank initié par l’institut Montaigne : « les entreprises françaises rencontrent des difficultés à trouver des compétences en Afrique » sous-entendu, de la main d’œuvre qualifiée. Votre constat, au regard de votre usine installée au Burkina Faso ?
Au Burkina Faso, Lagazel BF emploie une vingtaine de personnes. Au niveau de l’unité de fabrication, Lagazel s’est appuyée sur des techniciens peu qualifiés qu’elle a formés aux différents métiers liés à la fabrication des lampes solaires : soudeur électronique, transformateur de métaux, assembleur, contrôleur qualité… Toutefois Lagazel a besoin de compétences au niveau de l’encadrement des équipes, tant du côté de la production que de la force de vente. Ces compétences ne sont effectivement pas faciles à trouver, mais cela s’explique aussi par le fait que le secteur industriel est faiblement développé dans un pays comme le Burkina Faso, et on trouve donc peu de personnes expérimentées dans ce secteur.
créer une industrie locale et pérenne de fabrication de lampes solaires, contribuant à la création d’emplois et au transfert de compétences
Trump a récemment déclaré que l’Afrique est le continent où ses amis se rendent « pour devenir riches ». En règle générale, quels avantages une entreprise a-t-elle à s’implanter en Afrique ?
L’objectif de Lagazel en s’implantant en Afrique n’est certainement pas de devenir riche, mais plutôt de créer une industrie locale et pérenne de fabrication de lampes solaires, contribuant à la création d’emplois et au transfert de compétences. La création de Lagazel est née de la volonté des deux frères Chabanne de donner les clés aux populations locales pour qu’elles puissent concevoir et fabriquer elles-mêmes les produits et services les plus appropriés à leurs défis. Fabriquer localement est un défi à plusieurs niveaux : contraintes logistiques, faible pouvoir d’achat des populations, etc. Mais nous pensons que c’est une des pistes à privilégier pour favoriser le développement économique et social du continent africain.
En outre notre implantation locale nous apporte une valeur ajoutée, qui n’est pas offerte à ce jour par les commerçants qui importent le matériel solaire, le plus souvent d’Asie. Par exemple, Lagazel met en place un service après-vente de proximité qui permet de remplacer les éventuelles pièces défectueuses des lampes. La possibilité de remplacer la batterie en fin de vie permet notamment de doubler la durée de vie du produit de 5 à 10 ans. Nous offrons ainsi un produit durable pour le consommateur, et contribuons à réduire l’impact environnemental de notre produit.
1,2 milliard de personnes n’ont pas accès à un réseau électrique, dont environ la moitié est située en Afrique subsaharienne
Quels avantages une entreprise œuvrant dans le solaire a-t-elle à s’implanter en Afrique ?
Le Sénégal à un taux d’ensoleillement parmi les plus élevés de la planète. De nombreux pays du continent affichent également un taux très élevé qui rend évident le recours à l’énergie solaire. Après, certains pays ont bien compris l’intérêt de développer ce secteur et favorisent l’installation d’entreprises en abaissant les frais de douanes liés à ce genre de produits par exemple. D’autres sont plus frileux et ne sont pas encore décidés à développer le secteur.
D’un point de vue général, 1,2 milliard de personnes n’ont pas accès à un réseau électrique, dont environ la moitié est située en Afrique subsaharienne. Pour s’éclairer, elles utilisent des équipements coûteux à l’usage, fragiles, polluants et souvent dangereux pour la santé tels que les lampes à pétrole, les bougies, les lampes à piles ou encore les batteries de voiture.
Les lampes solaires sont une réponse appropriée à ce défi. Mais à l'heure actuelle, les produits solaires disponibles sur les marchés africains sont fabriqués en Asie, et importés. D'une part, cette situation limite le développement économique local, à l'heure où le monde est confronté à des enjeux de migration sans précédent. D'autre part, cela pose des problématiques environnementales dont l'ampleur va croître proportionnellement au développement du marché. En effet, les fabricants et distributeurs actuels de produits solaires ne sont pas en mesure de proposer un service après-vente et des solutions de collecte et valorisation des produits en fin de vie, adéquats. Le choix d’implanter Lagazel en Afrique vise à répondre à ces défis.
En 2013 le Gouvernement Burkinabé a adopté des mesures d’exonération de droits de douane et de TVA pour les produits solaires importés
Dans sa décision d’asseoir une usine au Burkina, quelles sont les difficultés auxquelles votre entreprise a été confrontée ?
