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Pénélope Bagieu, une bulle de talent vole sur Manhattan

Pénélope Bagieu © Simoné EusebioPénélope Bagieu © Simoné Eusebio
© Simoné Eusebio
Écrit par Justine Hugues
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 4 décembre 2017

Qu’elle se cache derrière ses personnages ou s’expose dans les festivals et salons littéraires, cette trentenaire rousse suscite l’admiration béate de sa génération. Expatriée depuis bientôt trois ans à New-York, l’une des figures françaises du 9ème art nous emmène en balade dans son monde, teinté d’onirisme autant que d’engagement.

 

« Quand j’étais toute petite, mes parents m’ont mis des crayons dans les mains, dans le train, chez des copains, pour que je n’embête personne ».  La vocation de Pénélope pointe déjà son nez, derrière des gribouillages d’enfant. Editrice en herbe, elle avait même créé sa propre collection de livres, « apprandre ». « Avec un « a » à la place du « e ». Je n’aimais pas du tout l’école », confie-t-elle. Quelques années plus tard, elle intègre la filière animation de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, persuadée de vouloir faire du dessin animé.  

 

Une pincée de zone de confort, une cuillérée de militantisme

 

Le trait de crayon caractéristique de Pénélope explique qu’elle abat les planches à grande vitesse.  L’ « odeur rassurante de faire les choses que l’on connaît » guide souvent les commandes faites à l’illustratrice. De Nocibé à Ladurée, nombreuses sont les grandes marques associées à l’art de vivre français à se l’arracher.  

Pénélope Bagieu

 

Pour autant, Pénélope s’est également illustrée par des travaux plus engagés. « Je ne pourrais pas faire un travail déconnecté des choses qui m’animent. Mais de là à dire que je fais des livres militants…personne n’est dupe. Ce serait au détriment du travail de personnes qui s’engagent réellement au quotidien et se mettent en danger. Je dirais plus que je participe à une chaîne ».  Fascinée par une conférence de Claire Nouvian, militante pour la protection des écosystèmes marins, l’illustratrice avait réalisé, il y a quelques années, une planche sur les effets dévastateurs du chalutage profond. Avec les deux tomes des Culottées parus plus récemment, elle rendait hommage aux héroïnes de l’ombre. « Des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent », indique la couverture. 

 

Féministe Pénélope ? « Je veux faire en sorte que ce ne soit pas un gros mot » répond-elle.  « Dans le milieu de l’illustration, il y a encore quelque chose de condescendant envers les femmes.  Tu trouveras toujours un homme pour venir nous dire – j’exagère à peine : « alors les filles ça va, on travaille gentiment, on fait des petits dessins ? ».  C’est typiquement le syndrome de la schtroumpfette : il y a un costaud, il y a un tel et puis il y a la femme. Je voudrais être auteure avant d’être femme ».

 

Amoureuse de la grosse pomme

 

Blog Pénélope Bagieu New York
Extrait du blog de Pénélope lors d'un court séjour à NYC

A l’origine du projet d’expatriation de Pénélope, il y a davantage un « pourquoi pas » curieux et pragmatique,  qu’un « parce que » convaincu.  Au printemps 2015, elle part avant tout pour faire la promotion de son premier album américain outre Atlantique, dans l’intention d’y passer quelques mois. « Et puis c'est vrai que ça s'est un peu prolongé ». Évoluant de «  touriste émerveillée à résidente enchantée », lorsque Pénélope raconte son « second coup de foudre »  avec New-York, c’est une campagne de promotion de la ville à elle toute seule. «  On m'avait dit, quand je me suis installée, que chaque jour, il m'arriverait un truc qui me ferait détester cette ville et me donnerait une envie furieuse de faire ma valise. Mais aussi que je vivrais une chose qu'on ne peut voir nulle part ailleurs et que ça me ferait reposer ma valise. C'est exactement ça. La vie est difficile ici, on se bat beaucoup plus qu'en France. Mais une fois que tous les matins on traverse l'avenue sous ce ciel bleu fluo, entourée de taxis jaunes et verts, d'immeubles en brique magnifiques, d'escaliers de secours et de châteaux d'eau sur les toits, d'écureuils et de gens qui viennent de partout dans le monde et qui ont toujours un mot sympa même quand on ne les connaît pas, on se dit qu'on resterait bien un petit moment ».

 

Pénélope conserve des liens étroits avec l’Hexagone, où elle rentre très fréquemment pour des promotions d’albums, festivals, ou expos. « Certains de mes amis ne se rendent peut-être même pas vraiment compte que je n'habite plus à Paris, il faudrait leur demander » ironise-t-elle. Dans ses terres adoptives, elle reste très attachée à la francophonie et aux évènements autour du livre français. Le lancement de Brazen, la version américaine des Culottées, se fera d’ailleurs à la librairie française Albertine de New York. « Il y a eu tout un travail avec mon éditeur américain dans ce sens, c'est très important pour moi… et pour eux, car ils mettent beaucoup en avant le fait que je sois française ».

 

Etre culottée à l’étranger

 

Cela vous oblige à être moins « feignasse », dixit Pénélope. «  Ce qui est différent c'est surtout d'être totalement inconnue, ça offre une liberté incroyable, en plus d'être très motivant. Il faut tout recommencer à zéro, c'est un super défi ». « Le roman graphique est encore un bruissement aux Etats-Unis et les gens voient surtout la BD comme des récits pour enfants. Du coup il y a aussi beaucoup moins d'enjeux et de pression qu'en France où ça devient vite très sérieux ». Une différence qui s’observe aussi côté lectorat et accueil des œuvres.  La traduction des Culottées en 11 langues a été, pour Pénélope, une véritable épopée mêlant débats houleux avec les éditeurs, surprises en découvrant les pays acheteurs des droits et victoires contre la censure. « Aux Etats-Unis, j’ai dû cacher les seins de Joséphine Baker ou supprimer l’histoire de Phulan Devi, reine des bandits indienne victime de violences sexuelles dès l’enfance. En Pologne, ils ont fini par accepter le livre tel quel. Quand on voit l’actualité, c’était ma victoire de publier quelque chose sur les femmes qui font ce qu’elles veulent de leur corps et de leur destin ».

 

Le temps de peaufiner ses projets du moment, dont la réalisation d’une planche avec un journaliste du Guardian sur l’impact de la finance de marché sur nos sociétés, et Pénélope Bagieu rentrera au bercail. Ça fera trois ans. Notre illustratrice mi conquérante-mi fainéante « aime bien les comptes ronds ». 

 

Culottées Pénélope Bagieu

 

Justine Hugues
Publié le 4 décembre 2017, mis à jour le 4 décembre 2017
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