Récemment nommée Capitale Mondiale de l’Architecture en 2023 par l’UNESCO et l’International Union of Architects, Copenhague accueillera le Congrès Mondial des Architectes au mois de juillet 2023. Lors de cet événement majeur, les principaux acteurs du secteur mèneront une réflexion conjointe sur les moyens d’atteindre les objectifs de développement durables fixés par l’ONU, grâce à l’architecture. Une nomination bien méritée, si l’on considère les avancées environnementales de cette capitale parmi les plus green au monde.
En attendant la tenue de cet événement, la rédaction de lePetitjournal.com/Copenhague vous propose de découvrir quelques-uns des bâtiments remarquables du Danemark, qui font de ce pays l’un des leaders mondiaux incontestables dans le domaine architectural.
Aux origines de l’architecture danoise : constructions vikings et médiévales
L'architecture, le design et l'urbanisme danois comptent parmi les plus avancés, à la fois en terme de style, de technologie et de prise en compte des enjeux environnementaux contemporains. Chaque année, le Danemark attire de nombreux professionnels et amateurs, tous passionnés et désireux d’en apprendre davantage sur les avancées architecturales locales, dont le caractère singulier et novateur fascine dans le monde entier.
Aux origines de l’architecture danoise, l’on trouve les constructions de l’ère viking, érigées au cours des derniers siècles du premier millénaire après J.-C. Menant pour la plupart une existence rurale centrée autours de l’activité agricole, les Vikings vivent dans des fermes. Les différentes constructions de la ferme (granges, écuries, ateliers, etc.) s’organisent autour d’un bâtiment principal, la maison longue. Habitation robuste aux murs de bois incurvés et souvent recouverts d’argile, la maison longue abrite de grandes salles et son aspect n’est pas sans évoquer celui d’un navire renversé. Le toit, fait de chaume ou de bois, est soutenu par les murs mais aussi par des poteaux en partie enterrés dans le sol et situés à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Au milieu des vestiges de la forteresse viking de Trelleborg, édifiée vers 980 par le roi Harald à la dent bleue et située près de Slagelse, on peut admirer la reconstitution d’une maison longue telle qu’elle aurait été à l’époque viking. Même si certains détails de la reconstruction sont aujourd’hui considérés inexacts, elle donne une très bonne idée générale de l’aspect d’une maison longue de l’époque.
Durant la majeure partie du Moyen Âge, l'architecture danoise suit les grandes tendances européennes, voyant dans un premier temps l’apparition de constructions romanes, puis de style gothique. Avec ses cinq tours uniques, l’église Notre-Dame de Kalundborg, ville située sur la côte nord-occidentale de l’île de Seeland, constitue un exemple frappant de l'architecture danoise romane tardive. Longtemps considérée comme datant de la fin du XIIe siècle, Notre-Dame de Kalundborg aurait en réalité été bâtie au tout début du XIIIe siècle, comme tendent à l’indiquer de récentes découvertes. La cathédrale de Lund, quant à elle, est souvent présentée comme le bâtiment de style roman le plus prestigieux de toute la Scandinavie. Elle illustre l’importance du style roman dans l’architecture danoise médiévale - car si la ville de Lund est aujourd’hui suédoise, elle faisait bel et bien partie, à l’époque des grands bâtisseurs de cathédrales, du royaume du Danemark. Centre politique, économique et religieux majeur, Lund était l’une des villes les plus importantes dans la vie du royaume. C’est dans sa cathédrale que les monarques danois étaient couronnés. Le choix du style roman pour un édifice de cette envergure architecturale et symbolique est donc bien représentatif du goût de l’époque.
L’architecture de la Renaissance
Les découvertes et avancées qui ont lieu partout en Europe au cours de la Renaissance marquent profondément l’architecture nordique. L’un après l’autre, les souverains danois Frédéric II et Christian IV s’entourent d’architectes et maîtres d’œuvres étrangers ou ayant parcouru l’Europe, pour faire bâtir des palais rappelant les châteaux de la Loire et marqués par l’influence du style néerlandais de la Renaissance, tels le château de Kronborg, celui de Christiansborg à Copenhague, ou encore de Frederiksborg à Hillerod.
Se dressant à Helsingør (Elseneur, en français), à la pointe nord de l’île de Seeland et là où l’Øresund, le détroit qui sépare le Danemark de la Suède, est le plus étroit, le château de Kronborg est un véritable joyau de l’architecture de la Renaissance, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2000. S’il est surtout connu du public pour être le cadre de la célèbre tragédie de William Shakespeare, Hamlet, le château de Kronborg revêt également une importance symbolique toute particulière.
C’est Éric de Poméranie qui, le premier, fait ériger un château sur ce site au début du XVe siècle. En 1574, le souverain Frédéric II ordonne la construction du château Renaissance et le remaniement des fortifications, sous la houlette d’un architecte et d’un sculpteur flamands. Ravagé en 1629 par un incendie qui n’épargnera que la chapelle, l’édifice constitué de quatre ailes de grès articulées autour d’une grande cour carrée sera rapidement reconstruit, presque à l’identique du château commandé par Frédéric II.