En 2013, le Gouvernement Burkinabè a adopté des mesures d’exonération de droits de douane et de TVA pour les produits solaires importés. Cette mesure est louable, mais elle ne s’applique pas automatiquement aux fabricants locaux, qui n’importent pas des produits solaires finis, mais plutôt des composants. Pour bénéficier de cette exonération, nous devons ainsi importer dans un même container tous les composants servant à la fabrication de la lampe solaire. Or avec un produit composé d’une quarantaine de composants, réunir tous les composants sur une plateforme logistique avant de les expédier au Burkina Faso constitue des coûts supplémentaires de transport et de manutention, sans compter la complexité logistique induite. Par ailleurs, la faible harmonisation des conditions fiscales et douanières et l’irrégularité de l’application de ces conditions complexifie le ré-export des produits finis à partir du Burkina Faso vers d’autres marchés africains.
Enfin, les réseaux de distribution sont encore peu développés au Burkina Faso, et les partenariats de distribution, longs à mettre en place.
Les produits de CB Energie ont été dès 2008 lauréats du concours du programme Lighting Africa de la Banque Mondiale
D’ailleurs, depuis quand cette usine a-t-elle vu le jour, et pouvez-vous nous relater sa genèse ?
Arnaud Chabanne a créé CB Energie en 2004, la première entreprise burkinabé à proposer une alternative innovante pour s’éclairer : concevoir et fabriquer au Burkina Faso des lampes solaires autonomes. Les produits de CB Energie ont été dès 2008 lauréats du concours du programme Lighting Africa de la Banque Mondiale et plus de 30 000 lampes solaires ont été produites depuis 2006.
Lagazel s’est appuyé sur cette expérience pour implanter l’usine de fabrication des lampes Lagazel Kalo en 2016 à Dédougou, au Burkina Faso. L’atelier de CB ENERGIE a été agrandi pour accueillir la production des lampes Kalo à grande échelle. Plus de 300 m² de stockage ont été construits ainsi qu’un nouveau bâtiment pour accueillir les bureaux de Lagazel BF. Les lignes de production ont été installées à l’été 2016, et la fabrication a commencé fin août. L’inauguration officielle a eu lieu le 13 octobre 2016, en présence du Ministère de l’Energie et de l’Ambassadeur de France. Depuis, plus de 40 000 lampes solaires Kalo ont été fabriquées.
Quelles sont les fonctionnalités et spécialités des lanternes solaires sortant de vos usines ?
Fonctionnalités : éclairage avec 3 niveaux d’intensité, de 6 à 24 ou 38 heures en fonction du modèle + recharge de téléphone portable
Spécificités
- lampes en métal, donc ultra-résistantes, solides
- métal = matériau qu’on peut facilement transformer sur place sans beaucoup d’énergie
- répondent aux meilleurs standards de qualité (Lighting Global, CE)
- Durée de vie jusqu’à 10 ans
- Réparable dans le cadre du SAV
Il y a notamment de récents progrès très encourageants sur l’énergie marine qui serait envisageable au Sénégal
Le Sénégal se révèle de plus en plus un pays où les énergies fossiles prennent leurs marques et s’imposent : des puits surgissant de partout. La preuve en est la création du tout nouveau Ministère du Pétrole. Le pays commençant tout juste son enthousiaste odyssée pétrolière, croyez vous qu’à long ou moyen terme le solaire puisse supplanter celle-ci ?
C’est effectivement la question qui anime le secteur de l’énergie en général : quelle part consacrer aux énergies renouvelables ? Au solaire en particulier ? Faut-il un mix énergétique comme certains le revendiquent ? Pour ma part, je pense qu’il faut évidemment développer les énergies renouvelables afin de réduire au maximum le recours aux sources d’énergie fossiles dont on mesure aujourd’hui les conséquences catastrophiques sur l’environnement et la santé, et leur caractère épuisable qui ne permet pas de se projeter à long terme. Il faudrait sûrement un mix énergétique en ayant recours également à d’autres sources d’énergie renouvelable. Il y a notamment de récents progrès très encourageants sur l’énergie marine qui serait envisageable au Sénégal par exemple. Le solaire, quant à lui, à un avenir très prometteur ici, avec un taux d’ensoleillement idéal et une rentabilité plus courte par le développement de produits de qualité aux coûts plus faibles qu’auparavant. Le Sénégal a certes besoin de ressources financières pour accompagner le développement des infrastructures mais il faut garder à l’esprit tous les impacts négatifs que l’exploitation des ressources fossiles peut amener. Je suis persuadé que c’est davantage par les énergies renouvelables que la sécurité énergétique peut être assurée, et la mise en place de centrales solaires est un bel exemple de démarche responsable et efficace.
Enfin, quel rapport personnel entretenez-vous avec le soleil ?
Le soleil m’accompagne chaque jour et favorise ma bonne humeur. Il est source de vie, de lumière, de chaleur - parfois moins agréable - et d’énergie infinie !
Une anecdote à ce propos ?
Je mets de l’indice 50 sinon je brûle.