Situé à la porte de la mer Baltique, la forteresse de Kronborg permettait le contrôle du passage des navires qui devaient s’acquitter d’un droit de péage afin de pouvoir entrer ou sortir du détroit, assurant la fortune du lieu. Kronborg occupait donc une position stratégique du point de vue économique, mais aussi du point de vue militaire. Instrument défensif majeur, il jouera un rôle central dans les guerres nordiques, le commerce maritime et les dynamiques d’alliances dans l’Europe du Nord entre le XVe et le XVIIIe siècles.
Tour à tour forteresse entourée de douves, de remparts et bastions défensifs en étoile, maison royale et château d’apparat abritant l’une des plus vastes salles des banquets d’Europe du Nord, et enfin caserne militaire, cette merveille architecturale unique en Scandinavie vaut le détour.
L’architecture au service de l’absolutisme
Avec l’avènement de l’absolutisme et de la succession héréditaire au trône, institués en 1660 par Frédéric III, l’architecture continue d’évoluer. Ainsi les monarques danois s’attèlent-ils à asseoir leur pouvoir et à en manifester l’étendue en faisant construire des monuments exceptionnels. Les grandes réalisations de l’époque puisent leur inspiration dans la Hollande, la France et l’Italie baroques.
Premier monarque né absolu, Christian V lance de nombreux chantiers. L’église baroque de Notre-Sauveur, trésor national niché dans le quartier de Christianshavn à Copenhague, est sans nul doute l’un des édifices les plus imposants bâtis par Christian V (l’église est haute de 36 mètres) et les plus évocateurs de cette course à l’édification architecturale du pouvoir. Le chantier débute en 1682, pour durer quatorze ans. On y retrouve l’influence du baroque néerlandais, caractérisé par des lignes géométriques et une certaine retenue solennelle. Le célèbre clocher en spirale, dont les touristes aiment à gravir les marches pour admirer le point de vue sur la ville, ne sera ajouté que cinquante ans plus tard. Son architecte, Lauritz de Thurah, s’inspirera de l’architecture baroque romaine, et plus spécifiquement du clocher en spirale de l'église Sant’Ivo alla Sapienza à Rome, que l’on doit à Francesco Borromini.
Autre manifestation architecturale de la toute-puissance des monarques absolus, le château de Fredensborg, situé à une quarantaine de kilomètres au nord de Copenhague, cristallise la diversité des influences venues de France et d’Italie. Demeure aujourd’hui encore particulièrement appréciée par la famille royale danoise, le « palais de la paix » (si l’on traduit littéralement son nom), doit à l’origine rappeler les villas italiennes baroques aux jardins enchanteurs. Lorsqu’il en ordonne la construction, vers 1720, Frédéric IV veut en faire un pavillon de chasse mais aussi une retraite paisible pour sa famille. Il en confie le dessin à l’architecte et paysagiste danois Johan Cornelius Krieger. En 1760, le Français Nicolas Jardin remaniera le parc en jardins à la française dont les allées convergent vers le château. Si cette influence française se manifeste dans les choix stylistiques et ornementaux, elle revêt également un caractère symbolique. Des spécialistes de la période ont ainsi rapproché Fredensborg au domaine de Marly, que Frédéric IV avait eu l’occasion de visiter lors de son séjour français de 1693. Marly, ensemble de pavillons placés au centre de jardins créés par Jules-Hardouin Mansart, était en effet le lieu de plaisirs et de retraite de Louis XIV, à l’écart de l’agitation de Versailles.
Frederiksstaden, Amalienborg et l’apogée du rococo danois
Tandis que l’économie danoise prospère, le XVIIIe siècle voit naître un autre grand projet architectural, au cœur de Copenhague : le quartier de Frederiksstaden. Fondé en 1749 et baptisé ainsi en l’honneur du roi commanditaire de cette entreprise d’envergure, le souverain Frédéric V, le quartier célèbre tout à la fois le 300e anniversaire du règne de la maison royale d’Oldenburg et la grandeur du pays. En effet, le Danemark connaît alors une période de plein essor économique. Les riches marchands, armateurs et artisans veulent faciliter leurs affaires et le développement de ce quartier répond à leur demande. La construction d’entrepôts, de bâtiments administratifs et de logements plus proches du port s’organise autour de larges avenues. Dégagés et donc plus lumineux, ces axes se croisent à angles droits selon un plan rectangulaire, contrastant avec l’étroitesse des rues de la vieille ville et les alentours du canal de Nyhavn, tout proche.
Le souverain confie la totalité du projet à l’architecte royal Nicolai Eigtved. Il lui commande quatre palais, qu’Eigtved fait bâtir autour d’une place octogonale. Au centre de cette place se dresse une statue équestre de Frédéric V, exécutée par le Français Jacques François Joseph Saly. Destinés à loger quatre familles de la haute aristocratie danoise, ces palais ne deviendront demeure royale qu’à partir de 1794, à la suite de l’incendie du palais de Christiansborg qui laissera la famille royale sans logis. Autour d’Amalienborg, centre monumental de Frederiksstaden, Eigtved dirige la construction de maisons de ville bourgeoises, d’une église et d’un hôpital (dont le bâtiment abrite aujourd’hui le musée du Design). Afin de créer un ensemble harmonieux d’architecture rococo, Eigtved définit des critères stricts de hauteur des bâtiments. Il contrôle l’apparence des façades, de telle sorte que fenêtres, corniches et autres éléments de décor soient alignés. De même, tout projet ou dessin est alors soumis à son approbation avant sa mise en œuvre, afin de préserver l’homogénéité du quartier.
La grande église de marbre, ou Marmorkirke, point central du nouvel ensemble urbain, s’inspire de la basilique Saint Pierre de Rome. Son dôme est l’un des plus imposants de Scandinavie. Si sa construction débute sous l’égide de Nicolai Eigtved, elle ne sera achevée qu’à la fin du XIXe siècle, en raison de coupes budgétaires. Laissée pendant un siècle à l’abandon, elle deviendra le sujet de prédilection de nombreux artistes et étudiants en art du XIXe siècle.
L’architecture danoise au XIXe siècle : historicisme et néo-styles
Le XIXe siècle est marqué partout en Europe par le courant historiciste, qui se caractérise par un retour aux formes architecturales passées, le remploi d’éléments stylistiques et décoratifs puisés dans l’Antiquité, le style gothique, la Renaissance, etc. Or c’est au cours du XIXe siècle que sont érigés certains des bâtiments aujourd’hui considérés comme les plus emblématiques de Copenhague. Parmi eux, l’on trouve deux musées : la Galerie Nationale (Statens Museum for Kunst ou SMK) et la Glyptothèque (Ny Carlsberg Glyptotek).
Le bâtiment original de la Galerie Nationale est construit dans un style néo-Renaissance italien entre 1889 et 1896, sous la supervision des architectes danois G.E.W. Møller et Jens Vilhelm Dahlerup, connus pour leur approche historiciste. C’est également Dahlerup qui dessine la première aile de la Glyptothèque, inaugurée en 1897 et où sont, entre autres expositions, montrées les sculptures danoises, françaises, et les collections de l’âge d’or danois. Le style de ce bâtiment composé de trois ailes s’inspire directement de la Renaissance vénitienne. À l’intérieur, plafonds peints, sols en mosaïque, colonnes de marbres et frises constituent les principaux éléments de décor. Dahlerup travaille aussi au jardin d’hiver à partir de 1906 - année d’autre part marquée par l’inauguration du bâtiment créé par l’architecte Hack Kampmann qui accueille les collections antiques. C’est autour d’un hall à colonnade néoclassique que s’articulent les quatre ailes, dont l’ensemble constitue un splendide exemple de la pratique alors populaire, en matière architecturale, de l’éclectisme et du mélange des styles.
D’autres monuments de la ville combinent de multiples inspirations architecturales. C’est par exemple le cas du site de la brasserie Carlsberg, situé à l’ouest de Copenhague. Outre le bâtiment de la brasserie lui-même, construit dans le goût florentin avec une base carrée surmontée d’étages en briques rouges, des fenêtres cintrées, un balcon rappelant celui du Palazzo Bevilacqua de Vérone, le tout couronné par un groupe représentant Le Combat de Thor contre les géants, la résidence que J.C. Jacobsen fait construire pour sa famille - aujourd’hui devenue la Carlsberg Academy - et le jardin qui l’entoure sont un exemple parlant d’éclectisme architectural et paysager. Marquée par les nombreux voyages de J.C. Jacobsen en Europe, la demeure principale est érigée dans un style italianisant. Son décor puise son inspiration dans l’antiquité, comme en témoigne la présence de médaillons, ou encore de la célèbre frise réalisée par l’artiste Bertel Thorvaldsen. Ces choix architecturaux néo-classiques trouvent leur apogée dans la réalisation en 1876-1878 de la serre « Pompéi » et de son péristyle. Partiellement inspiré des jardins anglais du XVIIIe siècle, le jardin de la villa n’est quant à lui pas en reste: on y trouve pas moins de 57 variétés de conifères et arbres à feuilles caduques différents. Ouvert au public, c’est un endroit idéal pour flâner.
Aujourd’hui encore, le « Carlsberg District » connaît de nombreuses évolutions et se veut un lieu d’innovation constante. Mais ce qui rend ce lieu en mutation permanente particulièrement intéressant, c’est le tour de force de maintenir un dialogue permanent avec le passé.
Un grand merci à Bénédicte Wagner pour sa contribution à cet article, sa relecture patiente et scientifique ainsi que sa sélection de photos.